On trouve un peu partout des cartes postales de la Fête de la Mutualité scolaire à Cluny.

Mais qu’est-ce-donc que cette « Mutualité scolaire » ? Une fête réunissant tous les enfants des écoles qui défilaient dans les rues de la ville à l’approche des vacances ? Nenni ma foi. Il faut retourner dans le XIXe siècle pour comprendre cette initiative originale due à Jean-Cyrille Cavé et à un agrégé de l’enseignement spécial, grand promoteur de la Mutualité : Edouard Petit.

Au milieu du XIXe siècle, la caisse nationale des retraites existe. Chacun peut cotiser pour ses vieux jours, à condition d’avoir les moyens de le faire. Conséquemment, toute une frange de la population vieillit mal, notamment les ouvriers, les paysans qui, l’heure de la retraite sonnée, restent souvent à charge de leur famille.

Pour encourager les Français à cotiser et à préparer leurs vieux jours, Jean-Cyrille Cavé eut alors l’idée d’encourager les enfants, dès leur plus jeune âge, à devenir des Prévoyants de l’avenir.  

Mutualiser les enfants

« La mutualité reste globalement un mouvement d’hommes jeunes durant la plus grande partie du XIXe siècle. De ses rangs sont exclus les femmes, les vieillards mais aussi les enfants : en 1898, seules 9 % des sociétés approuvées les admettent. En dépit des appels de plusieurs responsables et intellectuels qui plaident depuis le Second Empire pour la suppression des exclusions liées à l’âge ou au genre, à l’instar de Jules Simon, les évolutions dans ce domaine sont très lentes. A cet égard, l’intervention de Jean-Cyrille Cavé (1834-1909) s’avère décisive. En 1881, cet ancien négociant en vin, juge au tribunal de commerce, fonde une « société de secours mutuels et de retraite du XIXe arrondissement ». Ouverte aux enfants de 3 à 13 ans, cette mutuelle scolaire s’inscrit dans un contexte particulier, marqué par le vote de la première loi scolaire instaurant la gratuité des écoles publiques. Elle sera complétée par une seconde loi (28 mars 1882) sur l’obligation scolaire pour les enfants des deux sexes de 6 à 13 ans.

« Avec cette petite rente, un pauvre vieux n’est pas entièrement à la charge des siens. » E. Petit.

Cotiser contre le risque maladie et pour sa retraite dès trois ans !

Le système consiste en la collecte, par les instituteurs, d’une cotisation hebdomadaire de deux sous, dont une partie est destinée à se prémunir contre le risque maladie, et l’autre à constituer un livret d’épargne déposé à la Caisse nationale des retraites et de la vieillesse. Au-delà de ses missions immédiates – améliorer la prévoyance scolaire et la scolarisation, qui se heurte encore à de fortes résistances au sein de la société –, la mutualité scolaire vise à sensibiliser les enfants, dès le plus jeune âge, aux principes de la solidarité et aux valeurs mutualistes. Le fonctionnement démocratique y est assuré par la participation du père ou, à défaut de la mère aux assemblées générales. Par leur inscription dans le projet républicain d’éveil à la citoyenneté, les mutualités scolaires font l’objet d’un intérêt croissant du personnel politique : ainsi, les maires y figurent-ils en tant que membres honoraires aux côtés des instituteurs, des inspecteurs de l’enseignement primaire et de médecins. »

Selon le calcul d’Édouard Petit, l’enfant verse chaque semaine 0.10 F. Le total de ses cotisations jusqu’à douze ans lui procurera une pension de 31 F à soixante ans. Mais, s’il continue -à l’âge adulte- de cotiser, il pourra compter sur une pension équivalente à 150 F. Le système fit des émules puisque la Belgique et la Norvège l’adoptèrent.

Des débuts laborieux à l’essor du mouvement

« Aussi ambitieuse soit-elle, l’initiative ne connaît pas le succès escompté par ses promoteurs : au désintérêt des instituteurs, focalisés sur la mise en route de l’institution scolaire, s’ajoute le peu d’enthousiasme des familles. Malgré le soutien de la Ligue de l’enseignement, les initiatives sont d’abord assez rares, avant la rencontre décisive, en 1897, entre Jean-Cyrille Cavé et Edouard Petit, inspecteur de l’Instruction primaire. Convaincu de l’intérêt de la mutualité scolaire, ce dernier parvient à rallier les instituteurs à sa cause, qui eux-mêmes œuvrent à sa diffusion auprès des familles. Au même moment, la Charte de la Mutualité (1898) reconnaît l’existence des mutualités scolaires, et diffuse des premiers statuts-types.

De cette conjonction d’efforts, découle l’essor des mutualités scolaires : d’environ 560 000 vers 1900, les effectifs atteignent près de 900 000 à la veille de la Grande Guerre. Aux « grandes Cavés », qui regroupent les adhésions au plan départemental, répondent les « Petites Cavé » au niveau cantonal. L’attention se porte également sur les adolescents de 13 à 20 ans : qu’il s’agisse de la mutualité postscolaire ou du « Pont mutualiste », qui permet aux jeunes issus de mutualités scolaires d’être dispensés de droit d’admission dans des sociétés adultes, l’objectif est de favoriser leur intégration et de développer la mutualisation dans cette tranche d’âge, encore à l’écart du mouvement.

L’essoufflement du mouvement

« Durant cette phase de croissance, les mutualités scolaires diversifient leurs activités par la création de bibliothèques scolaires ou la distribution de secours pour les écoliers les plus pauvres ; en Franche-Comté, les fonds sont investis dans des opérations de reboisement[1]. Pour autant, l’efficacité réelle des prestations reste limitée : un grand nombre d’adhérents cesse en effet les versements sur les livrets de retraite une fois l’école quittée, en dépit des possibilités offertes par la loi de 1910 sur les Retraites ouvrières et paysannes de les prolonger. En 1906, la circulaire diffusée par Georges Clémenceau recommandant leur fusion dans les sociétés adultes témoigne du fait que « la mutualité scolaire réalise mal sa jonction avec les sociétés de secours mutuels des adultes[2]. »

Après-guerre, différents facteurs se conjuguent pour accentuer leur déclin. Tandis que la dévaluation monétaire porte un coup de grâce à l’épargne retraite, la mise en place des Assurances sociales, en 1930, leur fait perdre leur spécificité dans la prise en charge des enfants. Malgré leurs efforts pour réorienter leurs activités vers des missions de prévention ou de colonies de vacances, leurs effectifs connaissent une chute ininterrompue, passant de 600 000 en 1933 à 208 000 membres en 1955, au sein de 355 groupements.

Affaibli, l’esprit des mutualités scolaires ne disparaît pas pour autant. Durant l’entre-deux-guerres, leur dynamique est reprise sous deux nouvelles formes, aujourd’hui encore très actives, d’une part les coopératives scolaires, qui se rassemblent en 1929 au sein d’un Office central de la coopération à l’école (OCCE), et de l’autre les Mutuelles accident élèves (MAE) : apparues en 1932 sous l’impulsion des Autonomes de solidarité, spécialisées dans la défense des instituteurs contre les accidents et les risques juridiques, elles procurent une assurance scolaire aux écoliers. »

https://www.mutualite.fr/la-mutualite-francaise/le-mouvement-mutualiste/histoire-des-mutuelles/serie-dete-saison-3/la-mutualite-et-les-enfants/


[1] A. SAVOYE, E. GUEY, « La coopération scolaire selon Barthélemy Profit, une composante de l’Education nouvelle ? », L’éducation nouvelle, mars 2011.

[2] A. HENRY, Serviteurs d’Idéal, tome 2 : « Les bâtisseurs », Paris, centre fédéral FEN, 1987.