Décès de Walter Spitzer, artiste peintre français et survivant de la Shoah

Times of Israël, 14 avril 2021

Walter Spitzer, artiste peintre français et survivant de la Shoah, est décédé ce mardi 13 avril à l’hôpital Saint-Joseph à Paris après avoir lutté une semaine contre la COVID-19. Il était âgé de 93 ans. Il sera enterré ce jeudi après-midi au cimetière de Bagneux, dans le carré des rescapés de la Shoah.

Né le 14 juin 1927 à Cieszyn (Pologne), à la frontière de la Tchécoslovaquie, dans une famille juive bourgeoise et traditionaliste, il s’est pris très tôt de passion pour le dessin.

Spitzer a été déporté au camp de concentration de Gross-Rosen, puis à Blechhammer, camp de travail rattaché à Auschwitz, en 1943, alors qu’il n’avait pas 16 ans. Il s’est retrouvé à Buchenwald après une « marche de la mort ». Il a perdu ses deux parents pendant la Shoah – son père est mort de maladie en 1940 et sa mère a été exécutée par les nazis.

Dans les camps, le jeune prodige a pu échanger des « portraits de gens importants » contre de la nourriture ou encore une paire de bottes qui, dit-il, lui ont sauvé la vie pendant la « marche de la mort ». En janvier 1945, peu avant la libération, son talent lui a, de façon encore plus décisive, permis de survivre. Alors qu’il devait être transféré vers un autre camp où l’espérance de vie est de « huit jours », il a été caché par les Résistants du camp contre une promesse : celle de témoigner de l’enfer de la Shoah grâce à ses dessins, une fois la guerre terminée. (…)

Alors que dessiner était interdit dans les camps, le jeune Walter a dû faire preuve d’une certaine imagination : « Je me suis procuré un sac de ciment. Il avait quatre couches de papier et celles de l’intérieure sont splendides, couleurs papier kraft. Ensuite, j’ai chauffé du charbon de bois dans une gamelle et j’ai dessiné avec un bout de bois calciné », a-t-il écrit. Déporté à Buchenwald, il a finalement pu se procurer des bouts de papier et des cahiers d’écoliers.

La plupart de ses œuvres de cette période témoignant de l’horreur de la Shoah ayant été détruites, il s’est donné pour mission de les refaire de mémoire après la guerre, après s’être installé à Paris, avoir été naturalisé français et entamé des études à l’École des Beaux-Arts.

S’il ne montrait pas la mort dans ses dessins, il a représenté de son trait fin des déportés très affaiblis. Témoin de pendaisons ou de morts causées par la faim ou la fatigue, il a expliqué que représenter le supplice des défunts eut été « trop personnel ; le visage de quelqu’un qui est supplicié comme ça, on ne peut pas y toucher ». D’autres dessins montrent aussi la solidarité et la vie dans le camp.

Walter Spitzer dit n’avoir jamais eu conscience de l’importance de ses œuvres. « Je n’avais aucune prétention historique, ni là, ni plus tard, ni jamais […]. Je n’ai jamais pensé que les dessins que je faisais dans les camps était un acte de résistance. Je dessinais tout simplement », a-t-il écrit dans son livre. « À tous ces enfants assassinés qui ne peuvent plus parler, je leur ai prêté mes crayons et mes pinceaux. »

Dans la préface du livre, Elie Wiesel écrivait avoir découvert dans l’œuvre de Spitzer « une force, une vie, proches de l’espérance ». « En créant, ou en recréant un univers, ton univers à toi, n’est-ce pas une histoire inédite que tu nous racontes ? Une histoire que l’adolescent en toi porte depuis ce temps nocturne qui, en montrant l’homme dans sa pauvreté, dans son malheur surtout, niait l’Histoire ? Toi, c’est avec les yeux qu’on t’écoute. Tes toiles si riches d’émotion, tes gravures si délicates, c’est avec le regard qu’on les saisit. »

Un certain nombre de ces dessins de la Shoah sont aujourd’hui conservés et exposés au musée-mémorial Beit Lohamei Haghetaot, à Akko.

Devenu dessinateur reconnu après la guerre, il a illustré les œuvres de Malraux, Sartre, Montherlant, Kessel et Kazantzákis.

Walter Spitzer était chevalier des Arts et des Lettres et chevalier de la Légion d’honneur et avait été décoré de l’Ordre national du Mérite en 2019.