Adieu la morosité, le temps d’un jour

On apprend hier que l’on écrira désormais parfois Louis XIV non plus en chiffres romains au musée Carnavalet. Louis 14, Henri 4, moi, ça me fait bizarre. Il faudrait aussi écrire 19e siècle et non pas XIXe siècle mais je suis « de la vieille école » et les normes européennes, je m’assieds dessus. Tant pis si on ne comprend pas de quel siècle je parle. Donc le temps est à la morosité. Le printemps n’arrive pas, le pays vit au ralenti et je ne saurai bientôt plus qui sont Louis 14 ou Napoléon 3.

Eh bien parlons aujourd’hui de fête. Histoire de se remonter un peu le moral.

En cette fin du XIXe siècle, Cluny aime s’amuser et la création des sociétés musicales et de la société de gymnastique ne sont pas étrangères à cette dynamique.

Mais, chaque année, il existe -à l’annonce des beaux jours- un autre divertissement prisé des Clunisois : la kermesse. Moment de plaisirs partagés, la kermesse permet également aux commerces locaux comme aux marchands ambulants de faire leur beurre.

Bien entendu, on y retrouve souvent les sociétés musicales et la société de gymnastique, mais pas que. Petit retour en arrière pour découvrir des attractions pour les moins… surprenantes et que nous n’avons pas toutes réussi à identifier.

La fête de jour

Toute kermesse se déroule, à la fin des années 1890, en deux temps : il y a tout d’abord la fête de jour puis celle de nuit.

On commence la fête de jour par un défilé, en musique avec la Lyre, l’Harmonie et les Trompes de chasse dont nous vous parlerons sous peu. Puis on se donne rendez-vous dans les jardins de l’hôtel de ville où les attractions sont installées. On y trouve en juillet 1899 et en juin 1901 des jeux traditionnels pour les petits comme pour les grands : un carrousel, des tourniquets, des jeux de maillet, les quilles, le tir à la carabine, le tir à la corde, les courses de sac et à la bougie, une course en motocycles avec batraciens et la grande course de grenouilles en brouettes[1].

Et on peut tenter sa chance à la loterie. Que le meilleur gagne !

On est moderne à Cluny : point de disc-jockey mais toute la kermesse se déroule en musique diffusée avec un phonographe et un haut-parleur ! Celui ou celle qui veut pousser la chansonnette peut participer au grand concours d’amateurs au « cabaret de la branche de houx ». Le timide, celui qui chante faux, pourra se contenter d’écouter « l’automate mélomane ».

Comme dans toutes les campagnes, on n’aime pas trop les gens du voyage, les gitans -souvent forains- qui vivent dans des roulottes. Ne sont-ils pas supposés voler nos poules et faire peur aux enfants ? En 1901, le maire fait ainsi déguerpir Delacroix, chanteur ambulant qui stationne place des Fossés. A contrario, lors des fêtes, ces gens « venus d’ailleurs » apportent une petite touche d’exotisme et sont les bienvenus. Comme le chante Piaf, ne sont-ils pas là pour « tuer l’ennui pour un soir dans la tête des gens » ?  Je n’y résiste pas car j’adore cette chanson qui me rappelle les roulottes sur la place du village et les cirques de mon enfance avec des animaux. Oui, oui, je sais, c’est maintenant bientôt interdit.

Si l’on est tenté, on peut également entrer dans la tente de la cartomancienne. En aurez-vous pour votre argent, ça, on ne nous le dit pas. En 1899, vous auriez pu consulter une « célébrité charlatanesque », tandis qu’en 1901 c’est le sieur Maribas -grand astronome et mathématicien- qui officie en compagnie de ses « astronomes » avec une roue céleste… Scènes de prestidigitation, spiritisme, divination de la pensée… on imagine que le badaud doit être impressionné.

De petits étals se sont installés dans les jardins du parc. On peut acheter des éventails, des fleurs et des confettis pour la bataille de la fête de nuit, mais on peut également boire et se restaurer : on trouve à acheter quelques douceurs -des bonbons- mais il est aussi fait mention de la célèbre gaufre clunisoise[2].

Jusque-là, rien de bien exceptionnel dans cette kermesse, allez-vous me dire. Eh bien passons aux attractions particulières. Peut-être pas vous, mais moi, il a fallu que je cherche comment se pratiquaient certains de ces jeux.

Des jeux insolites ?

Premièrement, le jeu de la poêle. Il s’agit d’attraper une pièce de monnaie collée au fond d’une poêle badigeonnée de noir de fumée. Bien entendu, celui qui joue ressemble à la fin à un petit ramoneur et tout le monde rigole.

Deuxièmement, le jeu des pots cassés ou « casse-pot ».

On trouve mention de ce jeu chez Rabelais. La cruche est soit posée à terre, soit suspendue. Le joueur avance masqué et armé d’un bâton. Il doit aller droit au but et fracasser le pot d’un seul coup. La cruche est souvent remplie avec on sait pas quoi (farine, eau…). C’est la surprise garantie pour celui qui arrive à l’atteindre et qui ressort parfois enfariné, parfois mouillé…

En bref, à la kermesse, on s’amuse avec un rien et ça ne coûte que quelques centimes.

Plus insolites encore -et là, nous n’avons aucune d’explication à vous fournir- la lutte de l’homme et du lapin. La lune à un mètre. L’homme canon. Le jeu des chevilles graissées. Quésaco ?

Bon, il y a aussi un canon grélifuge mais nous supposons qu’il ne sert qu’à des démonstrations…

Pour la kermesse, il faut toujours un « clou » du spectacle. Alors là, la ville se décarcasse. En juin 1897, les Clunisois découvrent le tombeur de sangles avec sa troupe et le chacal…

En juillet 1899, le cirque des Kubbu-Thans, sous la direction de Dupinskoff- est invité. Le sieur Dupinskoff arrive avec vingt-cinq circassiens, onze chevaux mais surtout un éléphant. On imagine les enfants, les yeux écarquillés, devant un animal qu’ils ne connaissent alors que par l’image.

La fête de nuit

Pour 50 ou 20 centimes, les Clunisois se sont pressés à la fête de jour mais hors de question de s’en arrêter là. En fin d’après-midi, on commence par une bataille de fleurs et de confettis. L’usage du confetti n’est apparu qu’au début des années 1890 au carnaval de Paris. Symbole du carnaval, de la fête, il ne mettra pas longtemps à atteindre nos campagnes et, dès lors, nous ne trouvons à Cluny aucune fête où il n’y a pas de bataille de confettis.

Puis, le soir tombé, on assiste à « l’embrasement général des jardins du palais abbatial ». Le Clunisois, pour la somme modique de 20 centimes, en a encore pour son argent : représentations théâtrales, projections lumineuses, ballets costumés… Les yeux remplis d’étoiles, les enfants s’endorment dans les bras de leurs parents tandis que les jeunes trépignent en attendant le bal champêtre.

Cette grande fête populaire bat son plein, sûrement jusqu’au petit matin. On se donne rendez-vous à l’an prochain… Déjà la nostalgie les gagne. Si vous aussi, n’hésitez pas cet été, si c’est possible, à vous rendre à la fête champêtre à Saint-Quentin au Rousset. Vous retrouverez à coup sûr un peu de cette ambiance d’antan, une fête où l’on joue et l’on rigole bien avec trois fois rien.


[1] Si vous voulez passer un bon moment et retrouver le plaisir de pratiquer certains de ces jeux, il y a un endroit où vous devez absolument vous rendre en août : c’est à la fête champêtre de Saint-Quentin sur la commune du Rousset-Marizy.

[2] À quelle date la gaufre fait-elle partie de notre patrimoine culinaire ? Didier Mehu dans sa thèse « Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny (Xe-XVe siècle) » fait mention du testament du prêtre Gaillard Raclet qui lègue un fer à gaufres à l’une de ses proches en 1360.