Eh oui, c’est bientôt le Tour de France… Histoire de rendre hommage au vainqueur du Tour en 38, le « messager à vélo » Bartali !

« Lorsque Gino Bartali reçoit la proposition de rejoindre le clan de la Résistance, sa vie a donc déjà suffisamment été secouée par le malheur. Elle ne souffrirait pas de s’accommoder en plus des pires atrocités. Bartali est un homme extrêmement pieux, depuis toujours, pratiquant la prière quotidienne et entré dans le tiers-ordre carmélitain. Après avoir passé la nuit dessus, il a mûri sa décision : ce sera oui…

Dans ce mouvement de solidarité religieuse qui ne coule, à l’époque, pas forcément de source – le pape Pie XII, élu au pontificat en 1939, n’ayant pas réellement clarifié sa position à l’égard du fascisme -, Gino Bartali est assigné à une mission qu’il est précisément le seul à pouvoir faire. Parce qu’elle nécessite courage, force physique et savoir-faire. Sa popularité est un bonus non négligeable dont on peut affirmer qu’il a contribué à lui sauver la vie.

Spontanément, un immense réseau de sauvetage s’est donc organisé pour permettre à des milliers de juifs de trouver refuge dans des couvents ou des monastères disséminés en Toscane, en Ligurie et en Ombrie, notamment dans les villes d’Assise, Viareggio, Gênes et Lucques, au nord de la cité florentine. En plus de les cacher, les religieux, avec l’aide de précieux complices, dont un imprimeur et des fonctionnaires haut placés, leur fournissent des faux-papiers pour leur permettre d’accéder au rationnement alimentaire et, tout simplement, de fuir le régime.

Et c’est là que Gino Bartali entre en scène. Le champion transalpin a pour rôle de faire la jonction entre ces différents couvents, afin dans un premier temps de récupérer des documents nécessaires à la réalisation des faux-papiers (pièces d’identité, photos etc.) puis dans un second temps d’en assurer la redistribution. Et il le fait, on l’aura compris, à vélo, sous couvert de sorties d’entraînement, les documents soigneusement dissimulés dans le cadre tubulaire de son engin, au niveau de la selle ou de la potence du guidon.

En un an, entre fin 1943 et fin 1944, Gino Bartali réalise ainsi une quarantaine d’allers-retours entre Florence et (la plupart du temps) Assise, transformée en une sorte de ville-hôpital, sous l’œil permissif de la Wehrmacht, et devenue le centre névralgique de la Résistance. Une heureuse providence pour celui dont on dit aussi qu’il est membre de la confrérie religieuse de Saint-François d’Assise. C’est là, également, que se situe l’imprimerie clandestine de Luigi et Trento Brizi (père et fils), chargés de confectionner les faux. Au total, pour Gino, cela fait un trajet d’environ 180 km, 360 avec le retour, qu’il effectue parfois dans la journée, parfois sur deux jours.

« Chérie, ne m’attends pas ce soir… »

Physiquement, techniquement, la mission est largement dans ses cordes. L’homme est habitué aux courses dantesques de l’époque – c’est le mot, puisque Dante était aussi Toscan –, qui excédaient encore régulièrement les 300 kilomètres. Et puis, Bartali a appris le métier à la source, en commençant à travailler dès l’âge de 13 ans comme apprenti-mécanicien chez un cyclociste réputé de son village, Oscar Casamonti, qui lui a fait découvrir la course cycliste en même temps que ses incroyables facultés physiologiques. Comme le souligne le journaliste italien – basé à Paris – Alberto Toscano, auteur d’un livre référence sur la destinée de Bartali (Un vélo contre la barbarie nazie, éditions Ekho), « démonter un vélo pour y cacher les documents est pour lui un jeu d’enfant. »

Non, le plus compliqué, et le plus périlleux, est de ne pas se faire pincer par la milice nazie qui quadrille une bonne partie du pays et veille à tous les déplacements suspects. Gino Bartali doit agir dans la plus grande discrétion et ne dit pas un mot de son action, pas même à sa femme, surtout pas à sa femme, qu’il rendrait aussitôt complice de son « forfait ». A elle aussi, il lui balance la même salade avant de prendre la route : « Chérie, ne m’attends pas ce soir, je pars faire une longue sortie d’entraînement. » E basta…

Vallonnées et pittoresques, cerclées de vignobles, chargées d’histoire, réputées pour leur beauté autant que pour leur exigence, les routes de Toscane constituent un terrain de jeu idéal pour Bartali, qui du reste ne s’amuse guère à flâner en route – il lui arrive même souvent de rouler de nuit -, sauf parfois pour s’arrêter prier dans une église de village croisée çà et là au fil de son périple. Pour être sûr qu’on le reconnaisse, il s’affuble d’un maillot floqué à grosses lettres de son nom. Ça peut toujours servir.

Et d’ailleurs, ça sert. A plusieurs reprises, Bartali est contrôlé par la Wehrmacht et à chaque fois, il repart sans dommage, sauvé à la fois par son flegme légendaire et par sa célébrité, puisqu’il est toujours un milicien fan de cyclisme ravi de pouvoir échanger avec lui sur ses exploits, voire obtenir un autographe. Quant à ceux qui ont le malheur de s’approcher un peu trop près de son vélo, il leur dit, faussement innocent, de faire bien attention à ce matériau rare et hors de prix. Et quelques minutes plus tard, il repart sous les vivats des SS…

Régulièrement Gino Bartali fait halte à la gare de Terontola, en prenant soin de faire coïncider son heure d’arrivée avec celle d’un train qu’il sait rempli de juifs en provenance d’Assise et à destination de contrées libres. Avec la complicité d’un ami qui tient un café en face de la gare, il provoque là-bas, une fois encore par sa popularité, un attroupement géant qui détourne l’attention des miliciens et permet ainsi aux juifs d’échapper aux contrôles fréquents dans cette zone très surveillée.

Le silence, règle n°1 pour survivre

Finalement, Gino Bartali n’aura qu’une seule frayeur, mais de taille. Fin juillet 1944, il est arrêté par une milice italienne collaborationniste, qui a intercepté une lettre à son attention en provenance du Vatican et a donc des doutes sur ses accointances avec le réseau catholique, dont les fascistes connaissent l’existence. Interrogé avec poigne dans les sombres sous-sols de la bien nommée Villa Triste, à Florence, il s’en sort une nouvelle fois grâce à sa réputation et à l’intervention en sa faveur d’un officier fasciste passionné de vélo. Quelques semaines plus tard, Florence est libérée. La vie peut reprendre son cours. Et Gino le vélo, pour de « vrai » cette fois.

Le grimpeur d’exception, l’un des meilleurs de tous les temps, a réussi une fois plus à s’échapper sans jamais se faire rattraper. Ce ne sera pas le cas de tous les maillons de cette chaîne de résistance, dont plusieurs ont été démasqués, et fusillés. Est-ce par respect pour eux que Bartali prit ensuite le pli de ne jamais parler ?

Possible, mais l’omerta est de toute façon la règle n°1 dans cette organisation secrète. Rappelons qu’en parallèle à sa mission de « facteur de la liberté », comme l’avait surnommée Monseigneur Dalla Costa, Gino Bartali abrite, dans la cave de sa maison, ainsi que dans celle d’un de ses cousins, une famille de juifs, les Goldenberg, dont le fils Giorgio livrera bien des années plus tard un témoignage capital dans la révélation des dessous de l’histoire. Pour que chacun survive, le mutisme le plus total est requis. Il n’a jamais quitté Bartali. »

https://www.eurosport.fr/cyclisme/les-grands-recits/2020-2021/vainqueur-du-tour-et-sauveur-de-juifs-l-incroyable-destin-cache-de-gino-bartali_sto7841498/story.shtml