Pas des enfants de choeur

Le « travail » des Gestapistes tricolores ne s’arrête pas à trouver des « affaires ». Ils torturent et ils tuent. Marcel Ruby explique que certains, avant d’être répartis dans toutes la France, recevaient même une formation : « À Taverny, on donne des « cours d’interrogatoire », des… cours de torture aussi[1]. » Si un résistant est soupçonné de détenir des informations, point de scrupule à avoir : « on doit lui appliquer l’interrogatoire forcé. »

Doussot est à bonne école avec l’agent Moog : c’est avec lui qu’il exécute en prison son ami Clairet, après l’avoir dénoncé et arrêté en juillet 1943.

Et, aussi brutaux que leurs homologues allemands, la torture, ils la pratiquent, sans vergogne. Avec Payot, Moine est présent lorsque Barbie torture Max Barel, « Rouchon » dans la résistance[2] : Barel « fut torturé de toutes les façons possibles […] tenta de se suicider de différentes façons […] il fut mis dans une baignoire et arrosé à l’eau bouillante. […] Ceci a été fait par l’Obersturmführer Barbie. » Participèrent à ces interrogatoires deux miliciens : Max Payot et Marcel Moine. Barel mourut dans les locaux de la Gestapo après cinq jours et quatre nuits d’interrogatoire. Son corps n’a jamais été retrouvé[3].

Avant d’accompagner le 20 août le commandant Knab à Saint-Genis-Laval où sera perpétré le plus grand massacre de la région lyonnaise, Payot torturera dans sa villa de Vassieux une femme dans la nuit du 15 au 16 août. Tout le voisinage est terrorisé. On retrouvera des cheveux dans un fourneau. Payot se défendra : il n’a procédé qu’à des baignades mais pas à d’autres tortures. Comme si la baignade n’était pas une torture…

Lors de leurs interrogatoires, tous diront avoir connu un Gestapiste plus brutal qu’eux-mêmes.

Pour Doussot, qui ne faisait pas dans la demi-mesure et qui n’hésitait pas à tuer, Paolini, « était très brutal et faisait généralement les baignoires avec Paul Mathieu et Renard. » Angèle Perrin confirme : Jean Renard, « c’était le plus brutal de l’équipe ». Chacun se défend comme il peut. Mais lorsque les résistants déposeront à la barre dans les procès d’après-guerre, force est de constater qu’il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Doussot, qui a été un maître ès tortures à Lyon, saura se servir de ses compétences lorsqu’il arrivera à Cluny le 6 juin 1944 puisque la première chose qu’il décide de faire pour époustoufler les résistants clunisois, c’est « une baignade ». Accusant Auguste Carton, propriétaire du café du Nord, d’avoir dénoncé des Clunisois en février 1944, il l’embarque direction la route de Château, le torture dans un abreuvoir à vaches avant de l’exécuter de plusieurs rafales de mitraillette. Dès lors, la réputation de Doussot est faite: « Lulu la Gestapo », c’est un vrai dur. Un sadique auquel on confiera la responsabilité du maquis de Crue.

Remplir son bas de laine

Pour leur travail, et c’est sûrement le motif principal qui les amène à vendre leur âme, les Gestapistes tricolores sont très bien payés.

André Jacquin, lorsqu’il offre ses services à la Gestapo, cherche à faire libérer son fils, prisonnier des Allemands. Mais il est surtout sans travail depuis le début de la guerre. En 1943, il entre au service de Pierre Moog. Dès lors, il sera « Milneuf », l’agent chargé de recevoir les dénonciations[4]. Contrairement à Jacquin, Antolino a du travail mais c’était un paresseux selon son supérieur à « La Populaire. » Comment ne pas être appâté par l’argent facile ? Les salaires, expliquera Guesdon[5], variaient selon l’ancienneté, entre 6 000 et 8 000 francs. Par comparaison, en province pour le mois d’avril 1944, le salaire d’un comptable est de 1 670 francs, 1 400 francs pour un conducteur d’autobus, 1 324 francs pour une dactylo[6].

C’est Angèle Perrin qui touchera peut-être le plus bas salaire : 6 000 francs. Thévenot et Antolino déclareront avoir reçu 7 000 francs. Ce sont des petits joueurs par rapport à Payot et Guesdon qui gagneront jusqu’à 10 000 francs.

À ces à-côtés et au salaire fixe, il faut encore rajouter les « frais divers » : de 3 à 5 000 francs. Guesdon, qui serait entré à la Gestapo dans les derniers, touchera 5 000 francs de frais divers auxquels Hollert rajoutait encore 5 000 francs. On comprend mal comment ce Gestapiste entré tardivement à la Gestapo, soit février 1944 d’après ses déclarations, gagne le pactole, excepté s’il a acquis de l’ancienneté dans les services de la Gestapo parisienne avant de suivre Moog à Lyon.

Dès lors, Payot dépensera sans compter et sa maîtresse Thérèse Gerbet, ancienne serveuse, peut se pavaner avec de belles toilettes. Sultana Hasson, maîtresse de Fleury Cinquin, dira qu’il flambait environ 30 000 francs par mois, soit le double de son salaire de Gestapiste.

Les « petits plus »

Car, en plus du salaire fixe, des frais divers, il y a les à-côtés : la voiture et l’essence, les tickets de rationnement, le marché noir, qui permettront de faire bombance alors que le pays crève de faim.

Les petits plus consistent aussi à se partager les valeurs trouvées sur place. Le chef, en l’occurrence Doussot chez les agents français de la section IVE, en garde une grande part mais il doit partager : « Je précise que dans la plupart des cas, les objets saisis chez les personnes arrêtées par la section IVE (linges, fourrures, bijoux, etc. étaient partagées entre les Allemands d’une part et les membres de la section IVE ayant procédé à l’opération. Dans la majeure partie des cas Doussot, en tant que chef de l’équipe, en avait une large part[7]. »

Barbie pensera toujours que Doussot était un agent intègre qui ne se servait pas directement : « Il était correct en ce sens qu’il ne pratiquait aucun vol lors des arrestations ». Mais Barbie ne pouvait pas contrôler tous ses agents et c’était bien mal connaître « Lucien la Gestapo ».

Puis il y a les primes, en monnaie sonnante et trébuchante, que se partage l’équipe en cas de succès lors d’une arrestation. Pour un enlèvement simple, signale Marcel Ruby, c’est 10 000 francs ; pour celui d’une personnalité, c’est 30 000 francs et pour l’assassinat d’une personnalité importante, la récompense est « à débattre[8]. »

Le 6 mars 1944, cours Gambetta, plusieurs personnes furent arrêtées et déportées. Charles Lusinchi et Elia Elmalek sont abattus et, en cascade, les gestapistes tricolores font une belle prise : Marc Bloch du réseau Franc-Tireur. De facto, « à la suite de l’opération du 6 mars 1944, les Allemands décidèrent de récompenser l’indicateur de Georges Villemur. Ils donnèrent une prime de 50 000 francs à Gabriel Gallioud afin qu’il la remette à Ohanes Ohanessian. Après accord, Gabriel Gailloud, Georges Villemur et Jacques Nicolaï se partagèrent cette somme à parts égales[9]. »

Si la Justice met la main sur l’or et l’argent accumulés par Payot, il est certain que d’autres, plus malins, ont eu la présence d’esprit de mettre leur magot à l’abri.

Arrestations, mainmise sur les biens trouvés chez les Juifs ou les résistants, primes distribuées. Puis tout se solde, lorsque l’affaire est finie, par une grande soûlerie. Le vin coule à flot, les Gestapistes sont congratulés : Doussot recevra ainsi -et ce n’est pas rien- les compliments de Berlin à l’issue de l’affaire Kubala[10]

À suivre…


[1] Ruby Marcel. Klaus Barbie, de Montluc à Montluc. Lyon : Éditions L’Hermès, 1983, 263 p., pp. 145-146.

[2] Affaire de l’union des cadres industriels de la France combattante intellectuelle, traitée par Payot. Max Barel ayant parlé sous la torture, dira Payot, ce dernier arrête ensuite en juillet 1944 des industriels et ingénieurs de Lyon et de Saint-Etienne.

[3] https://maitron.fr/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=15706

[4] Chauvy Gérard. Lyon 40-44. Paris : Plon, 1985, 424p., p. 335.

[5] AD Rhône, GR 28P9 1654 : dossier Guesdon. Audition de Guesdon le 25 novembre 1944 devant le commissaire René Brignol.

[6] http://www.numdam.org/article/JSFS_1945__86__172_0.pdf

[7] Procès Doussot, déposition de Fleury Cinquin, 31 mai 1949.

[8] Ruby Marcel. Klaus Barbie…, op.cit., p. 147.

[9] https://maitron.fr/?article220619

[10] Procès Doussot, déposition de Fleury Cinquin, 31 mai 1949.