On lit dans La Croix du 12 février dernier :
Dans l’ombre de l’Affiche rouge – Rino Della Negra – Résistant
Récit réalisé à partir d’entretiens avec l’historien Stéphane Mourlane. Béatrice Bouniol, Hommage à Rino Della Negra à Saint-Ouen. Yann Castanier – Association des familles de fusillés.
« Il n’a laissé qu’une lettre. Mort à 20 ans, Rino Della Negra n’appartenait pas à un monde où l’écrit est une évidence. Lorsqu’il naît à Vimy, dans le Pas-de-Calais, en 1923, cela fait une dizaine d’années que ses parents ont quitté leur Frioul natal pour la France. Son père, briquetier, a pris la route suivie par des milliers d’Italiens, après que l’invasion autrichienne a mis à mal l’industrie régionale.
Rino a 3 ans lorsque sa famille rejoint la commune d’Argenteuil, en région parisienne. Quartier Mazagran. Enraciné sur la colline gypseuse de la ville, le coin accueille dès la fin du XIXe siècle les flots de travailleurs étrangers que réclament les nouvelles usines. Rino grandit là, et si son histoire est en grande partie muette, cette appartenance pourrait bien en éclairer le cours. Car, dans cette banlieue parisienne devenant rouge, Mazagran s’invente alors en petite Italie antifasciste.
Les parents de Rino ne sont pas particulièrement engagés. En tout cas, ils n’apparaissent jamais dans les rapports de la police qui surveille la zone. Aucune mention non plus de leur fils qui, à l’âge de 14 ans, devient apprenti ajusteur à l’usine automobile Chausson. Pas même une inscription au Parti communiste. Jusqu’à la guerre, le garçon ne se fait pas remarquer, en dehors des terrains de foot.
Rino est attaquant, on le dit très rapide. À 19 ans, il est recruté par le Red Star, qui vient de remporter une cinquième Coupe de France. Mais il n’a pas le temps d’enfiler le maillot vert et blanc du club : en 1942, il est requis pour le Service du travail obligatoire en Allemagne. Courte carrière sportive, clandestinité immédiate. Le footballeur échappe aux gendarmes de l’époque, comme à notre regard des décennies après. Seul indice, on sait qu’il se cache un temps chez un ami arménien. Est-ce lui qui ouvre à Rino la porte de la Résistance ?
Ses faits d’armes le font apparaître à nouveau en 1943. Au sein du troisième détachement italien des Francs-tireurs et partisans – Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI). En région parisienne, c’est Missak Manouchian qui les commande. S’y recrutent étrangers et apatrides, rescapés et immigrés jetés dans la clandestinité par Vichy, communistes, parfois d’anciens brigadistes. En moyenne, une action armée tous les deux jours.
Durant le seul mois de juin 1943, Rino participe, au moins, à trois attaques. Le 7, l’exécution du général von Apt, rue Maspéro. Le 10, l’attaque du siège du parti fasciste italien, rue Sédillot. Le 23, celle de la caserne Guynemer, à Rueil-Malmaison. Il multiplie les pseudos comme « Robin » ou « Chatel », son dernier. Le 12 novembre, ils sont deux à fondre sur des convoyeurs de fonds allemands rue La Fayette. C’est un traquenard. Course-poursuite, tir tendu, transfert à l’hôpital de la Salpêtrière, puis à la prison du Cherche-Midi.
Les jours suivants sont criblés d’arrestations. Le 15 novembre, les renseignements généraux mettent la main sur Missak Manouchian. Le sort de Rino, comme celui des 23 membres du groupe, est scellé devant le tribunal militaire allemand, à l’hôtel Continental, en février 1944. Ils tomberont ensemble au Mont-Valérien. Le jeune Italien, le 21 février 1944. Dans les jours qui suivent, la propagande nazie grave dix visages sur une affiche, qui devient vite un linceul. Rino n’y apparaît pas.
Il n’a laissé qu’une lettre, adressée à son jeune frère la veille de sa mort, un dernier signe à l’attention de ses parents et de son ancien club. « Envoie le bonjour et l’adieu à tout le Red Star. » Les mots de Manouchian, son ancien chef, lui offrent une autre épitaphe : « La vie n’est pas dans le temps, mais dans l’usage. »