Les indicateurs lâchent leur bout de gras

Après avoir fait ses preuves, le Gestapiste tricolore n’a de cesse que de trouver de « nouvelles affaires ». Alors il rôde en ville, fréquente les bars louches, interroge ses indicateurs. Lorsque Fleury Cinquin veut faire un coup, il s’adresse à Valentine R. Cette mère de famille a trois enfants qu’elle élève seule. Après avoir tenu un hôtel rue Condé avec son amant, elle fait marcher tant bien que mal un petit commerce de bonneterie situé rue de la Victoire. Cinquin lui a déjà proposé de la marchandise à vendre. En échange, pour quelques milliers de francs, elle lui a déjà indiqué des Juifs à arrêter : « Tiens, voilà deux Juifs, mais ils ne sont pas intéressants. » En mai ou juin 1944, Cinquin stoppe sa voiture devant le commerce de sa balance : « On n’a plus d’argent. Vous ne pourriez pas m’indiquer une affaire ?[1] » Ce jour-là, la commerçante n’a rien à proposer.

Toujours à l’affût d’une information, les Gestapistes rôdent chez leurs informateurs attitrés : Clovis D. est restaurateur à Champagne-au-Mont-d’Or. Cinq ou six voitures allemandes stationnent régulièrement chez lui. Peut-être y déjeune-t-on bien mais ce n’est pas la seule raison qui pousse les Allemands et leurs auxiliaires à fréquenter le restaurant : « Nous allons chez lui parce qu’il en croque », dira Cinquin.

Interrogé le 30 Septembre 1944 par l’inspecteur François Vaudant, Cinquin donnera une liste des principaux indicateurs du S.D. avec leurs noms et signalements : un petit mulâtre qui tenait un restaurant dans les derniers numéros de la rue Confort, M…, ex-contrôleur aux tramways de Lyon, M… qui habitait villa des Figuiers à Collonges-au-Mont-d’Or, R…, entrepreneur de transports à Vaise, un parfumeur de la rue Chenavard, M… de Neuville-sur-Saône, la caissière du bar « le Tonneau ». Avenue Berthelot, on l’accueillait volontiers : « Tiens, voilà la caissière du Tonneau qui vient lâcher son bout de gras. (…) Elle présentait sa carte d’identité et montait dans les services. »

La Gestapo peut compter sur les lettres, anonymes ou non, mais surtout sur les délateurs occasionnels qui se présentent en nombre. A. Halimi estime que trois millions de dénonciations ont ainsi permis « à la Gestapo d’entretenir un climat de terreur[2]. »

Parce que ça paie bien, on vient volontiers vendre ses renseignements.

Peter Hammerschmidt cite Barbie à ce sujet : « À notre grande surprise, des gens se présentaient tous les jours à l’hôtel Terminus, et plus tard à l’École de santé, pour dénoncer oralement ou par écrit des résistants et des opposants de toutes sortes[3]. » Jacquin, qui s’occupe de les recevoir, en voit « de tous âges, de toutes origines. » Un curé du Vercors qui « donnera » une réunion des responsables en avril 1944 à Saint-Martin-en-Vercors, touchera 20 ou 25 000 francs. Une femme qui dénonce deux transporteurs ravitaillant le maquis empoche 10 000 francs[4] et pour avoir dénoncé Marcel Souillot[5], Germaine Poizat -connaissance d’Angèle Perrin- touchera la modique somme de 5 000 francs.

Si la plupart du temps le dénonciateur vient à la Gestapo donner des résistants ou des Juifs, il balance aussi parfois tout simplement son voisin, une connaissance, par esprit de vengeance et pour quelques billets. Tel ce client du café Noel, rue Sébastien Gryphe : 1.70 m, type ouvrier en casquette, maigre. Guesdon dira qu’il a donné deux femmes et un homme, des résistants disait-il. Les deux femmes ne furent pas relâchées[6].

L’argent empoché, le dénonciateur sait qu’il n’a pas pris beaucoup de risques : l’agent Bertrand qui recueille la dénonciation de Thérèse Gerbet -maîtresse de Payot- la rassure ainsi « N’ayez aucune crainte Madame, les gens que nous arrêtons ne sont jamais plus en mesure de faire du mal à qui que ce soit[7]. »

Barbie se targuera d’avoir décapité la résistance lyonnaise dès 1943. Mais aurait-il eu les mêmes chances d’y parvenir sans l’aide de tous ses Gestapistes tricolores et des dénonciateurs occasionnels ?  Rien n’est moins sûr.

À la Libération, la roue tourne et la note est salée pour certains de ces auxiliaires de la Gestapo lyonnaise : confiscation de biens, dégradation nationale, peine d’emprisonnement, voire de mort pour quelques-uns. Ce sera à leur tour de payer.

À suivre…


[1] Ad Rhône, 394 W 321 : dossier Cinquin. Audition de Valentine R…, 31 janvier 1945.

[2] Halimi A. La délation sous l’Occupation, cité in : Ruby Marcel. Klaus Barbie, de Montluc à Montluc. Lyon : Éditions L’Hermès, 1983, 263 p., p. 186.

[3] Hammerschmidt, Peter. Klaus Barbie. Nom de code Adler. Les Arènes, 2016, 463 p., p. 42.

[4] Chauvy, Gérard. Lyon 40-44. Paris : Plon, 1985, 424 p., p. 336.

[5] AD Rhône, 394 W 251 : dossier Antolino. Rapport du commissaire de police Lucien Martin, 4 août 1945. Belle prise pour Doussot en décembre 1943 : avec Marcel Souillot du réseau Brutus, tomberont les résistants : Joseph Collonge, Claude Decrant, Jean Blondeau, Evrard, Jean Hausseguy Pierre et Suzanne Petit et le docteur Fousseret.

[6] AD Rhône, GR 28P9 1654 : dossier Guesdon. Rapport du commissaire Brignol, 25 novembre 1944.

[7] AD Rhône, 394 W 204 : dossier Gerbet. Déposition de Maurice Pion, auprès du commissaire René Brignol, 4 octobre 1944. Pion était présent dans le bureau de Bertrand lorsque T. Gerbet s’est présentée à la Gestapo.