Liberté de recherche, liberté d’expression en Pologne ?
En 2019, le Parlement polonais a adopté une loi qui rend illégal le fait de blâmer la nation polonaise pour les crimes nazis et expose ceux qui le font à des poursuites civiles.
Eh bien on y arrive. La première chasse aux sorcières est lancée. En France, l’affaire a fait peu de bruit dans la presse et le soutien à Jan Grabowski (professeur d’histoire de l’université d’Ottawa) et Barbara Engelking (directrice du Centre de recherche sur l’extermination des Juifs -Académie polonaise des sciences) est timide, c’est le moins que l’on puisse dire. Alors que l’affaire est sans précédent, hormis la prise de position dans Libération de Jean-Charles Szurek, politologue, directeur de recherches émérite au CNRS, on ne trouve pas foule pour soutenir J. Grabowski et B. Engelking.

L’affaire
VARSOVIE — Deux historiens polonais, dont un qui enseigne au Canada, sont accusés de diffamation pour avoir publié un ouvrage qui examine le comportement des Polonais pendant la Deuxième Guerre mondiale, une affaire qui pourrait déterminer du sort des chercheurs indépendants qui s’intéressent à la Shoah sous le gouvernement nationaliste de la Pologne.
Un tribunal de Varsovie doit se prononcer le 9 février dans le dossier de Jan Grabowski, qui enseigne l’histoire à l’Université d’Ottawa, et de Barbara Engelking, une historienne du Centre polonais de recherche sur l’extermination des Juifs, à Varsovie.
Il s’agira de la première affaire de liberté d’expression à retenir l’attention depuis que la Pologne a voulu, en 2018, adopter une loi qui aurait criminalisé toute tentative de blâmer la Pologne pour les crimes de l’Allemagne pendant la Shoah. Les pénalités criminelles ont été abandonnées au profit de pénalités civiles, quand la loi a donné lieu à une importante querelle diplomatique avec Israël.
L’affaire actuelle est un dossier civil de diffamation et la poursuite a été intentée en vertu d’une loi existante, mais plusieurs chercheurs croient qu’elle créera un précédent important en ce qui concerne la recherche sur la Shoah.
Depuis qu’il a pris le pouvoir en 2015, le parti conservateur Loi et Justice essaie de décourager toute étude des inconduites polonaises pendant l’occupation allemande, préférant se concentrer presque exclusivement sur l’héroïsme et la souffrance des Polonais. Le but était de mousser la fierté nationale; ses détracteurs reprochent toutefois au gouvernement de balayer sous le tapis le fait que certains Polonais ont collaboré avec les Allemands pour exterminer les Juifs.
L’Institut international pour la mémoire de la Shoah Yad Vashem estime que la poursuite «constitue une attaque grave contre la recherche libre et ouverte».
De multiples autres institutions historiques ont dénoncé la poursuite à l’approche du verdict. À Paris, la Fondation pour la mémoire de la Shoah a évoqué mardi «une chasse aux sorcières» et une «invasion pernicieuse au coeur même de la recherche».
L’affaire tourne autour d’un ouvrage historique de deux tomes et 1600 pages en polonais, «Night Without End: The Fate of Jews in Selected Counties of Occupied Poland», qui a été coédité par M. Grabowski et Mme Engelking. Une version abrégée en anglais est attendue dans quelques mois. (…)
L’organisation prétend que les deux chercheurs sont responsables d’avoir «sali le nom honorable» d’un héros polonais, qui selon eux n’a rien fait pour nuire aux Juifs, et qu’ils ont du fait même porté atteinte à la dignité et à la fierté de tous les Polonais. La poursuite a été déposée gratuitement, comme le permet la loi de 2018. »
Mark Weitzman, le directeur des affaires gouvernementales pour le Centre Simon Wiesenthal, estime que «Night Without End» est un livre «soigneusement recherché et documenté (…) qui détaille des milliers d’incidents de complicité des Polonais lors des meurtres de Juifs pendant la Shoah». «La poursuite contre deux chercheurs de réputation internationale n’est rien d’autre qu’une tentative pour utiliser le système judiciaire pour museler et intimider la recherche sur la Shoah en Pologne», a-t-il dit. »
Le jugement aura lieu le 9 février.
Le Droit numérique.