Le seul Gadz’Arts ayant donné son nom à un navire de guerre
Louis, Gervais, François Laubie naît au Creusot le 27 février 1911 au foyer de Jean, comptable aux établissements Schneider, et de Marie Marthe née Lenoble. La famille, dont il restera le seul enfant, est installée rue de Lorraine. Il commence ses études à l’école de son quartier. Puis, à 12 ans, entre aux Ecoles Schneider, établissement qui a pour mission la formation de jeunes destinés aux usines Schneider : ouvriers, dessinateurs et ingénieurs selon le niveau de scolarité atteint. Pour ces derniers, c’est l’école d’ Arts et Métiers de Cluny qui complète la formation.
Au cours de l’intégralité de sa formation aux Arts et Métiers Louis ne connaît qu’un seul rang de classement : premier. Il rentre à Cluny en 1928, major d’une promotion de cent élèves et reçoit la médaille d’or trois ans plus tard. Ses excellentes notes lui permettent d’entrer sans concours à l’école des ingénieurs mécaniciens de la marine en 1931. Il se maintient aisément, pendant deux ans, à la première place d’une promotion de 24 officiers. C’est, aux dires de ses professeurs, un élève doux et réfléchi, sympathique, remarquablement doué qui obtient d’excellents résultats dans toutes les parties de l’enseignement : un sujet d’élite.
Louis embarque à bord du croiseur école « Jeanne d’Arc » en 1933 pour effectuer sa campagne d’application autour du monde : un voyage de neuf mois en 37 escales, de Brest à Brest, en passant par Gibraltar, Suez, Madagascar et les îles Mascareignes, le cap de Bonne-Espérance, la côte atlantique de l’Amérique du sud, les Antilles, les Etats-Unis, le Canada et Saint-Pierre. Ses instructeurs lui reconnaissent, malgré une nature fermée, un esprit très cultivé et des connaissances très étendues. Il reçoit le premier prix de fin d’instruction : une montre en or et demande une affectation sur un petit bâtiment.
Il embarque le 11 septembre 1934 à bord du torpilleur de 1500 tonnes « La Palme » et demande quelques mois après, au ministre de la marine et des colonies, l’autorisation d’épouser la sœur de l’un de ses conscrits[1] : Jeanne Paillard, du Creusot. Le mariage y est célébré le 9 février 1935 et le ménage s’installe à Toulon.
Le 12 octobre 1935 Louis quitte « La Palme » pour le contre-torpilleur « Chevalier Paul ». Le couple accueille, le 28 août 1936, son premier enfant : Jean-Claude. Compétent, silencieux, excellent technicien, Louis choisit alors de servir dans les forces sous-marines. La formation initiale du futur sous-marinier s’effectue à Toulon d’octobre 1937 à février 1938. Il embarque alors à bord du sous-marin de 1ère classe « Protée » en tant qu’adjoint au chef du service machines. C’est un navire de 1 500 tonnes, très récent, construit en 29 exemplaires dont 13 disparaîtront au cours de la Deuxième Guerre mondiale.

Les qualités de Louis sont vite reconnues dans le monde particulier des forces sous-marines. Son commandant estime sa nature silencieuse mais ouverte, active et calme, effacée mais efficace. Au bout d’une année il remplace son chef. La famille s’agrandit par la naissance, le 7 août 1939, donc concomitante avec le début de la guerre, d’Anne-Marie et se replie au Creusot, chez les parents de Jeanne. Le « Protée », affecté à la division navale du Levant, c’est à dire en Méditerranée orientale, est bientôt intégré à la force X commandée par le vice-amiral Godfroy. Le sous-marin effectue une sortie de douze jours lorsque l’armistice est signé, le 22 juin 1940. Oublié des autorités maritimes, il ne reçoit aucun message, aucun ordre. Son commandant prend alors l’initiative de rentrer, fin juin, à Alexandrie, où la force X est déjà ancrée, ainsi que l’escadre britannique de l’amiral Cunningham.
Alléguant le risque de voir la flotte française tomber dans les mains d’Hitler ou de Mussolini, Churchill décide de la saisir, où qu’elle se trouve dans le monde. C’est l’opération « Catapult ». Elle est menée de manière brutale dans les ports britanniques et à Mers el-Kébir (1300 marins français tués) mais, grâce à l’intelligence et au courage de l’amiral Cunningham, elle s’effectuera sous la forme d’un « gentleman agreement » avec l’amiral Godfroy. Il ne faut cependant pas s’y tromper : la force X est prisonnière. Rien n’est pire que le désœuvrement pour un soldat ou un marin, ce sera portant le quotidien de l’équipage du « Protée » pendant près de trois longues années. C’est dans cette période difficile que Louis montrera d’exceptionnelles qualités de chef. Malgré des effectifs réduits et une pénurie de tout, il parvient à maintenir un moral élevé pour ses hommes et une disponibilité inattendue pour ses installations.
Le 8 novembre 1942, les Américains débarquent en Afrique du Nord, Godfroy se rallie secrètement et progressivement à de Gaulle, l’étau britannique se desserre et le « Protée » peut à nouveau mener des missions de guerre contre l’Axe. C’est au cours de l’une d’elles, en décembre 1943, au large des côtes provençales, qu’il disparaît.
Parmi les objets restitués à Jeanne en 1945 figurent un train électrique, une raquette de tennis, une raquette de badminton et une montre en or…
Le 23 décembre 1947 le secrétaire d’Etat chargé de la marine écrit à Jeanne Laubie pour l’informer qu’il a décidé de donner le nom de « Louis Laubie » à l’ex sous-marin allemand U766 incorporé dans la marine nationale à titre de prise de guerre, voulant ainsi perpétuer dans la flotte de combat le souvenir de l’ingénieur mécanicien de première classe[2] Laubie, disparut glorieusement avec son bâtiment vers le 29 décembre 1943, à proximité des côtes de Provence.
Jeanne Laubie ne s’est pas remariée et s ‘est réinstallée à Toulon en 1971, pour sa retraite. Elle y est décédée en 2004.
L’épave du « Protée » sera retrouvée en 1995, par un autre Gadz’Arts, au large de Cassis : les pêcheurs « crochaient » régulièrement leurs filets un peu au large. Ayant des contacts avec la Comex, société marseillaise de recherches océanographiques fondée et dirigée par Henri Delauze (Aix 1946), ils signalent le fait. La Comex effectue une plongée sur la zone et peut identifier l’épave du « Protée ». Pratiquement intacte, elle repose sur un fond sableux sous 125 mètres d’eau à proximité d’une fosse marine qui s’étend un peu plus loin. Seul le kiosque est un peu endommagé, mais il a pu l’être par la traîne des filets. Malgré cette identification, les circonstances exactes de la disparition du « Protée » ne sont pas élucidées. Certains disent qu’il a pu, en immersion peu profonde, heurter une mine qui a endommagé l’avant du kiosque et provoqué une voie d’eau. D’autres pensent que le « Protée » a pu se poser sur le fond pour tenter d’échapper à un grenadage depuis un bâtiment de surface allemand, et n’a pu ensuite remonter. Le mystère subsiste.
Bernard JACQUET (Cluny 77)
[1] Jean Paillard (Cluny 1929)
[2] 3 galons