Robert Moog, agent K30 à Lyon

Mai-Juin 1943

À Lyon, Moog continue sur sa lancée. Dans la première quinzaine de mai, l’inspecteur Jean Mefret, (du NAP Police), est démasqué et s’enfuit vers l’Espagne. Il sera arrêté le 22 mai à Perpignan puis déporté. Dans l’appartement du résistant transformé en souricière (au 9 de la place des Célestins) l’agent K30 installe Edmée Deletraz. La planque ne donne rien. Essai manqué : son plus gros coup ne se joue pas là.

De la rue Bouteille à Mâcon (26-28 mai 1943)

Gérard Chauvy signale comment les événements ensuite s’enchaînent. À dater du 7 mai, Multon (agent retourné du mouvement « Combat ») connaît l’existence de certaines boîtes aux lettres à Lyon, dont celle de la résistance Fer, située au 14 rue Bouteille. Moog installe de nouveau Edmée Deletraz dans la souricière et il arrête la propriétaire Me Dumoulin ainsi que Marie Raynoard[1], le 25 mai.

C’est à cette même adresse que Moog apprend, par message non codé, qu’un rendez-vous doit avoir lieu à Paris entre le général Delestraint, chef de l’armée secrète et René Hardy (chef national région sud Sabotage Fer). Le message a été rédigé par Henri Aubry. Ce dernier sait que la boîte aux lettres de la rue Bouteille a été mise sous surveillance mais il ne donne pas l’alerte. Pire, poursuit G. Chauvy, il a placé à ses côtés un certain « André » qui fait office d’inspecteur national de l’Armée secrète à Toulouse. Il peut s’agir évidemment de Moog qui a réussi à s’infiltrer[2].

En attendant le rendez-vous de juin entre Delestraint et Hardy à Paris, Moog a du pain sur la planche.

À Marseille, le résistant Jean Multon[3] avait intégré le mouvement Combat et il était devenu le bras droit de Maurice Chevance, responsable régional. Arrêté le 28 avril 1943 par la Gestapo, Multon verse dans l’autre bord en donnant premièrement son chef, Maurice Chevance. Trop grillé à Marseille où toute la résistance le connaît, il est envoyé à Lyon auprès de Barbie le 24 mai. Dès lors, c’est avec Moog qu’il travaille. Avec l’aide de Multon alias « Lunel », Moog cherche à arrêter Henri Frenay le 28 mai 1943 à Mâcon où doit se tenir une importante réunion en présence de : Berty Albrecht, Morel (Chef départemental du NAP), René Cerf-Ferrière, Marcel Peck « Battesti », Henri Guillermin « Pacha », Bénouville et Jacques Baumel. Multon sait, de la bouche même de Berty Albrecht (secrétaire d’Henry Frenay), où se trouve la boîte aux lettres de « Combat » à Mâcon : hôtel de Bourgogne. Barbie veut Henri Frenay. B. Albrecht alias « Victoire » sera son appât.

Et c’est en effet B. Albrecht, mise au courant de la réunion de Mâcon, qui est embarquée square de la Paix[4],  à la place d’Henri Frenay (chef de Combat), retenu soi-disant à Lyon par une panne de réveil. Marcel Peck, ayant connu après coup les détails de l’arrestation, rapportera à Frenay : « L’un des policiers faisait se retourner chaque homme, le regardait et passait au suivant. Manifestement ils te cherchaient, puisque le rendez-vous devait être avec toi[5]. »

Les époux Perrin, propriétaires de l’hôtel de Bourgogne sont arrêtés, puis déportés ainsi qu’Alexandre Truchi (« Alex »), secrétaire de Marcel Peck. Ce dernier échappe de peu à l’arrestation. Marthe Perrin et Truchi reviendront de déportation.

Qui fait partie de l’équipe qui se trouve à Mâcon le 28 mai ?

  • Edmée Delatraz, des Allemands accompagnés de Gestapistes français.
  • Robert Moog, bien sûr. Barbie dira avoir été également présent à Mâcon avec eux et « deux autres agents[6] », dont Eilers.
  • Multon, témoignera qu’il n’était pas présent le 28 mais que Barbie l’a renvoyé à Mâcon le lendemain pour retrouver B. Albrecht. La prise étant trop importante, au lieu de la convoyer à Lyon, Moog -qui joue dans cette affaire dans le camp de l’Abwehr et non dans celui du SD- l’envoie à Paris, à la barbe de Barbie.  
  • En ce qui concerne le troisième homme, il s’agit de « K4 », soit Saumande. Me Perrin en témoignera au procès Saumande à la fin des années 1940.[7]. » Quant au quatrième, il peut s’agir d’André Morin, ou de Doussot. Toutefois, la description faite par Peck à Frenay ne correspond, ni à l’un, ni à l’autre[8].

B. Albrecht capturée, la troupe se rue à Cluny, villa Romada. On aurait trouvé dans le sac de Berty une lettre, envoyée par sa fille Mireille, à Cluny. Selon la famille Gouze chez lesquels Berty logeait avec Frenay, ce sont des Allemands et des Français qui recherchent le chef du mouvement Combat. Ils mettent la maison sens dessus-dessous et s’emparent de documents importants, dont un plan de sabotage des réseaux ferroviaires. Présents sur les lieux, les gendarmes de Cluny consignent ces faits dans un rapport. Nous en reparlerons dans une série d’articles consacrés à Berty Albrecht.

Les Gouze restent impassibles, les interrogatoires se déroulent sans violence physique et ils répètent qu’ils nient connaître l’identité de leurs locataires[9]. Moog et ses compères sont loin d’être des enfants de chœur, toutefois -fait surprenant- ils les croient sur parole. Alors que Moog[10] vient d’arrêter les Perrin -propriétaires à Mâcon de l’hôtel qui a hébergé des « terroristes »- ils laissent les Gouze tranquilles…

De Mâcon à Paris (28 mai-9 juin) : le piège de La Muette

Berty arrêtée, Moog s’embarque avec Multon, René Saumande dix jours plus tard dans le train en direction de Paris. L’objectif ? Arrêter Hardy et le général Delestraint (chef de l’Armée secrète) puisque leur rendez-vous parisien est connu des Allemands. « Tout vient de l’inconséquence d’Henri Aubry, qui est à la fois responsable et irresponsable[11] », écrit François-Yves Guillin, le secrétaire du général Delestraint. Aubry, arrêté à Caluire en même temps que Jean Moulin, sera libéré le 20 novembre 1943…

Multon, qui a rencontré Hardy à Marseille, l’identifie dans le train Lyon-Paris dans la nuit du 8 au 9 juin. Hardy arrêté, Barbie viendra en personne le récupérer à la prison de Chalon-sur-Saône le 10 juin. Puis Moog procède à Paris à l’arrestation du général Delestraint et de ses adjoints Joseph Gastaldo et Jean-Louis Théobald le 9 juin. Le général Delestraint sera exécuté à Dachau le 19 avril 1945. Bingo. Moog et Saumande reçoivent chacun 30 000 francs de récompense[12].

Pour cette opération, qui est présent à Paris ? La SIPO-SD de Paris venue en renfort ainsi que l’Abwehr : le capitaine Kramer de l’AST de Dijon qui commande l’opération, Moog, Saumande et le traître Multon. Gastaldo dira après-guerre que « parmi certains civils, il croira reconnaître Doussot[13]. »

Pour ce superbe coup de filet qui porte un énorme coup à la résistance, le capitaine Kramer félicitera sûrement Moog, « son meilleur collaborateur et ami[14]. »


[1] Née le 28 octobre 1897 à Bastia, décédée en 1945 à Ravensbrück.

[2] Aubry, après l’affaire de Caluire, retrouvera « André » à Paris et ce dernier sera chargé de ses interrogatoires.

[3] Né le 3 juillet 1908 à Preuilly-sur-Claise, fusillé le 11 septembre 1946 au fort de Montrouge. En 1944, Multon était passé en Algérie. Il servira dans l’armée du général Delattre de Tassigny avant de revenir à Paris où il sera arrêté.

[4] Après avoir arrêté B. Albrecht, les agents de l’Abwehr se ruent à l’hôtel de Bourgogne où devait se tenir la réunion des MUR. à 11H30.

[5] Missika Dominique. Berty Albrecht. Paris : Éditions Perrin, 2014, 365 p., p. 297.

[6] Baynac Jacques. Présumé Jean Moulin, Juin 1940-Juin 1943. Paris : Grasset, 2007, 1104 p., p. 727. Klaus Barbie déclarera à l’inspecteur J. Pouzol avoir été présent à Mâcon le 28 mai.

[7] Frenay Henri. La nuit finira. Paris : Robert Laffont, 1973, 607 p., p. 332.

[8] Peck rapportera à Frenay un signalement vague :  l’homme était « Taille moyenne, cheveux châtains, visage épais, lunettes. » À qui ce signalement correspond-t-il ?

[9] Archives INA : https://m.ina.fr/video/I07197722/danielle-mitterrand-a-propos-de-bertie-albrecht-video.html

[10] Barbie se vantera d’avoir été présent lors de la perquisition à Cluny alors qu’il est resté à Lyon. Veut-il amadouer son public ? Il dira ainsi qu’il avait trouvé Daniele Gouze « charmante ».

[11] http://charles.delestraint.free.fr/concl.htm

[12] L’Aube, 6 juillet 1951. Procès Saumande.

[13] http://charles.delestraint.free.fr/p5.htm

[14] http://charles.delestraint.free.fr/p4.htm