Joseph Coron, mort sur le Cap Arcona
Après avoir recensé et présenté le parcours des Prat’siens engagés en 1939-1945 (nous n’avons pas totalement terminé ces notices biographiques), voici une nouvelle série d’articles consacrés à d’autres résistant-e-s ou militaires, né-e-s à Cluny. La première notice est consacrée à Joseph Coron.
Pourquoi cette nouvelle recherche ?
À Cluny, nous avons bien un monument 39-45 situé au centre-ville rendant hommage à « ses fils morts pour la patrie, soldats, résistants, maquisards, déportés, patriotes, volontaires du régiment de Cluny du Commando et du IV bataillon de choc, victimes des bombardements aériens du 11 août 1944. » Le hic, c’est qu’il n’y a aucun nom inscrit dans la pierre.

Quant à la stèle des déportés au Pont de l’Étang, la liste comporte les noms de celles et ceux qui ont été arrêtés à Mont-Cortevaix (Dargaud et Chevillon), à Cluny en février 1944 et on trouve également le nom de Claudius Mangeard, déporté le 14 décembre 1943 et non pas parti le 14 février 1944 de Cluny vers les camps, comme on peut le lire sur la stèle. C. Mangeard, le « premier déporté » de Cluny, lit-on souvent dans les ouvrages consacrés à la résistance dans le Clunisois.

Or, le premier déporté né à Cluny est un certain Jacques Libion, né en 1925 et déporté en 1941. Il avait seize ans. Nous reparlerons de lui. En bref, la liste des noms gravés au Pont-de-l’Étang est incomplète, surtout si nous rajoutions les noms de tous les déporté-e-s revenu-e-s des camps…

J’entends déjà certains émettre des objections. Ah oui, mais celui-là, il « n’était pas de Cluny » puisqu’il avait quitté la ville pour habiter ailleurs… Ah… être de Cluny ou ne pas être, ça, c’est une grande question.
Nous ne faisons pas un procès à l’Amicale des déportés qui a réalisé un travail monumental et qui a établi la liste des noms gravés dans la pierre du Pont de l’Étang.

Ce travail de recensement aurait dû être également effectué par la mairie car quels villes ou villages de France n’ont pas rajouté sur leurs monuments aux morts 14-18, les noms de celles et ceux qui sont tombés en 39-45, en Indochine ou en Algérie ? Eh bien la ville de Cluny en fait partie. On pourrait redire -mais ce serait rabâcher- que la liste des « Morts pour la France » 1914-1918 est elle-même incomplète, mais là c’est une autre histoire puisque le projet de rajouter ces noms de Poilus a clairement été refusé par la municipalité lors du Centenaire 14-18. Nous avons fait le deuil de ce projet.
L’obligation d’inscrire les noms dans la pierre
« Lorsque la mention » Mort pour la France » a été portée sur l’acte de décès dans les conditions prévues au chapitre Ier du présent titre, l’inscription du nom du défunt sur le monument aux morts de sa commune de naissance ou du dernier domicile ou sur une stèle placée dans l’environnement immédiat de ce monument est obligatoire. » (Article L515-1 Ordonnance n°2015-1781 du 28 décembre 2015)
Certes, le blog n’aura jamais la puissance mémorielle d’un monument aux morts. Oui, un jour, il disparaîtra. Mais qu’importe s’il est éphémère. Il n’est jamais trop tard pour sortir de l’anonymat les Clunisois, femmes et hommes, né-e-s à Cluny, tombé-e-s dans l’oubli et « Morts pour la France » lors de la seconde guerre Mondiale.
Alors qui était Joseph Coron, né à Cluny en 1907 et oublié de tous ?
Jean Joseph Coron est né le 28 septembre 1907. Il est le fils de Jean Claude Coron[1] chauffeur au P.L.M. et de Charlotte Pétronille André. Le couple a également deux filles, Marcelle, née en 1908 à Cluny et Lucienne née en 1915 à Chagny. En 1911, la famille Coron vit Porte de Mâcon à Cluny. Ils déménageront à Chagny au début des années 1930.
Joseph épousera Gabrielle Doignon (1914-1977), originaire de Chagny. Il est ajusteur.
Mourir sur le cap Arcona
Joseph Coron est déporté depuis Compiègne par le convoi du 21 mai 1944 à Neuengamme. En avril-mai 1945, il a survécu aux mauvais traitements, à la faim et finalement aux marches de la mort puisqu’aucun déporté ne devait tomber vivant entre les mains de l’ennemi. Embarqué ensuite sur le Cap Arcona, Joseph et ses camarades survivants voient les avions anglais survoler le navire. Nous sommes début mai 1945. Ils font des signes, se croyant enfin sauvés mais vont périr sous les bombardements alliés. Le navire est en feu. 4500 déportés vont mourir.
La fin de la guerre pour les Anglais.
« Après qu’Hitler s’était suicidé, le 30 avril 1945, l’Amiral de la Flotte Karl Dönitz lui succéda comme commandant suprême. Il fut faussement rapporté que la direction nazie avait planifié de partir en Norvège et de se battre à partir de ce pays, en ayant rassemblé à dessein, à peu près 500 bateaux dans les baies de Lübeck et de Kiel. Cette inexactitude n’est toujours pas corrigée dans les publications anglaises jusqu’à aujourd’hui.
A partir du 16 avril 1945, le Fighter Command eut comme mission la surveillance du ciel de l’Allemagne et le Coastal Command, celle de la côte. Winston Churchill avait donné cet ordre à la suite du bombardement de Dresde qui avait été critiqué et qualifié d’acte délibéré de terreur et de destruction. Cette décision, remplaçant le Bomber Command par le Fighter Command, a eu de graves conséquences et, comme résultat, le bombardement de ces bateaux-prisons. La reconnaissance aérienne du Bomber Command était mieux informée en ce qui concerne les événements et changements sur le sol allemand. Elle connaissait la position exacte des camps de concentration et ainsi, où il ne fallait pas bombarder. Par exemple, aucune bombe ne fut lancée sur le camp de concentration de Neuengamme, près de Hambourg. En fait, des avions avaient survolé le camp à basse altitude, agitant leurs ailes, donnant de l’espoir aux déportés qui étaient sur la Place d’Appel. A Süchteln, le Quartier Général du Second Tactical de la RAF en savait peu sur les transports de déportés des camps de concentration en direction du nord. Suivit l’ordre d’opération n° 73 du 3 mai 1945 indiquant : « Destruction de la concentration de la flotte ennemie dans la baie de Lübeck à l’ouest de l’île de Poël et vers le nord à la limite de la zone de sécurité ». L’escadrille 263 basée à Ahlhorn, sous le commandement du capitaine Martin Rumbold, avec comme pilotes Mark Hamilton, Ronnie Proctor, Dave Morgan, Eric Coles, Mike Luck, Larry Saunders et J.A. Smith, attaqua le « Cap Arcona » à 14 h. 30, le 3 mai 1945. Chacun des huit « Typhoons » avait huit roquettes incendiaires qui furent tirées par salve. La totalité des soixante-quatre roquettes atteignirent leur cible. L’escadrille 197 basée à Celle, sous l e commandement du Lieutenant J. Harding, attaqua alors. Les huit « Typhoons » avait, chacun, deux bombes de 500 livres. Quinze des seize bombes atteignirent leur but. Le paquebot s’embrasa.
Entre les deux attaques sur le « Cap Arcona », l’escadrille 198 basée à Plantlünne, sous le commandement du capitaine Johnny Baldwin, attaqua, avec neuf chasseurs-bombardiers « Typhoons », le « Thielbek » et le « Deutschland ». Cinq chasseurs tirèrent leurs roquettes sur le « Deutschland », et les quatre autres « Typhoons » tirèrent sur le « Thielbek ». Le « Deutschland » s’embrasa violemment, se renversa la quille en l’air, avant de sombrer quatre heures plus tard. En feu à bâbord, le « Thielbek » gîta avec un angle de 30° à tribord et coula vingt minutes après avoir été attaqué.
La fin de la guerre pour les Allemands.
Le Reichsführer SS Heinrich Himmler avait émis un décret secret à destination de tous les commandants de camp de concentration indiquant qu’une reddition était inacceptable, que les camps de concentration devaient être immédiatement évacués et qu’aucun déporté ne devait tomber vivant entre les mains de l’ennemi. Himmler projetait que tous les déportés devaient être tués. Au camp de concentration de Neuengamme, l’ordre fut reçu par le SS-Obersturmführer Karl Totzauer, adjudant-major du commandant Max Pauly. Cet ordre initia les Marches de la Mort à partir de Neuengamme, le plus grand camp de concentration en Allemagne du Nord avec ses 96 camps extérieurs dont plus de 20 étaient des camps de femmes et, où près de 56 000 des 106 000 détenus moururent sous les coups ou par pendaison, exécution, gazage, injection mortelle ou transfert vers les camps de la mort d’Auschwitz et de Majdanek. Les SS menèrent les prisonniers, parfois au hasard, vers le nord, à pied ou en train, sans nourriture ou sans boisson. Des centaines de déportés en moururent de faim ou de soif, ou furent abattus là où ils tombaient, étant trop épuisés pour continuer. Les déportés du camp extérieur de Neuengamme Hannover-Stöcken furent d’abord évacués par rail vers Bergen-Belsen puis furent déviés en direction de Berlin, Bergen-Belsen étant surpeuplé. Trois jours après, le reste des prisonniers fut débarqué à Mieste, marcha vers le camp militaire de Gardelegen, puis deux jours plus tard, jusqu’au village d’Isenschnibbe dans les faubourgs de Gardelegen. Ils y furent assassinés. Le commandant NSDAP du district Gerhard Thiele avait préparé un piège mortel. Sous prétexte que les déportés devaient être enlevés de la zone de guerre et de Gardelegen, et protégés de l’avance des troupes américaines, les 1 038 prisonniers restants furent conduits dans l’énorme grange du village. Auparavant, les SS avaient répandu de l’essence et du pétrole sur la paille. Le SS-Scharführer Braun lança alors une torche enflammée à travers la porte et les SS commencèrent immédiatement à tirer dans chacune des quatre portes fermées de la grange. Ceux qui rampaient sous les murs latéraux furent abattus. 1 016 personnes furent assassinées, 22 en réchappèrent.
Pendant que les Marches de la Mort avançaient vers le nord, le chef du district de Hambourg Karl Kaufmann cherchait des bateaux dans lesquels mettre les déportés pour prendre la mer. Les quelques bateaux restants, y compris des ferry-boat et des péniches, furent déployés à l’Est, sauvant des civils et des troupes allemandes qui reculaient devant la progression de l’armée soviétique. Comme Commissaire à la Défense de l’Allemagne du Nord et Commissaire du Reich à la Marine Marchande, il avait le droit de disposer de toute embarcation civile. Etant informé au sujet du « Cap Arcona », il ordonna aux transports de déportés du camp de concentration de Neuengamme et de ses camps extérieurs, d’être dirigés vers Lübeck et d’embarquer les déportés. 11 000 prisonniers de guerre arrivèrent sur les quais du port de Lübeck. La ville avait souffert de graves dommages dus aux bombes. Les premiers déportés du camp de Neuengamme arrivèrent en wagons à bestiaux dans le port de Lübeck, le 19 avril 1945. Entre le 19 et le 26 avril, de nouveaux transports arrivèrent. Presque la moitié des déportés ne survécut pas à ces Marches de la Mort.
Le 17 avril 1945, le « Thielbek » fut informé qu’il devait se préparer pour une opération spéciale. Le 18 avril, des SS vinrent à bord, le capitaine du « Thielbek », John Jacobsen, et le capitaine du « Cap Arcona », Bertram, furent appelés à une conférence. Le capitaine Jacobsen retourna informer son équipage qu’on leur donnait l’ordre d’embarquer des déportés et que, lui et le capitaine Bertram, avaient refusé. Le jour suivant, Jacobsen revint défait, ayant perdu le commandement de son propre navire. Peu de temps après, le premier train arriva. Des toilettes temporaires furent installées sur le pont du « Thielbek » et l’embarquement commença le 20 avril. La Croix Rouge suédoise était présente et tous les déportés, sauf les prisonniers russes, reçurent un colis de nourriture qui, en association avec la sous-alimentation et la soif, causèrent de terribles douleurs. L’eau provenant de la citerne du navire était totalement insuffisante. Vingt à trente déportés mourraient chaque jour et étaient enlevés par camion. Tous les déportés, à l’exception des déportés politiques, restèrent un ou deux jours à bord, avant d’être transférés sur le « Cap Arcona » via l’« Athen ». Le nombre de SS fut graduellement réduit et remplacé par des membres de l’armée territoriale, âgés de 55 à 60 ans, et de l’infanterie de marine. Il y avait de la paille sur le pont alors que, dans les cales, il n’y avait aucun couchage. Sur ce pont, il y avait aussi de grands stocks de provisions sous une bâche de protection mais la distribution était désorganisée. Les déportés malades et les prisonniers soviétiques en obtinrent très peu. Les latrines étaient insuffisantes. Des seaux furent descendus dans les cales et remontés quand ils étaient pleins. La puanteur était terrible. Le nombre de dysenteries augmentait toujours plus.
Le 20 avril 1945 au matin, le SS-Sturmbannführer Christoph-Heinz Gehrig, à la tête de l’administration du camp de concentration de Neuengamme, fut envoyé à Lübeck par le Commandant Max Pauly. Gehrig avait été responsable du meurtre de vingt enfants juifs de l’école Janusz-Korczak au 92 Bullenhuser Damm, dans le district hambourgeois de Rothenburgsort. Ces enfants avaient été utilisés pour des expériences sur la tuberculose dans le camp de Neuengamme. Gehrig devait escorter les déportés vers leur mort à bord du « Cap Arcona ». Il ordonna au capitaine de l’« Athen », Nobmann, de prendre 2 300 déportés et 280 gardes SS à bord et de les transporter vers le « Cap Arcona ». Le capitaine Nobmann initialement refusa mais obéit quand il fut menacé d’être fusillé à la suite d’un procès devant une cour prévôtal. Les SS et les Kapos amenèrent les déportés à bord, sous les hurlements et sous les coups. Ils devaient descendre, à l’aide d’échelles de corde, dans les profondeurs des cales du navire. Dans la hâte, beaucoup de déportés tombaient et étaient sérieusement blessés. Il était difficile de se faire une place, de se déplacer dans les cales sombres, froides et humides. Il n’y avait ni toilettes ni eau. Quelques heures après, le cargo, chargé à ras bord, quitta le port pour le « Cap Arcona » ancré au large de Neustadt. Le capitaine Bertram refusa d’embarquer les déportés, même après que les SS soient venus à bord. L’« Athen » resta au large de Neustadt, toute la nuit, et retourna à Lübeck le matin suivant, le 21 avril, les déportés n’ayant rien à manger ni à boire.
Le SS-Sturmbannführer Gehrig informa le commandant de camp Pauly, du refus du capitaine Bertram de prendre des déportés à bord puis Pauly informa le Général SS, Chef de la Gestapo de Hambourg, le Comte Bassewitz-Behr qui le rapporta au Gauleiter Kaufmann. Le soir du 21 avril, Kaufmann envoya son conseiller personnel, le SS-Hauptsturmführer Horn, à John Egbert, président du conseil d’administration de la compagnie maritime « Hamburg-Süd », pour l’informer que le capitaine Bertram devait obéir à l’ordre SS d’embarquer des prisonniers de guerre, sinon il serait tué. Egbert téléphona à Bertram qui, à son tour, appela l’amiral Engelhardt qui avait la direction du transport naval de la Kriegsmarine. Il était clair pour tous que le « Cap Arcona » devait être coulé avec les prisonniers à bord. Engelhardt envoya le capitaine Rössing à Kaufmann pour se plaindre, et élever une protestation formelle de la Kriegsmarine contre la confiscation du « Cap Arcona ». Mais il fut le seul à aller aussi loin contre le SS-Hauptsturmführer Horn qui ordonna au Lieutenant-Commandant Lewinski et au SS-sturmbannführer Gehrig de confisquer le paquebot manu militari. Dans l’intervalle, cinq jours étaient passés et, le 26 avril, Lewinski et Gehrig se rencontrèrent à Lübeck et voyagèrent ensemble vers Neustadt d’où ils furent transportés vers le « Cap Arcona » à l’aide d’un canot automobile de la base-école des Sous-mariniers, escortés par un commando SS armé. Le capitaine Bertram essaya, sans succès, de négocier avec Lewinski et Gehrig. Ils lui proposèrent l’ultimatum suivant : soit donner immédiatement la permission à l’« Athen » de s’amarrer bord à bord et transférer ses prisonniers dans le « Cap Arcona », soit être fusillé sans procès devant une cour martiale. Bertram capitula. Avant que l’« Athen » s’amarre à son côté, une seconde fois, une chaloupe apporta des SS qui, sous le commandement du SS-Untersturmführer Kirstein, enlevèrent toutes les ceintures et tous les gilets de sauvetage, ainsi que tous les bancs et banquettes qui pouvaient être utilisés comme radeaux et les enfermèrent à clé dans la salle des entrepôts.
Pendant trois jours, l’« Athen » fit la navette entre le port de Lübeck et le « Cap Arcona ». Finalement, 6 500 déportés et 600 gardes SS étaient à bord. Il y avait à peine de quoi manger et boire, et des prisonniers continuaient de mourir. Chaque jour, une chaloupe apportait de l’eau potable et retournait à Neustadt avec les morts. Les prisonniers russes reçurent le plus mauvais traitement, étant enfermés à clé dans la cale la plus basse, sans air, sans lumière et sans nourriture. Le nombre de morts augmentait toujours plus. L’« Athen » effectua son dernier trajet vers le « Cap Arcona » le 30 avril mais, cette fois, pour enlever des prisonniers du « Cap Arcona » qui était si surpeuplé que, même les SS, ne pouvaient endurer plus longtemps les déportés faméliques, la puanteur et les morts qui s’entassaient.
Les déportés avaient appris, le 1er mai 1945, qu’Hitler s’était suicidé, que la majeure partie de Berlin était occupée par les troupes russes et que la guerre était pratiquement finie.
Le 2 mai, les barges « Wolfgang » halée par l’« Adler » et « Vaterland » halée par le « Bussard », et plusieurs péniches de débarquement, apportant un demi-millier de déportés faméliques du camp de concentration de Stutthof, près de Gdañsk en Pologne, arrivèrent à Neustadt. Beaucoup moururent pendant ce trajet, ils furent balancés par-dessus bord. Ces déplacements avaient commencé le 17 avril. Les barges reçurent l’ordre par signal lumineux de la base-école des Sous-mariniers et du commandant du port Kastenbauer qu’elles devaient être remorquées le long du « Thielbek », qui lui-même, avait été remorqué du port industriel de Lübeck à la baie de Lübeck, tandis que des chars britanniques traversaient le pont Herrenbrücke. Ce soir-là, les gardes SS commencèrent à tirer sur les prisonniers qui étaient sur les barges. Les barges, la mer et la plage étaient remplies de cadavres. Ceux qui atteignaient la plage furent abattus par l’infanterie de marine venue de la base-école des Sous-mariniers. Environ 400 déportés du camp de Stutthof furent tués. Le jour suivant, le reste des prisonniers fut mené au stade de Neustadt. A 15 heures, le 3 mai, les prisonniers devaient former une colonne et commençaient à quitter le stade quand, soudainement, les Allemands disparurent et des chars britanniques apparurent devant eux. Ils étaient libres. Les survivants du camp de Stutthof libérés furent alors cantonnés dans la caserne de la marine, près du stade.
La fin de vie des déportés des camps de concentration de Neuengamme, de Dora-Mittelbau et de Stutthof.
Le 3 mai au matin, des avions anglais effectuèrent une reconnaissance en survolant la baie de Lübeck et observèrent le « Cap Arcona ». Les déportés faisaient des signes de la main, croyant qu’ils étaient sauvés. Pour éviter les tirs des canons des batteries anti-aériennes des bateaux, les avions volèrent alors à 10 000 pieds. De plus, le plafond nuageux était si bas qu’on ne distinguait pas les prisonniers. A 12 h. 30, on ordonna à l’« Athen » de retourner à Neustadt pour embarquer les déportés du camp de Stutthof survivants du massacre des barges. Le capitaine Nobmann refusa. Ce qui sauva 1 998 déportés de la mort, l’« Athen » restant dans le port quand l’attaque débutait. A 14 h. 30, le capitaine Rumbold revint avec son escadrille. La visibilité s’était améliorée. Ils attaquèrent.
Le « Cap Arcona » était en feu. L’équipement de sauvetage, en cas d’inondation ou d’incendie, était aux standards les plus élevés mais commandé à partir du pont. Le capitaine Bertram quitta ce pont, se frayant un chemin avec une machette à travers la masse de prisonniers, pour abandonner son navire. Les SS maintenaient les prisonniers au-dessous de l’entrepont du navire incendié et rempli de fumée, et les menaçaient avec le tir de leurs mitrailleuses. Parmi ceux-là, presque tous les prisonniers y furent tués. Beaucoup de canots de sauvetage étaient percés et, de toute façon, les prisonniers ne savaient pas comment les descendre. Un seul canot de sauvetage fut mis à la mer. Dans une panique indescriptible, les déportés qui ne furent pas tués durant l’attaque ni brûlés ni noyés dans leur prison renversée, se ruèrent sur le pont, se jetèrent à l’eau, tentèrent de s’accrocher à une planche flottante ou aux canots allemands de la base-école des Sous-mariniers, mais la plupart se noyèrent. Quelques prisonniers furent récupérés dans un canot en dépit de l’ordre donné par le commandant de garnison de Neustadt, le capitaine de frégate Heinrich Schmidt et de son quartier général de la base-école des Sous-mariniers, de ne pas secourir de prisonniers. Les autres déportés nageant dans la Mer Baltique glaciale furent mitraillés par les canons de 20 mm des chasseurs-bombardiers « Typhoons » qui, volant au ras des flots, revinrent à plusieurs reprises. Sur la plage, ils subirent le tir des mitrailleuses des Verdammten SS. En atteignant Neustadt, les derniers rescapés prièrent les troupes britanniques d’envoyer d’urgence des canots de sauvetage. Des 4 500 déportés de camps de concentration à bord, 350 survécurent. Des 600 gardes, SS et infanterie de marine, des 24 femmes SS et des 70 membres d’équipage, approximativement 490 furent sauvés dont, parmi eux, le capitaine Bertram et son officier en second Dommenget.
L’attaque sur le « Thielbek » arriva environ une heure après l’attaque du « Cap Arcona ». Son pavillon blanc flottait. Seuls quelques prisonniers furent capables de s’échapper des cales. Les canots de sauvetage étaient troués. L’équipage donna de l’aide aux prisonniers. Le bateau gîtait à 50° et était prêt à sombrer, quand le capitaine Jacobsen dit à son équipage de quitter le navire. Des 2 800 déportés de camps de concentration à bord du navire, seulement 50 survécurent. Pratiquement tous les gardes SS et ceux de l’infanterie de marine furent tués, ainsi que le capitaine Jacobsen, le premier officier Andresenet le premier ingénieur Lau. L’officier en second Walter Felgner, le troisième officier Schotmann et trois matelots de la marine marchande furent rescapés. Les avions britanniques mitraillaient les canots de sauvetage et les déportés dans l’eau…
Le lendemain, les troupes anglaises pénétrèrent dans le camp de Neuengamme complètement vide et Montgomery reçut la reddition des troupes de l’Allemagne du Nord. Quatre jours plus tard, la guerre prit fin en Europe.
Aucune acceptation de responsabilité ni d’honorer les morts.
Aucun gouvernement britannique n’a jamais fait référence à la mort des 7 500 prisonniers de guerre de la baie de Lübeck. Il n’y a jamais eu de couronne déposée ni aucun discours prononcé en leur mémoire. Des fosses communes furent creusées le long de la plage entre Neustadt et Pelzerhaken. Des survivants firent construire un cénotaphe en pierre sur lequel est écrit en grandes lettres noires :
A la mémoire éternelle des prisonniers du camp de concentration de Neuengamme. Ils périrent avec le naufrage du Cap Arcona le 3 mai 1945.
Le 6 mai 1945, un déporté norvégien avait indiqué l’endroit du drame à des soldats britanniques qui, sous le commandement du capitaine Pratt, tirèrent une salve au-dessus des tombes.
Pendant des années, la Mer Baltique rejeta des cadavres et des morceaux de squelette dont les derniers jusque dans les années 70.
Aujourd’hui, il y un mémorial pour ceux qui furent tués sur le « Cap Arcona » dans le cimetière de Grömitz et un musée à Neustadt en Holstein depuis 1990.

Dans le procès dit « procès du Curio-Haus », Max Pauly, le commandant du camp de Neuengamme, le chef de camp Thumann ainsi que le docteur SS Alfred Trzebinski, furent jugés, convaincus de crimes de guerre et pendus dans le pénitencier d’Hameln. De nombreux officiers SS du commandement du camp de Neuengamme furent jugés de 1945 à 1948 par des tribunaux militaires anglais. Mais aucun des nombreux autres allemands, coupable des meurtres des déportés à bord du « Cap Arcona » et du « Thielbek », n’a été jugé ni par une cour britannique ni par une cour allemande. Ceux qui furent responsables du meurtre des 400 déportés du camp de concentration de Stutthof n’ont jamais été dans un tribunal pour être jugés.
Epilogue.
Le « Cap Arcona » resta échoué dans la baie de Lübeck jusqu’en 1950 puis fut démonté par des plongeurs pendant une période de plusieurs années pour être réduit en ferraille. Sur cette jetée de Neustadt, l’épave fut étudiée et photographiée en détail pour Rolls-Royce qui avait fabriqué les roquettes, afin d’évaluer leur efficacité.
Quatre ans après son naufrage, le « Thielbek » fut remis à flot, réparé et retourna au service sous le nom de « Reinbek ». Les restes des cadavres encore à bord furent placés dans 49 cercueils et déposés pour reposer enfin en paix, dans le cimetière « Cap Arcona » de Neustadt. En 1961, la compagnie maritime « Knöhr & Burchard » vendit le cargo qui navigua alors sous pavillon panaméen avec comme nom « Magdelène », et plus tard « Old Warrior ». En 1974, il fut démonté à Split en ex-Yougoslavie.
L’Union Soviétique acquit l’« Athen » comme réparation de guerre et le renomma « Général Brusilow ». Le 27 mai 1947, le bateau fut offert à la Pologne. Renommé « Warynski », il navigua beaucoup d’années encore, entre Gdañsk et Buenos Aires, via Hambourg. En 1973, il fut mis hors service et servit d’entrepôt flottant dans la ville de Stettin avec la désignation « NP-ZPS 8 ».
Le « Deutschland » fut déséchoué et démonté en 1948.
Réunion commémorative.
Une commémoration des bombardements du « Cap Arcona », du « Thielbek » et du « Deutschland » eut lieu à Neustadt, le 3 mai 1995, cinquante ans après l’événement. Parmi les survivants, L.H. Intres (Bert Intres) qui survécut au bombardement et au naufrage du « Cap Arcona » en sortant par un hublot. Il se maintint sur le côté du paquebot jusqu’à ce qu’il chavire, puis resta sur la quille d’où les Britanniques le sauvèrent, comme 314 déportés et 2 membres d’équipage[2]. »
Alain Vancauwenberghe.
[1] Né à Diconne en 1881 et décédé en 1952. Charlotte Pétronille André est née à Lyon en 1880 et décédée en 1951. En 1906, date de leur mariage, Jean Claude Coron exerce la profession de charron.
[2] http://milguerres.unblog.fr/la-tragedie-du-%C2%AB-cap-arcona-%C2%BB-du-%C2%AB-thielbek-%C2%BB-de-l%C2%AB-athen-%C2%BB-et-du-%C2%AB-deutschland-%C2%BB/