Comment sauver sa peau ?
Le 6 juin 1944, quand on est un auxiliaire zélé de la Gestapo lyonnaise, on commence à se poser des questions. Que faire ? Continuer à servir ou partir ? Et si tel est le cas, où ?
Croire encore en la victoire d’Hitler
Les derniers Allemands quittent Lyon dans la nuit du 2 au 3 septembre. Parmi les Gestapistes, il y a ceux qui croient encore à une possible victoire d’Hitler, et les autres.
Selon Marcel Ruby, tandis que Francis André conduit un groupe vers Nancy, le Kommandeur Knab en organise un autre dans la région dijonnaise. Knab voudrait des hommes de « Gueule tordue » mais celui-ci refuse. Il s’en trouvera pourtant quelques-uns pour se joindre à lui : Joseph Desgeorges, Roger Bonnesteve (1917-1998), Durand, Mazot, Marcel Bergier, Bonjini, Chauvet, Jean Commeihnes, Charles Guggisberg, Paolini, Sylvain Bressy (1911-?), Verraud, Victor May, Joseph Sassu (1923-2008), Vincent et Vigne[1].
D’autres Gestapistes resteront à Lyon. Lesquels, il est impossible de le dire mais -au moment où les Allemands quittent la ville- il est certain qu’ils laissent derrière eux un service de renseignements. Il est constitué, selon Guesdon qui rapporte les propos d’Hollert, d’agents peu connus, payés par une boîte aux lettres. Quant à lui, trop connu sur Lyon, sa candidature pour appartenir à ce service aurait été refusée.
Le maquis : un moyen de se racheter !
Doussot est peut-être le plus malin de la bande puisqu’il décide de quitter la section IV au moment du débarquement. Girin, du réseau Dupleix, demandera à son chef Marcel Dreyffuss de trouver un accueillant maquis pour Bazot et Doussot. Dreyffuss refusera. C’est ainsi que les deux compères et leur clique arriveront à Cluny, protégés par le S.O.E.
Même stratégie utilisée par Lucien Guesdon mais un peu plus tard. Il quitte déjà Lyon pour Paris. Pour sa sécurité et celles des membres de son équipe, il a fabriqué de faux papiers d’identité avec des cartes volées à Gueule Tordue.

Guesdon et sa femme seront désormais les époux De Coster.
Puis on retrouve ce Gestapiste sous-lieutenant chez les F.F.I. À son épouse, il fera croire, que c’était « le seul moyen de se racheter » ! Il s’est emmanché avec un certain capitaine Louis Taillebout[2], nommé chef de la sécurité militaire F.F.I. de la Haute-Savoie. Bien entendu, Guesdon a monnayé son entrée chez les F.F.I. puisque Taillebout, qui a déjà détourné des fonds de la résistance, va profiter également des largesses du Gestapiste.
Gestapistes au maquis : de la responsabilité des F.F.I.
Lorsqu’une enquête est diligentée le 22 décembre 1944, on se posera les bonnes questions. Comme le constate le lieutenant-colonel Fourcaud au sujet de Guesdon, nommé officier le 25 novembre 1944 chez les F.F.I. :
« Il ressort de ces documents que les services de sécurité F.F.I. ne procèdent, au moment où ils incorporent des officiers à aucune enquête même élémentaire. (…) Il était facile de vérifier différentes informations. » Fourcaud se demandera comment on a pu gober que Guesdon, alors qu’il allait recevoir une carte d’officier, n’était pas sous-officier au 2e génie. Il était facile, poursuit-il, de vérifier qu’il n’était pas sous-lieutenant à la date du 5 septembre 1944 alors qu’il fuyait Lyon à cette date et il était facile de vérifier qu’il n’était pas titulaire de la croix de guerre 39-40 en lisant simplement le Journal Officiel.
« Il découle de l’ensemble de ces faits que les responsabilités que les responsabilités militaires de la sécurité militaire F.F.I. sont lourdes puisqu’en l’occurrence cet organisme n’a opéré aucune vérification pour l’admission d’un Guesdon comme sous-lieutenant dans les rangs de l’armée[3]. »
Le 22 novembre 1944, Guesdon est arrêté à Lyon par le lieutenant Versaud. Comme Doussot qui reviendra déjeuner en septembre 44 tranquillement là où il a sévi, il pense qu’il peut passer inaperçu, et que son uniforme de F.F.I. le protège de tout. Pas de chance, Etienne Versaud connaît bien Guesdon puisqu’il est à l’origine de l’affaire de la mission franco-britannique « Union »[4]. Direction la prison pour Guesdon.
Doussot, Bazot, Thévenot, Guesdon, combien seront-ils à être entrés chez les F.F.I. ? On pourrait encore citer des dizaines de noms.
Un des plus « célèbres » F.F.I. est Jean-Paul Lien, l’agent de l’Abwehr qui infiltré le réseau Alliance et qui a donné à Moog l’affaire du commandant Faye. Lien a pu intégrer tranquillement la 1ere armée du général De Lattre de Tassigny. Reconnu en uniforme de capitaine F.F.I. sur les Champs Elysées par Ferdinand Rodriguez du réseau Alliance, il est emprisonné. Comme Doussot et Payot, il réussira à s’évader[5]. Retrouvé par un autre membre du réseau Alliance, il sera jugé et fusillé en 1946 à Sennecey-les-Dijon, de même que l’espion Garcia qui avait œuvré en Saône-et-Loire.
À suivre…
[1] Ruby Marcel. Klaus Barbie, de Montluc à Montluc. Lyon : Éditions L’Hermès, 1983, 263 p., p. 182. Desgeorges, Morillon, Gaydou, Nicolai, Mazot et Commeinhes seront fusillés le 1er novembre 1946.
[2] L. Taillebout né le 24 août 1918 à Paris. Décédé en 1998. Il sera quand même médaillé de la résistance en 1947…
[3] AD Rhône, GR 28P9 1654 : dossier Guesdon.
[4] Affaire menée par Guesdon en mai-juin 1944 qui conduisit à 1 tué, 5 fusillés, 1 blessé, 11 déportés et 1 disparu.
[5] La presse de la résistance ne manquera pas, à chaque fois, de crier haut et fort que toutes ces évasions sont « suspectes ». Reste à savoir de quelles complicités les Gestapistes ont bénéficié…