On a beaucoup parlé cette après-midi aux archives de Pierre-Paul Prud’hon. Bien entendu, vous savez déjà tout de la statue de P-P. Prud’hon. Mais, jusque-là, nous n’avions jamais réalisé les mésaventures que connut le buste de l’enfant du pays.

C’est Léon Daclin, alors maire de Cluny et président du syndicat d’initiative, qui en parle le mieux. Alors, puisque le temps nous invite à rester au chaud, petit voyage dans le temps, de 1868 à 1923…

Prud’hon, victime collatérale de deux guerres

C’est en 1868 que l’idée germe à Cluny d’ériger à P-P. Prud’hon une statue grâce au poète Thalès Bernard (1821-1873) lequel adresse au maire de la ville le 8 décembre 1868 « quelques vers destinés à la mémoire du grand artiste. » Le XIXe siècle, c’est le siècle de l’art statuaire. Dans les villes, les jardins, les places ont toutes leurs statues. Et à Cluny, il y a bien celle de Napoléon III dans les jardins de l’abbaye, mais la ville n’a pas son « Grand homme », comprenez un natif du pays.

Et puis, à Tournus, on vient d’inaugurer la statue de Greuze… Lors de l’inauguration, Arsène Houssaye[1] fait du pied à Cluny : « Et maintenant que Greuze tout habillé de cette étoffe immortelle qui s’appelle marbre, est revenu en triomphe parmi ses concitoyens (…) pensons à son compatriote et ami, Prud’hon. (…) J’espère un jour venir saluer sa statue comme je salue celle de Greuze. »

Comme il se doit dans pareils cas, une souscription doit être lancée car les municipalités ne supportent jamais seules les frais inhérents à l’érection d’un buste.

Les Prussiens font capoter le projet

Arrive la guerre de 1870. L’opération est stoppée net. Les Prussiens sont à nos portes et la statue est devenue le cadet des soucis de la mairie. Il faut attendre 1874 pour que le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts passe commande à Émile-Louis Truffot d’un « sujet de sculpture ». Heureux hasard. L’artiste choisit de réaliser un buste de Prud’hon, d’une part parce qu’il admire l’œuvre de l’artiste et, d’autre part, parce qu’il connaît le Mâconnais. Il a déjà érigé à Mâcon en 1870, place de la Pyramide (actuelle place Genevès), une statue de la vigne.  

Le 2 septembre 1874, « l’artiste propose, à la ville de Cluny, l’œuvre projetée et donne au maire des indications pour la construction d’un piédestal qui devra supporter le buste », écrit L. Daclin. Afin de réaliser son œuvre, Truffot travaillera à partir d’une miniature que lui a remise Eudoxe Marcille[2].

En 1853, M. Marcille père, grand admirateur du peintre et collectionneur de ses oeuvres, avait déjà fait don à Cluny d’une plaque de marbre portant cette inscription[3].

Selon Alfred Forest, biographe de Prud’hon, « cette plaque figure sur une maison rue Saint-Marcel et non pas sur celle que nous venons de décrire et où est né Prudon ?? Cette maison aura été jugée de trop chétive apparence et mal située ? Peut-être aussi les propriétaires ont-ils craint — appréhension chimérique ! — d’être dérangés par les visiteurs ? et ont-ils refusé la plaque indicatrice ? Ce détail n’a d’importance qu’au point de vue de la vérité historique qu’il est de notre devoir de rétablir, puisque jusqu’alors aucune municipalité clunysoise n’a jugé à propos d’acquérir cette maisonnette — la dépense eût été si mince ! — où naquit le plus illustre de ses enfants ! »

Vas savoir… Mais revenons aux Marcille.

Les frères Marcille ont hérité des collections de leur père, dont de nombreuses toiles de Prud’hon. Les frères Goncourt racontent leur première entrevue avec Eudoxe : « Que de Prud’hon chez un des deux fils de M Marcille ! Il en tire des murs, des armoires, des coffres, de partout ! » En 1874, Eudoxe organisera une exposition sur Prud’hon à l’Ecole des Beaux-Arts au profit de la fille de Prud’hon qui vit dans la misère.

Le buste de Truffot sera exposé au salon de 1875 avant d’être envoyé au pays de Prud’hon.

Il ne manque plus qu’à choisir la date de l’inauguration et l’affaire est dans le sac. Mais en juillet 1879, Truffot s’impatiente : son buste a été envoyé à Cluny mais -sœur ma sœur Anne- l’artiste ne voit toujours rien venir. Il faut dire que Cluny a changé trois fois de maires depuis 1875 et que cela n’arrange pas les affaires de Prud’hon.

De leur côté, les Clunisois auxquels on avait fait miroiter des festivités, décident de ne plus attendre. En 1880, lors d’une fête locale, ils prennent l’initiative d’installer eux-mêmes le buste sur « sa » fontaine. Puis, sans que l’on sache pourquoi, le buste de Prud’hon est remisé au musée.

Le 15 juillet 1875, la commission municipale du monument choisit l’emplacement : une fontaine.

Le Millénaire relance l’affaire

Arrivent les fêtes de 1910. Les célébrations du Millénaire ramènent le buste de Prud’hon sur le devant de la scène. C’est Émile Forest, en 1911, qui s’adresse au maire pour lui reparler de l’enfant du pays. Forest est membre associé de l’Académie de Mâcon société des Arts, Sciences et Belles-Lettres et historien de Prud’hon. L’Académie soutient fermement le projet et le jeune syndicat d’initiative de la ville de Cluny s’enthousiasme.

Mais Prud’hon sera encore une victime collatérale de la guerre, celle de 1914. Une fois encore le projet est tué dans l’oeuf.

Il faut attendre 1923 pour que le projet refasse surface. Un comité local se met en place et il est secondé par le syndicat d’initiative. Toujours chaperonnée par l’Académie de Mâcon, se rajoute à cette initiative la Société mâconnaise des amis des Arts. Le peintre charollais Jean Laronze[4], vice-président de l’Association des artistes français, milite également pour que Prud’hon soit honoré.

Plus d’un demi-siècle après, ça y est ! La date de l’inauguration est enfin fixée. Ce sera pour le 21 mai 1923, rue Saint-Marcel.

Le programme des fêtes paraît dans la presse et puis…plouf. Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts ayant annoncé sa venue, il faut repenser toute l’affaire. L’inauguration sera reportée au 24 juin de la même année.

Au programme : conférence sur P-P. Prud’hon par Georges Lecomte au théâtre (il ne viendra finalement pas), grand banquet sous la halle de la place du Marché, inauguration à 13h30 du buste, visite du vieux Cluny l’après-midi et fêtes de nuit dans les jardins du palais abbatial, festival par l’harmonie du Rhône. À 22H30, feu d’artifice et concert par les Trompes de chasse de Cluny. Jusqu’au bout, Prud’hon jouera de malchance : le ministre lui fait finalement faux bond et déserte la cérémonie, retenu à Paris pour la discussion du budget.

Voilà comment se termine la longue histoire de la statue de Prud’hon…

Elle aura la chance de ne pas être une victime collatérale du gouvernement de Vichy et elle restera debout, même après les bombardements du 11 août 1944.

11 août 1944, rue St-Marcel

[1] A. Houssaye (1814-1896), homme de Lettres. Il fut président de la Société des gens de Lettres et administrateur général de la Comédie française.

[2] https://www.britishmuseum.org/collection/term/BIOG204199. E. Marcille est un collectionneur d’art et mécène. Directeur du musée d’Orléans en 1870. Président de la Société des Amis des Arts, 1871. En 1874, il organise une exposition sur Prud’hon à l’Ecole des Beaux-Arts au profit de la fille de Prud’hon. Voir également : https://www.persee.fr/docAsPDF/cejdg_1243-8170_2002_num_1_9_901.pdf

[3] Forest Alfred. Pierre-Paul Prud’hon, peintre français (1758-1823). Paris : E. leroux, 1913, 234 p.

[4] http://www.jean-laronze.fr/