Nous avions déjà publié un article sur un Prat’sien arrêté à Cluny et déporté le 14 février 1944 : Jean Alix. Il ne sera pas le seul dans ce cas. Trois autres Prat’siens partiront en déportation mais, contrairement à J. Alix, ils ne reviendront pas : Georges Malère, Claude Moreau et Antoine Martin.

Georges Malère (1904-1945)

Georges Denis Louis Malère est né le 13 novembre 1904 à Cluny. Son père -Henri (1875-1954)- est palefrenier et sa mère Lucie (née Siraud) couturière. Georges a obtenu son « certif » le 18 juin 1917 et il arrive de l’école communale de Boufarick, département d’Alger. Cluny-Alger : quels changements sûrement pour le jeune adolescent ! La famille Malère vit rue Porte des Prés et en octobre, il fait sa rentrée à La Prat’s en 1918 en même temps qu’Adolphe Gallimardet, Antoine Moreau et Maurice Pagenel.

Georges Malère embrasse la profession de plombier-zingueur et dirigera l’usine à gaz de Cluny. Jeanine Georges, fille d’André Belot, le décrira comme un homme « très chaleureux » avec ses employés[1]. En 1927, il épouse Marie-Hélène Fevre, native de Donzy-le-National. La collecte réalisée lors de leur mariage, nous dit la presse, se monte à 105 francs versés pour une partie aux écoles et pour l’autre aux dames patronnesses. Le couple aura deux enfants dont un fils qui épousera Marthe, fille du résistant Jean Renaud.

Sportif, Georges appartient à la société de tir et d’éducation physique et retrouve souvent ses copains au jeu de boules, Jean Renaud, Émile Wicker et Louis Burdin.

Georges Malère, Jean Renaud et deux amis, à l’été 1939[2].

La résistance « sans esbrouffe » : hiver 1942

Deux ouvrages font référence aux résistants Malère, Moreau et Martin : Le pire c’est que c’était vrai, édité en 2005 et l’ouvrage de Jean Martinerie : Éléments pour une approche historique de la résistance en Clunysois et lieux circonvoisins. Étrangement, André Jeannet qui a publié plusieurs ouvrages sur le même sujet, et notamment un « Mémorial de la Résistance en Saône-et-Loire », ne leur consacre aucune ligne. Et il en est de même pour la plupart des Clunisois, résistants, arrêtés ou non entre le 14 et le 17 février 1944…

Serait-ce un oubli volontaire de la part de l’historien ? 

Les amitiés nouées dans le quartier du bas de la ville perdurent. Et lorsque Jean Renaud, résistant de la première heure à Cluny, organise une première sixaine à l’automne ou dans l’hiver 1942, George Malère en est avec Claude Moreau et Antoine Martin.

L’arrestation : le 14 février 1944

Le 13 février au soir, l’hôtel Beaufort a servi le banquet des élèves des Arts-et-Métiers. De même, c’est la fête des conscrits de la classe en 4 qui organisent dans les Cras un bal clandestin. Le temps est à la neige et une bise glaciale souffle sur la cité abbatiale lorsque les derniers fêtards s’éclipsent vers les cinq heures du matin. Ils découvrent que les troupes allemandes ont investi la ville : personne n’a le droit de circuler, chacun doit rester chez soi, la Poste est occupée, la gendarmerie réquisitionnée et les carrefours surveillés… Liste en main, l’équipe est guidée -entre autres- par le Feldwebel qui avait occupé précédemment l’école du Parc Abbatial et qui connaît donc bien la ville.

La troupe sillonne la cité et se rend à toutes les adresses des résistants locaux, connus pour être des proches de Jean Renaud qui lui travaille pour le réseau de Tiburce-Buckmaster. A contrario, les résistants du groupe F.T.P. (groupe Doridon) ne semblent pas visés. Au total, entre les 14 et 17 février, soixante-treize personnes -résistants ou non- partiront depuis Cluny en déportation.

On sait maintenant -à l’appui de sources archivistiques- que l’opération de la SIPO-SD était attendue par la résistance clunisoise. Pourtant, le 14 février, les hommes sont tous à leur domicile. Seuls G. Malère et le préfet Golliard ont peut-être été un peu plus méfiants : la veille de la « rafle », le directeur de l’usine à gaz déménage des armes dans les souterrains de l’abbaye car, selon Colette Fèvre, il a « été informé de la probable perquisition[3]. » Si l’on se réfère aux témoignages livrés dans l’ouvrage « Le pire c’est que c’était vrai », peu de maisons sont perquisitionnées, hormis l’hôtel Beaufort où sont trouvés dans le grenier deux uniformes d’aviateurs anglais, l’usine à gaz et plus modérément les maisons Cugnet, Lardy et Burdin.

Les troupes savent donc bien où fouiller : la maison des Malère ainsi que les locaux de l’usine à gaz en font partie. Pourquoi ? Il est possible que Georges Malère ait été dénoncé. Les résistants se réunissaient souvent chez lui : « Un traître a participé à l’un des repas qui a précédé le 14 février », Colette Fevre en est persuadée. Ce traître, a-t-il également vendu les employés de l’usine à gaz ? André Belot (1904-1944), Jean Lardy (1898-1944) et Jean-Louis Grandjean (1890-1944) sont également arrêtés et déportés.

Si les armes ont été déménagées de l’usine à gaz, il reste dans la cave des boîtes de lait condensé. Les soldats en percent quelques-unes sans succès. Elles contiennent pourtant des munitions. Rappelons que dans une lettre adressée à sa sœur en avril 1942, Marie-Louise Zimberlin parlait également de boîtes de lait envoyées de Cluny à Avignon. Sous prétexte de parler « cuisine », elle écrivait : « Tu diras à la dame de la rue du Cour Coin ( ?) quand elle recevra le lait américain  pour son bébé qu’on recommande de le laisser dans des boîtes de fer bien fermées. Si les instructions sont traduites sur la boîte, elle les suivra à la lettre. Sinon on recommande de mettre 7 cuillerées à soupe rases pour 1 litre d’eau froide. Il faut le mettre à la surface et puis battre avec une fourchette. Cela représente une cuillerée à soupe rase pour 1 bol de déjeuner. Dans la cuisine on le mélange à de la farine, de la semoule ou ce qu’on veut c’est précieux par les temps qui courent[5]. » 

De même, toujours selon Colette Fevre, les Allemands passent à côté d’une brouette remplie de charbon : elle contient un poste émetteur.

Matricule 60129

Après Montluc, le camp de Compiègne, Georges Malère est déporté à Mauthausen par le convoi du 22 mars 1944[6].

Dans le train, il retrouve certains de ses amis clunisois : Jean Alix, Gustave Arpin, François Baury, Albert et Baptiste Beaufort, André Belot, Jean Bonat, Théophile Chevillon, Claude Moreau, Antoine Martin …

Trois jours plus tard, il arrive avec ses compagnons d’infortune à Mauthausen. Tout d’abord affecté à Gusen (9 mai 1944), il est ensuite transféré au camp central le 1er mars 1945. C’est là qu’il décède le 21 mars 1945, un an après son arrivée.

Après la guerre, Albert Browne-Bartroli « Tiburce » rendra compte dans un rapport de son action dans le Clunisois. Au sujet de l’opération de la SIPO-SD du mois de février, il indiquera avoir été prévenu et n’avoir « perdu » qu’un seul homme : Georges Malère : « Fortunately, (…) and only Georges Malère was there to be arrested. »

Ce dernier mérite donc réellement son immatriculation comme adjoint de Jean Renaud à compter de septembre 1942. De même, J. Marchand -liquidateur du réseau Tiburce Buckmaster- indique que G. Malère était du 25 juin 1943 à son arrestation, agent P.2 du réseau Acolyte dirigé par Robert Lyon dans la région de Roanne. Sur ce sujet, nous n’avons aucune information.

La mémoire de G. Malère a été honorée à Cluny : une plaque a été posée sur l’emplacement de l’ancienne usine à gaz. Une rue porte également son nom (vers l’hôtel Saint-Odilon). Néanmoins, comme nous l’avions déjà signalé, soit la plaque n’a jamais été posée, soit elle a été déboulonnée. Avis à la mairie de Cluny…

Claude Moreau, matricule 60332

Claude Moreau est né le 28 février 1901 à Cluny. Son père, Nicolas, exerce la profession de surveillant à l’École pratique puis il sera négociant en vins.

Claude a deux frères : Antoine et Francis. Après avoir obtenu son « certif » en juin 1913, il entre à La Prat’s en octobre de la même année.

Le 16 février 1928, il se marie à La Clayette avec Marie Renaud. Le couple aura six enfants et le dernier né ne connaîtra pas son père, déjà parti en déportation.

Claude exercera la même profession que son père : négociant en vins. Toute la famille Moreau vit au 7 rue de la Levée à Cluny.

Claude Moreau est arrêté le 14 février 1944, comme Georges Malère. Que lui reproche-t-on ? J. Marchand -liquidateur du réseau Tiburce Buckmaster- indiquera la date d’entrée de C. Moreau dans la résistance : septembre 1942 et il sera identifié comme agent P.2 à compter de février 1944. À sa famille, il écrira depuis le camp de Compiègne le 5 mars 1944 : « Je suis encore à me demander pourquoi je suis ici, et combien d’autres[7]. »

Selon sa fille, M. Viguié-Moreau, son père était entré en résistance à la suite de son frère, Antoine Moreau.  

Vous pouvez consulter le témoignage de Maddy Viguié-Moreau sur deux supports : les souvenirs qu’elle a publiés en 2004 : « Les orphelins de la Saint-Valentin » ainsi qu’une interview réalisée par la sociologue Borbála Kriza en mai 2018, disponible en ligne sur le site du United States Holocaust Memorial Museum :

https://collections.ushmm.org/search/catalog/irn612731

Selon M. Viguié-Moreau, son père a hébergé des gens qui allaient et venaient. En 2018, elle précise à Borbála Kriza que ces « gens » étaient juifs, sans plus de précisions.

Claude Moreau, après avoir connu le même parcours que G. Malère (Montluc, Compiègne), sera déporté à Mauthausen par le convoi du 22 mars 1944. Affecté au camp de Gusen le 9 mai 1944 puis au camp central le 13 mars 1945, il décédera à Mauthausen le 12 avril 1945.

Antoine Martin (1896-1944)

Antoine Martin est né le 2 novembre 1896 à Cluny où son père Claude exerce la profession de menuisier.

En 1910, Antoine est scolarisé à l’école primaire de Cluny où il obtient son certificat d’études primaires et il suit les traces de son père : entré en octobre 1910 à La Prat’s, il opte pour la section menuiserie.

D’un premier mariage, Antoine aura deux fils, Jean et Philippe. Puis en février 1928, il épouse Marie, Aline, Eléonore Saint-Sulpice à Saint-Didier d’Aussiat (Ain). Le couple s’installe à Cluny, rue municipale. Le couple aura deux enfants : Marcel et Simone.

AD Saône-et-Loire

Le 14 février, Antoine Martin est recherché. Il se cache. Le gendarme qui accompagne les Allemands indique que s’il ne se rend pas, c’est sa femme qui partira. Antoine Martin a le courage de se livrer prisonnier. Rares sont les renseignements que nous avons quant à son implication dans la résistance. On sait qu’il appartenait au groupe Renaud dès ses débuts, à l’instar de Claudius Moreau. Marchand, liquidateur du réseau Tiburce-Buckmaster- indique qu’il était « chef de réception » pour les parachutages. Son fils Marcel n’en saura pas plus. Lorsqu’il témoigne pour l’ouvrage « Le pire c’est que c’était vrai », il indique que son père écoutait les messages à la B.B.C. le soir et que, « de temps en temps, en fin de journée, il partait à vélo. »

Parti avec ses secrets, Antoine Martin sera du convoi du 22 mars 1944. Arrivé à Mauthausen (matricule 60 247) trois jours plus tard, affaibli, malade, il y décède le 13 mai 1944.

G. Malère, C. Moreau et A. Martin ont obtenu la mention « Mort pour la France ».


[1] Interview de Jeanine Georges par Borbála Kriza, 8 mai 2018. https://collections.ushmm.org/search/catalog/irn612770. J. Georges est la fille d’André Belot, résistant déporté.

[2] https://www.usclunyfootball.fr/2020/03/29/souvenirs-deux-noms-pour-un-stade/

[3] Martinerie, Jean. Éléments pour une approche historique de la résistance en Clunysois et lieux circonvoisins. Beaubery : imp. Turboprint, 2010, 311p., p. 79.

[4] Interview de Jeanine Georges par Borbála Kriza, 8 mai 2018. https://collections.ushmm.org/search/catalog/irn612770

[5] Lettre de M-L. Zimberlin à sa sœur Sophie, 29 avril 1942.

[6] http://www.monument-mauthausen.org/le-convoi-du-22-mars-1944.

[7] Viguié-Moreau Marie-M. Les orphelins de la Saint-Valentin. Paris : L’Harmattan, 2004, 80 p., p. 33.