Nombreux sont les Clunisois qui ont un jour lu ou feuilleté cet ouvrage sur l’histoire de la ville de Cluny. Auguste Penjon l’a rédigé en 1872 avec son compère Pierre Legrand, professeur de dessin dont nous avons déjà parlé[1]. L’ouvrage, édité chez la Veuve Félix à Cluny, fut suivi par une « Notice sur la ville et l’abbaye », imprimée chez Demoule en 1873. Le livre de Penjon sera souvent offert aux élèves méritants du collège à la fameuse « distribution des prix ».
Pour Didier Mehu qui a rédigé sa thèse « Paix et Communautés autour de l’abbaye de Cluny (Xe-XV siècles), l’ouvrage de Penjon est « une succession de monographies sur les édifices civils et religieux du bourg abbatial rédigées sans grand souci de critique historique. » Certes, mais l’historien précise que « bien des opuscules parus depuis l’ouvrage de Penjon [ceux de Daclin, Virey, Magnien, Rozet et Bouillot] se contentent de le recopier[2]. » Notre propos n’est pas ici de disserter sur le contenu du livre de Penjon. Notons quand même que son travail revêt un intérêt particulier pour quiconque s’intéresserait à l’histoire de l’École normale. Et là, je peux vous assurer que l’historien de l’enseignement secondaire spécial, bénit Penjon -les sources n’étant pas nombreuses sur le sujet- d’avoir consacré quelques pages à l’École normale de Duruy.
Le ministre de Napoléon III a su attirer à Cluny des professeurs de valeur et il sortira de l’École normale ou du collège des personnages qui feront des carrières étonnantes, dans le domaine des Sciences, des Lettres, des Arts, etc. Au fil de l’eau, nous vous proposons donc de partir sur leurs traces.
Qui était Penjon ?
Philippe Jacques Esprit Auguste est né à Valence le 7 juillet 1843. Comme son père -professeur de grammaire- Auguste fera carrière dans l’Instruction publique. Il entre à l’École normale de la rue d’Ulm en 1863 ; dans sa promotion il côtoiera notamment le célèbre géographe Vidal-Lablache et Albert Duruy, fils du ministre. En 1866, il réussit l’agrégation de philosophie et il est envoyé au lycée de Mâcon. Duruy l’appelle aussi à l’École normale pour enseigner tout d’abord la morale puis la philosophie.
Selon le directeur Ferdinand Roux, ce professeur -qui partage son service entre le lycée de Mâcon et l’École normale- demande rapidement à être exclusivement rattaché à Cluny : il « est venu plusieurs fois à Cluny, il a vu de près ce qu’était l’école et il comprend l’avenir qui lui est réservé[3]. » Penjon est en effet convaincu que l’enseignement spécial répond à un impérieux besoin de la société moderne. Il recevra en 1866 un traitement de 3 500 francs. Duruy apprécie ce professeur « jeune et intelligent ».
François Fabié, qui rédigera ses souvenirs d’élève, a connu Penjon. Il évoque l’étude de Kant, de Victor Cousin et de Théodore Jouffroy[4]. Tout laisse donc à penser qu’il s’agit de développer une morale du devoir, mais une morale qui fait en même temps de chaque individu un être libre et autonome. La presse ne s’y trompe donc pas lorsqu’elle reproche à V. Duruy d’avoir flatté les élèves « par une indépendance religieuse qui n’est qu’un encouragement à l’impiété. »
Penjon restera à Cluny jusqu’en 1873, date à laquelle il part pour le lycée de Besançon. En 1878, il soutient sa thèse L’infini chez Leibniz.

Trois ans plus tard, il accède à l’enseignement supérieur : chaire de philosophie à la faculté des Lettres de Toulouse (suppléant de Gabriel Compayré), puis titulaire à la faculté des Lettres de Douai en 1882. En 1901, Penjon est décoré dans l’ordre de la Légion d’honneur avec le grade de chevalier.
Il prendra sa retraite en 1913.
Penjon était correspondant de l’Académie des Sciences morales et politiques mais il a également été membre de la Société des Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille. Professeur de philosophie, oui, mais il est toujours, comme à Cluny, un érudit et un passionné d’histoire.
Jean-François Condette lui consacre une notice biographique dans son ouvrage : « Les enseignants de la Faculté des Lettres de Douai puis Lille sous la Troisième République (1870-1940) »[5]. L’historien note que Penjon, à la retraite depuis 1913, reste très actif : « Pendant la Première Guerre mondiale, [il] redouble d’activités malgré son grand âge ; il s’occupe de la bibliothèque municipale de Douai et continue à donner quelques heures de cours à la faculté lilloise tout en s’occupant de l’organisation du baccalauréat. Il est emprisonné dans les cachots de Cuincy puis évacué de force par les Allemands, enfermé au fond d’une péniche jusqu’à Orchies en 1918. »
Il décédera un an plus tard. Penjon était marié, sans descendance.
[1] Voir l’article : Pierre Legrand : un artiste belge à Cluny.
[2] Mehu Didier. Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny (Xe-XVe siècles). Université Lyon II, 1999, p. 28.
[3] AN/F17/8737 : lettre de F. Roux à V. Duruy, 25 août 1867.
[4] Fabié François. Souvenirs d’enfance et d’études. Éd. du moulin de Roupeyrac, Rodez, rééd. 1993, 235 p., p. 225.
[5] https://books.openedition.org/irhis/116LES LETTRÉS DE LA RÉPUBLIQUE