Robert Moog, agent K30
« K » comme Kramer au service de l’Abwehr
Avant 1943, que s’est-il passé entre Moog et les Allemands ? Chacun y va de sa petite histoire sans toutefois donner ses sources.
André Devigny dans son ouvrage « Je fus ce condamné » est persuadé que l’agent Moog a été formé en Allemagne[1]. Il aurait ainsi appartenu à la 5e colonne… Selon Gérard Chauvy, il se serait installé en 1940 « tout d’abord sur la frontière franco-espagnole pour y surveiller et y dénoncer les passages clandestins, puis à Toulouse[2].
Ce qui est certain, c’est que René Saumande[3], agent K4 de l’Abwehr-Stelle (AST) de Dijon (service de renseignements de la Wehrmacht)[4], le recrute pour son chef, le capitaine Eugène Kramer alias « Gegauf ». « K » comme Kramer. Selon G. Chauvy, Saumande « Le balafré » retrouve par hasard Moog à Toulouse. Ils auraient été copains de régiment[5]. Chose impossible puisque les deux hommes ont dix ans d’écart. Un troisième larron viendra bien vite s’acoquiner avec eux : André Morin, condamné mult fois par les cours de Justice. Moog, Saumande, Morin. Un trio infernal.

Henri Noguères situe l’entrée de Moog à l’AST en 1942[6], ce qui est confirmé par une note (fichage system) datée du 22 septembre 1942[7].
Moog sera immatriculé « K30 » et son premier pseudonyme sera « Steinbach », peut-être par référence à une petite ville du Haut-Rhin rappelant ainsi ses origines alsaciennes du côté paternel. Mais Steinbach est également le nom d’une ville allemande. Autre piste : Moog a l’habitude d’emprunter l’identité des personnes qu’il arrête. Changeant régulièrement de pseudos, on le connaîtra sous les noms de Steinbach, Bobby, Peter, Pierre, Bob, Pierre Bulard et André Meyer. La brigade de surveillance du territoire se perd tellement avec tous ces changements d’identité que le commissaire de police en charge du dossier de Moog, pense que Robert Meyer -résistant arrêté- est son vrai nom et Moog son pseudo.
Opération « Fall Jura »
Pour servir Kramer qui craint des actes de sabotage, Moog se fait embaucher le 25 janvier 1943[8] comme contremaître à la poudrerie de Toulouse qui travaille pour l’Allemagne. En ville, « Bobby » joue le résistant prêt à en découdre et il berne le lieutenant François Hitter qui tombe dans le panneau. Ce dernier est membre du réseau Gilbert piloté par André Devigny, lequel réseau est en étroite relation avec l’organisation du colonel Groussard, basée à Genève. À Toulouse, ce réseau a pris le nom de Prunus. Hitter s’enflamme et très vite présente à Lyon Moog à André Devigny et à Robert Nollet, autre membre du réseau Gilbert. Nous sommes le 6 février 1943[9]. Tous croient dur comme fer à ce Moog, sorti de nulle part. En un clin d’œil, l’agent K30 repart à Toulouse avec l’adresse de la boîte aux lettres du réseau Gilbert à Lyon, située rue Bèchevelin.
L’opération « Fall Jura » est lancée et Moog va être d’une redoutable efficacité. Il propose à Hitter de partir pour Paris où une affaire peut intéresser la résistance. Ayant mordu à l’hameçon, Hitter est arrêté puis déporté[10]. De retour à Toulouse, Moog poursuit sa sale besogne en conduisant l’arrestation d’une trentaine de résistants du réseau Prunus dont, au château de Fonsorbes, Jean d’Aligny, sa compagne Yvonne Lagrange, Marcus Bloom et d’autres agents.
Ne ménageant pas sa peine, il saute dans le train, revient à Lyon et procède à l’arrestation de Robert Nollet au 42 avenue de Saxe le 16 avril. Il tend ensuite une souricière chez Madame Nony, propriétaire de la blanchisserie rue Bèchelevin, boîte aux lettres du réseau Gilbert. Le capitaine Bulard -chef de l’AS de Lyon- s’y rend : il est abattu. Le 16 avril se présente à la blanchisserie Edmée Deletraz, agent de liaison de Devigny. Moog l’arrête et lui propose de collaborer. Elle obtempère en prévenant cependant son chef, le colonel Groussard[11]. Mais, lorsqu’elle rentre à Annemasse, l’agent K30 qui se fait dès lors appeler « Pierre Bulard », cueille sur le quai de la gare André Devigny. Nous sommes le 17 avril.
À suivre…
[1] Informations reprises par Baynac. Moog aurait été un « ex-élève d’une école allemande d’espionnage ».
[2] Chauvy Gérard. Histoire secrète de l’occupation. Paris : Éditions Payot, 1991, 349 p., p. 93.
[3] René Maurice Saumande né le 16 avril 1905 à Clichy, fusillé le 19 février 1952 à Arcueil (Fort de Montrouge).
[4] L’Abwehr-Stelle (AST) est installée au 28 de la rue Pasteur depuis juillet 1940. L’antenne de Dijon est rattachée directement à l’État-Major de Canaris à Berlin.
[5] Chauvy Gérard. Histoire secrète…, op.cit., p. 98.
[6] Noguères, Henri. La vérité aura le dernier mot. Paris : Éditions du Seuil, 1985, 384 p., p. 25.
[7] SHD Vincennes, GR 28P P 9 14 155 : dossier Moog.
[8] Chauvy Gérard. Histoire secrète…, op.cit., p. 93.
[9] Gelin Jacques. L’affaire Jean Moulin. Trahison ou complot. Paris : Gallimard, 2013, 595 p., p. 71.
[10] Hitter sera déporté à Buchenwald. Officier de la Légion d’honneur, médaillé de la Résistance avec rosette, Croix de guerre 39-45, Croix de guerre des TOE, Croix de la Valeur militaire, Croix du combattant volontaire de la Résistance. Il décédera en 2006.
[11] Georges Groussard la pousse à accepter l’offre de Barbie de travailler pour la Gestapo afin d’obtenir des renseignements.