Si la « Lucienne » et Thérèse passent à l’ennemi pour « sauver » leur mari ou amant, qu’en est-il des hommes de la Gestapo tricolore ? Les motifs qui les poussent à travailler avenue Berthelot sont variés.

Doussot et son compère Thévenot certifieront que c’est la résistance qui les a poussés dans les bras de la Gestapo, alors que Lucien Guesdon témoignera, affirmant que Doussot a lui-même offert ses services à Moog.

Selon André Jacquin, Antolino serait venu lui-même se faire engager au service de renseignements allemands[1]. Mais Antolino cherchera en 1946 à se dédouaner : arrêté soi-disant en août 1943 parce qu’il appartenait aux Jeunesses communistes, battu, privé de nourriture, il n’a pas d’autre choix que d’accepter de travailler pour Moog. Remis en liberté, il se présente de son propre chef au 1 rue de la Tête d’Or pour retrouver l’équipe française[2].

Fleury Cinquin est arrêté au mois d’août 1943 pour escroquerie. Libéré, il doit partir au STO alors qu’il est réformé. Faute de STO, on lui demande s’il sait conduire et dactylographier. Sans trop le forcer, l’affaire est dans la poche : il devient chauffeur du lieutenant Fritz Muller en janvier 1944. Quant à Lucien Guesdon, il dira qu’il n’aimait pas particulièrement les Allemands mais qu’il haïssait surtout les Juifs et les Communistes. Il aurait fait la connaissance de Moog en prison, au Cherche-Midi. Libéré, il retrouve Moog qui lui propose de travailler à Lyon. Les choses vont bon train : Barbie lui remet un revolver et, deux ou trois jours après son arrivée au SD de Lyon, il participe à une opération contre le maquis dans l’Ain.

Tentant de passer à travers les mailles du filet de la justice au moment de leur procès, chacun y va ainsi de sa petite histoire et de sa petite excuse…

Faire ses preuves : apporter une « affaire »

Une fois entrés au S.D. de Lyon, une chose est sûre : il faut faire ses preuves. Et cela se traduit par amener sa propre affaire à la section, comprenez dénoncer une femme ou un homme de l’ombre. Alors quoi de plus facile que d’en trouver une ou un dans son entourage immédiat, même si c’est un ami ? Doussot dénoncera son ami Clairet en juillet 1943 et il sera ainsi définitivement adoubé par Moog.

Pierre Revellin[3] rapportera le 18 septembre 1945 les confidences d’Antolino. « J’y suis entré de la façon suivante : j’ai monté une affaire point c’est-à-dire que j’avais réussi à réunir certains renseignements sur des résistants et je les ai dénoncés. » Si la section IVE est satisfaite, elle engagera définitivement l’agent Antolino.

Antolino connaît depuis 1936 le résistant Barattier – agent de liaison des M.U.R.- puisqu’ils appartenaient tous deux au Parti Communiste. Ils se retrouvent à Lyon en août 1943. Antolino va proposer à Barattier de l’accompagner dans deux déplacements, à Toulouse puis à Clermont-Ferrand où le résistant doit déposer du courrier. Sûr de son fait, Antolino dénoncera alors son ancien camarade et fera de même ultérieurement avec son supérieur hiérarchique caladois -Jean Gord- à la compagnie d’assurances « La Populaire ». Les chefs d’Antolino auront ainsi de quoi être satisfaits : « J’ai pu constater que son travail avait l’air de lui plaire. Il faisait avec empressement tout ce qu’on lui commandait », dira à son sujet la Gestapiste Angèle Perrin le 31 octobre 1945.

« Retourner un résistant »

Autre point fort pour plaire, c’est de pouvoir « retourner » un résistant. Ils seraient ainsi, selon G. Chauvy et Ph. Valode entre 2 000 à 2 500 à être passés dans le camp ennemi. P. Hammerschmidt qui a eu accès aux archives privées de Barbie le cite à ce sujet : « Il fallait beaucoup de psychologie et de prudence pour retourner un résistant qui se retrouvait en détention, et j’étais devenu expert en la matière. Ces (…) agents achetaient leur liberté en promettant de continuer à travailler pour moi au sein même de la Résistance. Bien entendu, nous prenions les précautions nécessaires pour obliger les agents à nous obéir et à jouer un double jeu[4]. » Lorsqu’il rédige ces lignes en 1983, Barbie cherche-t-il à salir la mémoire de la Résistance ? Absolument pas.

En effet, si Barbie est très fort à ce jeu, les Gestapistes français savent aussi bien faire. Lucien Guesdon arrêtera ainsi Marcel Moine, agent du réseau Brutus. Guesdon lui propose le marché : la déportation de ses parents ou travailler pour le S.D. Ce tout jeune homme choisit le S.D.

Moine, libéré de Montluc[5], accepte de travailler dans l’équipe de Guesdon et Fritz Hollert accepte de le prendre à l’essai.

Guesdon laisse à la famille Moine l’argent de la résistance. En échange, le retournement de Moine conduit à l’arrestation des trois filles de la famille Arcelin (Paulette, Madeleine et Suzanne). Toutes les trois seront déportées. Le 19 mai 1944, c’est au tour du commandant Fourcaud, le chef des filles Arcelin[6]. Le radio du réseau Brutus est également abattu par Pozzi, autre membre de l’équipe de Guesdon.

Recruter des gamins

Pour recruter encore plus d’agents, la bande Moog-Doussot ne recule devant rien. Le 19 juin 1943, ils arrêtent Alberte Bourde et son fils place Bellecour. Dix jours plus tard, ils s’en prennent aux voisins des Bourde qui cachent un poste émetteur. Edmond Marroux (1899-1945), son épouse Julia (1904-1944) et leurs fils Maurice (1925-2017) sont déportés. Mais les Marroux ont un autre garçon : René et il n’a que treize ans. Peu importe. La bande prend l’adolescent sous son aile et René devient ainsi un de leurs indicateurs. Si les parents Marroux décèdent en déportation, leur fils Maurice revient. On imagine que les retrouvailles des deux frères n’ont pas été des plus simples.

Une arme, un Ausweis et une bagnole

Selon Klaus Barbie, la période d’essai d’un nouvel agent dure de deux à trois mois pendant lesquels on le teste. S’il a montré de réelles capacités à servir la SIPO-SD, il reçoit une arme et un ausweis « comme quoi il faisait partie de la police allemande[7]. » L’ausweis, appelé plus communément « le carton », permet à son possesseur non seulement de circuler librement, mais de pouvoir réquisitionner également à son service les forces d’occupation. Autre point non négligeable, le Gestapiste hérite d’une ou plusieurs voitures et d’une denrée introuvable à l’époque : de l’essence.  

À suivre…


[1] AD Rhône, dossier Antolino 394 W 251. Déposition de Jacquin, 24 août 1945.

[2] AD Rhône, dossier Antolino, 394 W 251. Motifs de son arrestation confirmés par une déposition de Joseph Barthélémy qui a consulté son dossier à la Gestapo en mars 1944.

[3] Revellin a travaillé avec Antolino à la compagnie d’assurances « La Populaire ».

[4] Hammerschmidt, Peter. Klaus Barbie. Nom de code Adler. Les Arènes, 2016, 463 p., p. 43. L’auteur cite les Mémoires non publiés de Barbie (1983), épisode « Lutte contre le maquis. »

[5] https://archives.rhone.fr/ark:/28729/bxd754hcl8qk. Moine est libéré après un jour de détention à Montluc.

[6] https://www.ordredelaliberation.fr/fr/compagnons/pierre-fourcaud

[7] Déposition de Barbie à Aimé Ferrier (Inspecteur de la Sûreté Nationale) en Bavière le 8 décembre 1948.