Opération Blindenheim

Paul Meyer « Robin » a-t-il parlé sous la torture ? Il est arrêté le 13 à la boulangerie Guilloux. Il est le seul à connaître l’endroit où Olivier Ziegel s’est replié avec ses hommes. D’après Claude Rochat, il a été vu avec les Allemands lors de l’attaque du 14. A-t-il servi de guide ou de bouclier humain ? C’est possible. A-t-il marchandé avec les Allemands pour que ses hommes, arrêtés, soient traités en tant que militaires ? C’est une autre éventualité puisque tous les résistants (hormis Mongeay) ont été jugés devant un tribunal militaire avant d’être fusillés à La Doua. Lui-même subira le même sort[1]

Mais se pose une autre question, tout aussi importante : « Robin » appartient au réseau Marco Polo, comme Ziegel. Il est le seul responsable qui sait où loge la « Centrale » du réseau à Villeurbanne, située à l’Institut des Sourds-muets. Et la Centrale tombera le 24 novembre, soit dix jours après l’attaque du maquis de Beaubery.

Marco-Polo, un réseau

Le réseau Marco-Polo est un réseau de renseignements créé en octobre 1942 par le capitaine Sonneville « Marco-Polo » en zone libre et relevant du B.C.R.A. Il comptera environ 1 500 membres et sera un des réseaux les plus importants en France. 250 membres, selon Marcel Ruby, trouvèrent la mort au combat et 198 d’entre eux furent déportés[2].

Sonneville confie -à son retour à Londres- la direction du réseau à son adjoint Paul Guivante de Saint-Gast. Celui-ci sera arrêté en juillet 1943 et remplacé par René Pellet « Octave ». La « Centrale » de Marco-Polo est d’ailleurs installée à l’Institut des Sourds-muets à Villeurbanne qu’il dirige avec son épouse Marguerite. On conserve là les archives du réseau et c’est de ce lieu que le courrier pour Londres est rédigé. C’était selon le résistant Jacques Bergier, « un camouflage idéal[3] ». Un défilé constant de professeurs, de parents d’élèves, de fournisseurs permettait aux membres du réseau de passer incognito. À La Croix-Rousse, la section scientifique du réseau fabriquait émetteurs-radio, bombes incendiaires, faux-papiers, silencieux. C’est là aussi, poursuit Bergier, qu’étaient « centralisées des études originales faites par les savants européens antinazis sur les charges creuses, le bombardement de précision, l’énergie nucléaire, le radar, etc.[4] » D’après Marcel Ruby, « les renseignements fournis aux Alliés ont été considérables[5]. » C’est le réseau Marco-Polo qui leur a communiqué, par exemple,  les plans des missiles (Vergeltungswaffe « armes de représailles ») V1 et V2.

Selon Régis Le Mer, « une autre activité résistante du couple Pellet, plus que du réseau Marco-Polo, est de cacher les personnes recherchées et persécutées et en particulier les Juifs[6]. » Madeleine Dreyfus de l’O.S.E. (Oeuvre de secours aux enfants), dans un témoignage après-guerre, le confirmera. Hébergés à l’Institut, les enfants étaient ensuite envoyés au Chambon-sur-Lignon ou dans des familles d’accueil. M. Dreyfus sera arrêtée à l’Institut ainsi qu’Élise-Tager et Raia Garel.

L’opération Blindenheim

En 1943, on possède côté allemand (réseau de l’amiral Canaris) beaucoup de renseignements sur Marco-Polo et on sait que la Centrale se situe à Lyon, sans toutefois la situer exactement. Différentes affaires vont précipiter sa chute et l’arrestation de membres du réseau dont Bergier et Marguerite Pellet.

Premièrement, Jacques Bergier et André Pellet -frère de René- pointent du doigt Meyer du maquis de Beaubery dans leurs témoignages recueillis par le Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Pour Jacques Bergier (il organisera la DGER après la guerre), interrogé par Louis Lecorvaisier le 30 mars 1946 : « En effet, quelques garçons furent arrêtés, torturés, un des responsables connaît la Centrale de Marco-Polo à Lyon. Après plusieurs jours il parle et les Allemands prennent tous ceux qui habitent la Centrale de l’Institut des Sourds-muets. » Le seul responsable arrêté connaissant l’existence et le lieu de la Centrale à Villeurbanne, c’est l’adjudant Paul Meyer.

Pour André Pellet, cela ne fait aucun doute. Meyer a parlé.

Dernièrement, Régis Le Mer -historien- et Jacques Pellet se sont penchés sur l’histoire du réseau Marco-Polo[7] : selon eux, « Il est vraisemblable que les Allemands aient obtenu des pistes sur le réseau Marco-Polo parmi l’un des membres du maquis de Beaubery. » Néanmoins, ils indiquent d’autres faits qui ont pu contribuer également au démantèlement du réseau de Villeurbanne : l’explosion d’un camion par le résistant Charles Spitz qui aurait attiré l’attention sur le réseau, la dénonciation d’un instituteur déplacé par René Pellet à l’Institut (ce dernier sera abattu par la résistance en juin 1944) et le fait que l’Abwehr connaissait René Pellet du fait de son appartenance à la Franc-Maçonnerie.

Pour Bergier, dès l’attaque du maquis de Beaubery, la chute de la Centrale est inévitable. « Mais on ne quitte pas en une fuite panique un poste de commandement de cette importance ». Armes, pièces de rechange pour postes émetteurs, courrier, codes furent dispersés sur la région lyonnaise. « Le 23 novembre 1943, il restait encore à la Centrale quelques questionnaires destinés aux agents, et le plan des défenses allemandes en Méditerranée que le dessinateur était en train de terminer. Quarante-huit heures plus tard, la dispersion aurait été complète[8]. » Mais c’est à la date du 24 que les Allemands décident de l’opération « Blindenheim ». Neuf personnes sont arrêtées le 24. Six seront déportées, dont Marguerite Pellet qui ne reviendra pas. Puis la police allemande tend une souricière à la Centrale jusqu’au 10 décembre. Le général Carmille (directeur de l’office des Conjonctures) et des agents de liaison sont encore appréhendés. Ainsi furent arrêtés un grand nombre d’innocents, dont certains furent déportés et sont morts. C’est le cas de M. Poyet, frère d’une institutrice de l’Institut, qui s’est trouvé là, au mauvais moment.

Seul René Pellet qui était en mission à Londres échappe au coup de filet. Pour René Pellet alias « Octave », le combat continue jusqu’à son arrestation le 30 juillet 1944 à Chanopost où la Centrale a été déplacée.

Son corps sera repêché dans le Rhône et on trouve sur lui un papier où il indique ce que furent ses derniers jours : « Vivant le 27 août, terrible agonie morale, encore vivant le 23 à 6 heures. Adieu à tous. »


[1] Rochat, Claude. Les Compagnons de l’espoir. Mâcon : Mâcon imprimerie, 1987, 319 p., p. 43.

[2] Ruby, Marcel. La résistance à Lyon, vol. 2. Lyon : Editions l’hermès, 1979, 1054 p., p. 643.

[3] Bergier, Jacques. Agents secrets contre armes secrètes. Paris : Editions J’ai lu, 1965, 255 p., pp. 65-66.

[4] Idem., pp. 67-68.

[5] Ruby, Marcel. La résistance à Lyon…, op.cit., p. 643.

[6] Régis Le Mer et Jacques Pellet. René et Marguerite Pellet, de la pédagogie à la résistance. Réseau Marco-Polo, Lyon, 1942-1944. Paris : Editions Tirésias, 2018, 383 p. pp. 197-199.

[7] Idem., p. 205 et suivantes.

[8] Bergier, Jacques. Agents secrets…, op.cit., p. 107.