Robert Moog, agent K30
Mai 1944
Après l’opération « Korporal », où est Moog ? Nous n’en savons rien.
À l’appui d’un témoignage de Barbie s’amusant souvent à noyer le poisson, plusieurs historiens le pensent présent à Lyon en mai 1944 lors du bombardement. Moog se serait enfui en emportant deux valises pleines de documents pris au siège de la Gestapo. Moog est-il réellement à Lyon en mai ? Barbie se trompe-t-il de bonhomme ? En effet, Doussot s’accordera la paternité d’avoir volé les mêmes documents[1].
Klaus Barbie, interrogé en Bavière au sujet de Doussot le 8 décembre 1948 par l’inspecteur de sûreté nationale Aimé Ferrier, confirmera que des documents avaient disparu lors du bombardement. Toutefois, il a pensé, à l’époque, « que c’était le résultat du dégât causé par le bombardement. (…) J’ignore si lors de son départ, Doussot, a emporté des documents. Je ne me suis aperçu de rien. » Du reste, souligne Barbie, « aucune enquête n’a été ouverte à ce sujet. » Pour la Gestapo, cette disparition de documents est anodine.
En 1972, Barbie changera sa version des faits : ce serait Moog [Barbie l’appelle alors « Pierre »] qui aurait embarqué les documents… et l’Histoire ne retiendra que cette version, sans se soucier du premier témoignage de Barbie.
Mais alors, où est Moog depuis l’opération « Korporal » jusqu’au débarquement ? Selon une note de la DGER, il aurait été emprisonné par les Allemands en raison de vols répétés pour son compte personnel, puis il aurait travaillé chez Citroën. Pour finir, il aurait été parachuté en décembre 1944 vers Paris…

Selon les renseignements fournis par Guesdon, est-ce à cette période qu’il a procédé à son déménagement ? Se cache-t-il avec Saumande à Montgeron dans l’Essonne[2] ?

Saumande sera arrêté en 1949. Mais pas Moog.
F-M. Guillin, secrétaire du général Delestraint, pense qu’il serait mort à Francfort-sur-Main dans un accident d’avion en septembre 1944 alors qu’il devait être parachuté dans les lignes françaises, en tant qu’agent secret allemand[3]. Plus récemment, Mark Seaman écrit qu’il a pu aussi disparaître dans un accident de voiture en 1944[4]…
Dead or alive ?
Le 13 avril 1945, une information judiciaire est ouverte contre Moog. Puis, le 24 août 1945, un mandat d’arrêt est lancé. Il fait l’objet d’un non-lieu en date du 19 décembre de la même année. Le 27 juillet 1970, le procureur général note : « Il convient donc d’annuler les recherches les concernant. »
Alors que ses compères René Saumande et André Morin ont été jugés et fusillés en février 1952 à Arcueil, Moog, condamné par contumace à la peine de mort, a échappé à l’exécution puisqu’il a bel et bien disparu.
Vivant, mort ? Les langues vont bon train lorsqu’on s’aperçoit qu’il a divorcé en 1948. Andrée Juhel, qu’il avait quittée pour vivre avec Mauricette Eychenne, a bien demandé le divorce.
Le jugement a été prononcé, non pas à Paris, mais à Nice. Moog était-il présent en 1948 devant le juge ? Malin comme il était, il n’aurait pas commis une faute aussi absurde, sachant combien de têtes de Gestapistes sont tombées depuis la Libération. Non. Moog ne s’est tout simplement pas présenté à Nice pour divorcer et l’huissier chargé d’enquêter, n’a pas pu le localiser.
Julie Le Gac qui a étudié la place du divorce dans la société française entre 1940 et 1946, le souligne : « Enfin, en ces temps de guerre, le divorce constitue bien souvent la consécration d’une séparation de fait préexistante : 68 % des jugements de notre échantillon sont rendus par défaut, c’est-à-dire en l’absence de l’une des deux parties[5]. »
Alors que Moog a disparu de sa vie depuis 1942, son épouse bénéficie de ce que l’auteure appelle « l’épuration conjugale. » Et elle tourne la page.
Alors… Dead or alive, tué dans un accident d’avion, de voiture…, vivant sous une nouvelle identité, à l’étranger, en France…, enterré à Fulda… Le mystère Moog reste entier.
À suivre…
[1] Chauvy Gérard. Aubrac- Lyon 1943. Paris : Albin-Michel, 1997, 456 p., pp. 241-243.
[2] AD Rhône, 394 W 295 : Dossier Guesdon.
[3] http://charles.delestraint.free.fr/p4.htm
[4] Seaman Mark. Saboteur : The Untold Story of SOE’s Youngest Agent at the Heart of the French Resistance. Londres : John Blake Publishing, 2018, 349 p., p.323.
[5] Le Gac Julie. L’« étrange défaite » du divorce ? (1940-1946) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2005/4 (no 88), pp. 49-62. https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2005-4-page-49.htm