La Prat’s : une « petite Normandie ».
On entend plus que ça : il faudrait convertir les cantines scolaires au bio, favoriser les circuits courts, faire en sorte que les enfants mangent mieux… Proposer une cuisine saine et goûteuse : l’idée est belle, généreuse mais pas nouvelle. On a seulement oublié. On n’a rien inventé.
Repartons en arrière et voyons comment les établissements scolaires fonctionnaient à Cluny. Tout d’abord au début du XXe siècle avec le présent article consacré à l’École pratique de Commerce et d’Industrie, communément appelée La Prat’s. Sur le même sujet, un article prochain nous replongera dans l’histoire de l’école Duruy et de ses jardins au milieu du XIXe siècle.
On y trouvera peut-être des pistes de réflexion pour aujourd’hui.
Lorsque Dameron ouvre son École pratique sur la colline du Fouettin, il en a imaginé lui-même les plans. Mais il ne s’est pas seulement intéressé aux bâtiments. Pour que ses Prat’siens, la plupart internes, vivent dans de bonnes conditions leur scolarité, l’École sera entourée d’arbres et de fleurs[1].
Les abords de la Prat’s doivent être « ordonnés et avenants ». Ce sera le travail du jardinier Domergue qui fera la chasse aux orties et aux mauvaises herbes.
Mais Dameron ne souhaite pas seulement que son école ressemble à un « château[2] » entouré de plantes et d’arbres d’agrément qu’il a d’ailleurs lui-même choisis : sapins, troènes, tamaris, marronniers roses, platane, érables-sycomores, iris, primevères de chine, rosiers grimpants…

Non, il faut aussi des fruitiers. Dameron adorait les pommiers, en témoignent les variétés anciennes qu’il avait dans son propre jardin à la villa ensoleillée. À La Prat’s, il en fera planter trente-neuf « qui [lui] donneraient, la vue de leurs belles fleurs roses, à [ses] successeurs, fleurs et pommes : une petite Normandie. »
Mais il y a ce terrain en bas des ateliers… où la terre -de la glaise- n’est pas très bonne. Qu’importe. Domergue, le jardinier, bêche et plantera deux beaux noyers, une profusion de cerisiers, pruniers, poiriers et abricotiers. Le verger est complété avec un jardin potager.
Des fruits frais et cueillis à maturité et des légumes se retrouvent sur la table des élèves : Dameron n’était pas un visionnaire mais un directeur pragmatique, un fils de paysan faisant preuve tout simplement de bon sens.
Arrive la guerre. La France crève de faim et le personnel part servir la patrie. À La Prat’s, Dameron fait tout pour que le prix de la pension n’augmente pas trop afin de permettre aux bourses les plus modestes d’y envoyer leurs enfants. Mais reste le problème crucial de l’alimentation des élèves : on ne sert plus que 200 grammes de pain par jour au lieu des 750 grammes obligatoires et la viande est rationnée à hauteur de 120 grammes par jour. Cluny manque-t-elle de pain ? Le maire réquisitionne les sacs de farine de l’École pour les Clunisois.

Face à toutes ces difficultés, Dameron est un meneur d’hommes, un chef d’établissement hors du commun. Et à chaque problème une solution.
Le jardinier n’étant plus là, ce sont les élèves qui bêcheront le jardin. À la cuisine, le personnel aussi fait défaut. Et on s’adapte.
On remplace le pain par le riz et les haricots. Mais la base de l’alimentation, c’est surtout la pomme de terre. Les Prat’siens « époussonnent » les patates -surtout par temps chaud- « afin de leur conserver leur valeur nutritive, éliminer celles qui se tachant, auraient pourri et corrompu les autres. » On a installé une grande lessiveuse devant le réfectoire et les élèves se chargent de les faire cuire. Après avoir fait la popotte, ils assureront le service : avant de passer à table, ils prendront chacun deux pommes de terre. Au dessert, on se régalera de fruits, transformés en confiture par l’épouse de Dameron.
Entre les deux-guerres, les heures noires où l’on avait faim sont loin derrière. On mange bien et les élèves se refont une santé. Ainsi écrit un parent au directeur Deloire vers 1935 :
« Je tiens à vous dire que la bonne mine de mon fils est un critérium auquel j’attache une grande valeur. Son bon état de santé me tranquillise parfaitement ».
« Je suis entièrement satisfait du menu de l’École, ce qui le prouve c’est que mon fils René a engraissé de quelques kilos. »
En 1940, avait-on continué à entretenir le verger ? Nous n’avons pas de témoignages à ce sujet. Mais les patates permettront encore de tenir le coup, « le champ » ayant été, une fois de plus transformé en potager. Dans ces mêmes années, on verra fleurir à Cluny les jardins ouvriers où chacun se rue pour cultiver ce qui lui permettra de survivre.
Le temps a passé, les modes ont changé. Témoins du passage de Dameron, seuls quelques vieux sapins ont tenu le coup. Mais adieu fruitiers et potager.

Certains établissements scolaires en France ont d’ores et déjà tenté l’expérience du retour à la terre direction l’assiette. Un champ, du matériel agricole, un jardinier et les cantines scolaires approvisionnées en produits frais. Sans parler que le jardin est un excellent outil pédagogique à portée de mains pour les enfants et les enseignants.
Alors, pour le contenu de nos assiettes, une solution Dameronesque à méditer ?
À suivre…
[1] On se reportera -pour plus d’informations- à l’ouvrage de Pierre Dameron : La vie d’une école, 1926, aux éditions Dutrion.
[2] Terme fréquemment utilisés par les Clunisois pour désigner La Prat’s dans ses premières années.