Les Gestapistes tricolores ne connaissent pas de fin de mois difficiles. Beaux costumes, bijoux en or. Et ils font la tournée des bars louches de la capitale rhodanienne : le Grillon fréquenté assidûment par le sinistre Gueule tordue, l’Artésia, Le Perroquet, La Pergola, Les Ambassadeurs, le bar Georges, La Scala où se retrouve Jean Commeinhes et dont le patron Marleron est un indicateur[1], Chez Lucienne, la brasserie Nègre…, quand ils ne sont pas eux-mêmes propriétaires d’un bout de zinc. C’est le cas de Jean Renard, propriétaire du bar « le Diabolo » rue Thomassin. Quant à Doussot, il fréquente assidûment le café « Confort », dont Richard et Bazot assurent la gérance. « Les lieux de plaisir [écrit G. Chauvy] regorgent de personnages louches, imprudents ou prêts à tout[2]. »

De surcroît, tous les Gestapistes tricolores, il ne faut pas l’oublier, sont logés gratuitement. Une arrestation, un appartement sympathique ? Après avoir tendu une souricière pour tenter d’appréhender des résistants qui se présenteraient encore à ce domicile, le Gestapiste fait le tour des lieux et s’y installe. Il n’est pas rare qu’il occupe plusieurs résidences, avec une maîtresse.

Une femme, une maîtresse, des enfants

En effet, leur vie de truand ne serait en effet pas complète s’ils n’avaient pas collectionné les conquêtes féminines. Tous sont -ou presque- mariés avant la guerre. Tous -ou presque- abandonnent épouse et enfants.

Mauricette pour Moog, Renée pour Doussot, Marcelle pour Thévenot, Thérèse pour Payot, Lucette pour Guesdon, Jackie et Sultana pour Cinquin… Pour Angèle Perrin, ce sera l’interprète Stahl et pour Monique Boisvin Rémy Colonel…

Antolino, qui s’est marié en 1941, fréquente une jeune fille de dix-sept ans, « Hélène » Marchand. De son côté, son épouse est partie vivre avec le milicien Montibert en novembre 1943. Lorsqu’Antolino sera « puni » d’avoir roulé l’occupant en pillant les appartements des résistants, Hélène disparaîtra elle-aussi. « Je ne sais pas ce qu’elle est devenue », dira le Gestapiste. En bref, il ne se fait pas beaucoup de souci pour cette gamine qui a tout simplement été déportée, payant ainsi sa relation avec Antolino.

Tous -ou presque- auront des enfants avec leur nouvelle compagne mais ne les reconnaîtront pas. Et c’est sûrement mieux ainsi.

Le fils de Payot est placé à l’orphelinat lorsque ses parents sont arrêtés. Payot sera tué en prison et sa mère jugée. Quel fardeau pèsera désormais sur les épaules de tous ces gosses ? Peut-on se débarrasser de ce traumatisme ? C’est ce que Jean Buvens raconte dans son ouvrage « Mon père, ce collabo », l’histoire de ses parents qui traquent les Juifs en Belgique. C’est Gérard Garouste -dont le père récupérait les biens juifs déportés- qui écrit dans son autobiographie « L’intranquille » : « Pas sûr que tout cela ait un rapport, mais l’enfance et la folie sont à mes trousses. »

Sept enfants belges, brisant le tabou pour la première fois, racontent leurs parcours et l’histoire de leurs parents devant les caméras dans un documentaire exceptionnel : Les enfants de la collaboration réalisé par Tristan Bourlard et Cécile Huwart.

 » Je lui en veux parce que finalement, j’ai raté mon enfance, mon adolescence, ma vie de jeune femme, de femme. Et maintenant, en étant plus âgée, ça va mieux. J’aurais pu avoir une autre vie. » (Yolande Keil) – « J’ai envie de dire qu’il a saboté ma jeunesse et mon enfance. J’ai envie de me dégager de tout ça. C’était un type minable dans le fond « . (Philippe Debruyne).

Mais Jose Antonio Degrelle porte un autre regard sur son histoire : « Je suis très fier de mon grand-père. » 

Logés gratis 

Max Payot et Thérèse Gerbet vivent dans une villa à Vassieux, quartier de Caluire. En mai 1944, le couple vit au 4, grande rue des Charpennes. Puis ils profitent d’une réquisition et occupent également, à partir de juillet, un appartement en ville au 45 rue de la République.

Lucien Guesdon habite rue Malesherbes l’appartement de Louis Loeb qui a été arrêté le 24 mars 1944 avec toute sa famille. Sur le site du Mémorial de la Shoah, sa notice nous indique : « Louis Loeb (…) était directeur d’une entreprise de quincaillerie. Il se marie avec Yvonne Bloch et le couple a quatre enfants. Ils vivent à Strasbourg. La famille vit à Lyon (Rhône) entre 1942 et 1944. Louis est arrêté à son domicile avec sa femme, sa belle-mère Jeanne Bloch et trois de leurs enfants, Jean Paul, Armand et Simone. Louis sera torturé par Klaus Barbie dans le but de lui soutirer de l’argent, avant d’être déporté avec sa famille à Drancy puis Auschwitz le 29/04/1944 par le convoi 72. Aucun ne survit. Seule sa fille aînée Margot, absente du domicile parental au moment de l’arrestation, échappe à la déportation. »

Lors du coup de filet dans le réseau Brutus, la femme de Guesdon visite l’appartement de la famille Arcelin, un lieu sûrement agréable, mieux adapté au standing d’un couple de Gestapistes. Le couple Guesdon s’installe alors au 11 rue du Plat. « La Lucienne », habite à Villeurbanne mais elle loge également au 4, rue Lafayette. Moog vient lui rendre visite ainsi que Laurent Bazot, compère de Doussot. Pierre Duboeuf, qui témoignera au procès Doussot, viendra vérifier sur place la présence de Bazot, dans ce service : « Très intrigué, je suis passé à ce bureau et j’ai demandé si Laurent Bazot était là. Un individu m’a répondu que Laurent Bazot était absent mais qu’il serait probablement là le soir ou le lendemain[3]. »

Moog a plusieurs lieux de chute en ville. Arrivé à Lyon au moins dès la mi-avril 1943[4] pour démanteler le réseau Gilbert puis monter le service français de renseignements et les équipes de la section IVE, il réquisitionne l’appartement situé au 1, rue de la Tête d’Or. C’est là que vit le résistant Montet (réseau Brandy). Lui et son équipe se partagent le mobilier. Le 1, rue de la Tête d’Or, 4e étage, devient leur bureau jusqu’à la fin de l’automne 1943. Thévenot est chargé de la surveillance de l’appartement.

Pour Moog, un bureau c’est bien mais une villa c’est encore mieux. Lorsqu’il arrête Albert Meyer le 20 juillet 1943, il s’installe avec sa maîtresse (Mauricette Eychenne) et leurs jumeaux dans la villa du résistant « les Cigognes », située au 6, rue des Noyers, quartier du Point du Jour.

A. Meyer témoignera au procès Doussot : « La plus grande partie de mon mobilier, ainsi que tout le linge et les objets de valeur furent déménagés. Je précise également que les bijoux que ma femme avait laissés à son départ ainsi qu’une somme d’environ 300 000 francs et des pièces d’or ont également disparu (…) Je suppose que les hommes venus m’arrêter se sont partagés le butin et il est probable que Doussot en a eu sa part[5]. »

L’occupant ayant déguerpi, Meyer retrouvera sa maison rue des Noyers et la famille Montet son appartement au 1, rue la Tête d’Or. Dans leur malheur, ils ont eu plus de chance que celle et ceux qui ont vu leur bien partir en fumée. C’est le cas des Pellet, domiciliés 4 montée Bel-Air à Bron. Le 25 janvier 1944, après leur arrestation, Doussot vient faire un tour chez eux et vole les bijoux. Une grenade et hop, la maison des Pellet s’envole en fumée.

À suivre…


[1] Chauvy, Gérard. Lyon 40-44. Paris : Plon, 1985, 424 p., p. 337.

[2] Idem., p. 337.

[3] Déposition de Pierre Duboeuf, 9 février 1949, procès Doussot.

[4] Moog a infiltré le réseau Gilbert dirigé par Georges Groussard. Le 15 avril 1943, il est à Lyon et il participe à l’arrestation d’un agent du réseau, le capitaine Claude Bulard, rue Bechevelin.

[5] Déposition d’Albert Meyer, 13 avril 1949 devant le juge Sérager, procès Doussot.