Robert Moog, agent K30
Moog et Doussot : de la Tête d’Or à l’avenue Berthelot
L’ascension de Doussot -au sein du SD- est rapide, fulgurante : il a toute la confiance de Barbie qui verra en lui un de ses meilleurs agents. De plus, il s’entend à merveille avec Moog au point qu’il devient le n°2 de son équipe avant de la diriger sous les ordres de Krull, au départ de Moog pour Paris. Nous pouvons dater au plus tard ce départ entre la mi-octobre et novembre 1943.
Toutes les affaires où Doussot est impliqué seront ainsi traitées avec Moog, Saumande et Morin : les affaires Clairet, Meyer et Perrin. L’affaire Meyer permet à Moog de récupérer la villa du résistant (réseau Gallia) arrêté le 21 juillet 1943. Il s’y installe avec Mauricette Eychenne et peut-être leurs garçons[1]. C’est l’adresse « officielle » des Moog. En ville, le Gestapiste occupe une chambre particulière à l’École de santé, le numéro 21. On le retrouve aussi parfois chez un de ses agents : Angèle Luciani, épouse Perrin, qui loge au 4 cours Lafayette.
Dès son installation au SD de Lyon pour quelques mois, Moog s’octroie aussi un bureau bien situé mais indépendant[2]. Il occupe un appartement au 1, rue de la Tête d’Or. Qu’on ne s’y trompe pas : cet appartement, il l’a « réquisitionné », en arrêtant le résistant Robert Montet, chef du réseau Brandy[3] à Lyon.
Maurice Montet du réseau Brandy
Maurice Le Riche de Cheveigné, radio de Jean Moulin, de Jean Fassin et parfois du réseau Brandy, se souviendra que « [l’]appartement [était] cossu, sous les combles, trouvé par la cousine de Maurice Montet. (…). Quartier de la haute bourgeoisie lyonnaise, on devrait être tranquille, plus le parc à côté pour se promener, c’est-à-dire un excellent lieu de rendez-vous[4]. »
Deux jours après l’arrestation de Jean Moulin à Caluire, soit le 23 juin[5], le réseau Brandy commence à tomber. Il sera entièrement décimé un mois plus tard. Au 1, rue de la Tête d’Or, « dans cet excellent lieu de rendez-vous », Robert Montet, chef du réseau Brandy est arrêté par Moog et Doussot le 23 juin 1943[6]. Pascal Convert le souligne avec justesse : « La destruction de la filière Brandy le lendemain de Caluire n’est évidemment pas une décision soudaine mais le fruit d’un calcul[7]. » Il s’agit de démanteler toute l’organisation mise en place par Jean Moulin depuis 1942 en « isolant chaque secteur. »
Saint-Gast du réseau Marco Polo
Cet appartement situé au 1, rue de la Tête d’Or, d’autres sources y font référence. C’est à cette même adresse que le chef du réseau Marco Polo et des agents y seront arrêtés le 21 juillet. René Pellet, interrogé à Londres le 12 novembre 1943, signalera qu’à la suite de l’arrestation en ville de Raoul Durand[8], les Gestapistes se rendent le soir au 1, rue de la Tête d’Or. Ils y trouvent : le chef de Marco Polo : Paul Guivante de Saint-Gast ainsi que « Pierre le dessinateur, Roland, le chef radio, et Magui maîtresse de deux ou trois types du réseau[9]. »
Pierre serait un dénommé Fréquignon et Roland, Raoul Saly[10]. Frequignon et Magui seront libérés tandis que Saly est déporté. Guivante témoignera qu’il a été interrogé 57 fois et torturé 17 fois[11], faits contredits par René Pellet qui prendra sa succession à la tête de Marco Polo[12]. À la prison Montluc, Guivante attestera le 16 janvier 1946 de la « parfaite correction » du couple Perrin qui « n’a jamais accepté aucune rémunération ou gracieuseté », alors qu’ils auraient pu être condamnés à mort pour cela. En effet, il aurait pu communiquer avec l’extérieur grâce au couple Perrin et préparer une évasion qui n’aboutira pas[13]. Qui est ce couple Perrin dont nous reparlerons plus longuement dans un prochain article ? Charles Perrin a été arrêté et emprisonné à Montluc. Son épouse, Angèle née Luciani, travaillera pour Moog. Étranges relations qu’entretient là le chef du réseau Marco Polo…
Paul Guivante de Saint-Gast sera finalement déporté depuis Fresnes le 5 mars 1944 à Sarrebruck Neue Bremm puis à Mauthausen. Il sera libéré par la Croix-Rouge le 22 avril 1945.
Les arrestations au sein de Marco Polo du 21 juillet posent question et mériterait une recherche plus approfondie : les agents du réseau ont été arrêtés au 1, rue de la Tête d’Or. Occupaient-ils le 21 juillet 1943 un autre appartement que celui du réseau Brandy ? Pour des raisons de sécurité évidentes, il est difficile de penser que plusieurs réseaux aient loué des appartements dans le même immeuble. Il est donc fort probable que Guivante se soit donc trouvé dans l’appartement du réseau Brandy. Si tel est le cas -et nous penchons pour cette hypothèse- pourquoi Guivante s’est-il servi d’une adresse brûlée depuis un mois ?
Léon Faye du réseau Alliance
Le plus gros coup opéré par Moog et Doussot concernera le réseau Alliance. Dans cette affaire, on retrouve un autre agent de l’Abwehr de Dijon : Jean-Paul Lien, ancien agent du mouvement « Combat », chargé par Frenay (fin 1940) à Toulouse de développer le Mouvement de libération nationale dans le Sud-Ouest. À noter que Moog et Lien ont le même port d’attache : Toulouse.
Arrêté par les Allemands le 2 novembre 1941, Lien est retourné par le lieutenant Merck, chef de l’AST de Dijon. Installé à Lyon, il est « Flandrin » et il arrive à pénétrer le réseau Alliance.
Lorsqu’en septembre le retour de Londres du commandant Faye (numéro 2 du réseau Alliance) est annoncé, Moog, Saumande et Morin sont partis pour Paris. Doussot est appelé à les rejoindre. C’est le commandant Kramer, de l’Abwehr de Dijon, qui met ses hommes à la disposition du Sturmbannführer Kieffer, chef de la section IVE de Paris.

L’affaire est importante : selon Doussot, 150 agents sont dépêchés sur place pour procéder à l’arrestation -le 16 septembre- du commandant Faye à la gare d’Aulnay-sous-Bois.
« Le travail de Lien et de son équipe est dévastateur : 420 résistants du réseau Alliance sont fusillés et 170 autres ne reviennent pas de déportation[14]. » Pour cette opération, Lien a touché un million de francs de récompense et il est décoré de la croix de fer avec épée, haute distinction. Une grande fête est organisée par Merck pour célébrer cette belle prise. Le champagne coule à flots. On imagine que Moog et Doussot n’ont pas dû rater une occasion de faire la bombe et qu’ils ont été grassement récompensés sur le dos de la résistance puisque l’opération a permis d’empocher 7 millions de francs, transportés par Fernand Rodriguez, l’adjoint du commandant Faye.
Une dernière affaire lie Moog et Doussot : celle de l’arrestation des frères Goudard. Originaires de Chalon-sur-Saône[15] et connus de Doussot, ils sont arrêtés du côté de Reims. Moog devait voir quels services les deux frères pouvaient rendre à la Gestapo. Nous n’en saurons pas plus sur cette affaire.
Selon Doussot, c’est à cette époque que Moog, souhaitant travailler à Paris auprès de Kramer[16], lui propose de rester à ses côtés. Doussot décline : il préfère retourner à Lyon, là où vit sa « famille », c’est-à-dire sa maîtresse, Renée Combe. Pas bête le Doussot : il sait que la place de Moog, désormais vacante à Lyon, lui sera proposée.
[1] Mauricette Eychenne qui témoignera au procès Hardy avait rejoint Moog avant l’affaire de Caluire. Elle vivra avec Moog après le 21 juillet au 6 rue des Noyers, villa les Cigognes. Selon Nollet qui a accompagné Moog à Toulouse, l’agent K30 finalise son déménagement le 31 juillet 1943.
[2] Élisabeth Meier : L’appareil d’occupation allemand à Lyon, 1942-1944. Composition, fonctionnement et politiques de répression, in : Francia 41 (2014), pp. 301-319. Les services du SIPO sont installés tout d’abord boulevard des Belges à l’hôtel Terminus puis ils déménagent avenue Berthelot en juin 1943.
[3] Le réseau Brandy a été fondé en 1942 par Christian Martell chargé par le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) de constituer avec des agents sûrs un nouveau réseau d’évasion de pilotes et de spécialistes de l’aviation pour leur faire gagner l’Angleterre. En Saône-et-Loire, Raymond Basset et André Jarrot appartiendront au réseau Brandy.
[4] Radio libre [archive], mémoires de M. de Cheveigné, mis en ligne par son fils.
[5] Sont arrêtés : Simone Yahiel, le 24 juin puis le 23 juillet Basso Vanni (courrier de Brandy), la famille de Simone : ses parents Alice (déportée), Isaac (mort à Buchenwald), ses frères Maurice (mort à Dora) et Georges (déporté), arrêtés le 23 juillet.
[6] Sont arrêtés également le 23 juin : Jean-Louis Mérand, radio du réseau et Camille Spiquel, chef de l’antenne parisienne de Brandy.
[7] Convert Pascal. Daniel Cordier, son secrétariat, ses radios – Essai critique sur Alias Caracalla. Librinova, 2020, p. 226.
[8] Raoul Fernand Paul Durand né le 26 octobre 1912 à Boulogne-sur-Mer. Décédé le 23 août 1944 à Mauthausen.
[9] Le Mer Régis et Pellet Jacques. René et Marguerite Pellet, de la pédagogie à la résistance. Réseau Marco-Polo, Lyon, 1942-1944. Paris : Editions Tirésias, 2018, 383 p., pp. 347-348. Un quatrième agent, Ores Higo, sera appréhendé le lendemain. Emprisonné à la prison Montluc puis relâché, il préviendra René Pellet « Octave » des arrestations.
[10] Né le 15 juin 1915 à Bizerte, Tunisie.
[11] AN, Réseau Marco-Polo (72AJ/63 Dossier n° 8). Témoignage de Paul Guivante de Saint-Gast, recueilli par Louis Lecorvaisier, 13 avril 1946.
[12] Le Mer Régis et Pellet Jacques. René et Marguerite Pellet, op.cit., p. 348. « Il a été interrogé et a reçu une bastonnade sérieuse pendant trois jours, il n’est jamais passé à la torture. »
[13] Archives nationales Inventaire – 72AJ/35-72AJ/89 Témoignage de Paul Guivante de Saint-Gast.
[14] Lormier Dominique. La Gestapo et les Français…, op.cit., pp. 285-286.
[15] Georges et Adolphe Goudard ?
[16] AD Rhône, 394 W 295 : dossier Guesdon. Adresse de Moog à Paris : 2 ou 11 rue Labie, selon l’épouse de Lucien Guesdon.