Nous avons vu précédemment comment Pierre Dameron avait organisé jardin et verger à l’École pratique au début des années 1900. Plongeons-nous maintenant au milieu du XIXe siècle afin de voir comment fonctionnaient l’École normale et le collège d’enseignement secondaire spécial installés dans l’abbaye par le ministre de l’Instruction publique Victor Duruy.

En 1866, les préoccupations du ministre Duruy sont doubles. Avec peu de subventions pour faire fonctionner son établissement, d’une part les élèves-maîtres et les collégiens doivent avoir de solides connaissances en sciences, d’autre part il va falloir les héberger et les nourrir.

Pour cela, rien de tel que de transformer les espaces verts de l’abbaye en un immense jardin.

 Botanique et enseignement spécial

Au collège d’enseignement secondaire spécial, le professeur qui enseigne la botanique, s’attachera, dans l’année préparatoire, à développer l’esprit d’observation de ses élèves, à éveiller leur curiosité et cela en mettant sans cesse devant leurs yeux les objets étudiés. Il est essentiel d’acquérir dans les établissements un herbier, tout comme il est nécessaire, au cours des promenades réglementaires, d’en profiter pour collecter les plantes du milieu environnant. Lorsqu’il y a impossibilité de mettre devant les yeux des élèves les plantes étudiées, le professeur doit toujours utiliser un support pédagogique, en l’occurrence des planches. L’esprit d’observation des élèves ainsi développé, le cours d’histoire naturelle peut véritablement commencer en 1ère année, où il s’agit plus, là, de travailler la méthodologie (savoir mettre de l’ordre et de la méthode dans les observations et les études) et de « fixer les faits dans la mémoire des élèves[1]. »

Autre aspect essentiel de l’enseignement de la botanique, il s’agit toujours de partir de ce que l’enfant connaît, « des plantes connues de tout le monde » comme le haricot, le blé, le maïs, pour aller ensuite au plus compliqué, c’est-à-dire, en première année, à l’usage qu’on peut en faire, (usage alimentaire ou industriel), puis en deuxième année à l’étude de la physiologie végétale. On étudie ensuite en troisième année la classification des plantes usuelles et des plantes moins connues, « apportées par le commerce et qui jouent un rôle important dans l’industrie », leurs procédés de culture et les zones géographiques où l’on peut les cultiver, leurs emplois ; le cours de troisième année concerne les dicotylédones et se termine en quatrième année avec l’étude des monocotylédones et les acotylédones. On s’intéresse particulièrement à leurs usages agricoles et aux maladies qui peuvent affecter ces plantes.

Sur ces cours d’histoire naturelle se grefferont très rapidement dans les établissements des zones rurales où l’enseignement secondaire spécial existe, des cours de chimie agricole, d’horticulture, d’arboriculture, de sylviculture ou de greffage. L’inspecteur général J.M. Baudoin rapporte -au conseil supérieur de perfectionnement en 1868- que bon nombre d’établissements ont mis en place ce genre d’enseignement et que ces cours se déroulent dans des jardins annexés des collèges voire dans une ferme annexée comme au lycée de Napoléonville (Pontivy), lorsqu’il s’agit de cours plus spécifiques à l’agriculture[2]. L’enseignement de la botanique revêt donc un caractère véritablement pratique.

À Cluny, on développe ainsi un enseignement spécifique adapté au public scolaire puisque la grande majorité des élèves sont fils de fermiers, d’instituteurs de village, d’artisans et d’ouvriers. Les familles sont averties dans le prospectus du collège de 1867 que l’enseignement donné à Cluny comprend « tout ce qui est d’application journalière dans la vie de l’agriculteur. [Et on les initiera] à ce qui concerne la nature des terres, aux divers moyens de les fertiliser, de les améliorer et de les exploiter[3]. »

Dès l’ouverture de l’établissement en 1866, les terrains, qui servaient auparavant à la promenade quotidienne des habitants de la ville, sont convertis. On y trouve un jardin botanique, un jardin potager, un jardin cultivé par les élèves, une école de taille et une grande serre. L’établissement peut vivre en autarcie : la production de légumes et de fruits est assurée et on installera même une boulangerie, une porcherie et une vacherie.

À suivre…


[1] Bulletin Administratif de l’Instruction Publique, n° 104, 1866, p. 607.

[2] Notamment les collèges de Chambéry, Moulins, Fontenay le Comte, Semur, Saint Flour, Parthenay, Lons-le-Saunier, Joigny.

[3] Prospectus du collège d’enseignement secondaire spécial, année 1867.