Lucien Porterat est né le 26 janvier 1926 à Bourbon-Lancy. En 1936, son père est comptable à l’usine Puzenat et sa mère travaille aux PTT. Lucien a une sœur Madeleine, son aînée née en 1923. La famille vit rue Pingre de Farivilliers.
Après avoir obtenu son « certif », Lucien entre à La Prat’s le 1er octobre 1939. Il en sort en juillet 1940 et rentre à Bourbon-Lancy. À 14 ans, il entre lui-aussi chez Puzenat, spécialisée dans le machinisme agricole. L’usine Puzenat, c’est presque toute la vie économique du pays.

Jeanine Gleizes, fille de Lucien Porterat, a rédigé ce texte au sujet de son père. Vous pouvez en lire l’intégralité sur le blog très intéressant consacré aux résistants de Bourbon-Lancy :
http://resistantsbl.canalblog.com/archives/2019/06/06/37407949.html
Avec l’aimable autorisation de l’auteur du blog, nous reproduisons ici une partie de l’article.
En 1940
« Le 17 juin 1940, les troupes allemandes sont entrées à Bourbon-Lancy et réquisitionnèrent les plus belles maisons et les petits châteaux aux alentours, ainsi que les hôtels du centre thermal. Le Grand Hôtel est devenu le quartier Général des Allemands. La vie, bien que bouleversée, a néanmoins repris son cours et le travail a continué à l’usine. Mais, au fur et à mesure que le temps passait, on ne trouvait presque plus rien. La nourriture se faisait rare et l’on ne pouvait s’en procurer qu’avec les tickets de rationnement ou au marché noir.
Il était de plus en plus dur de supporter l’occupant.
Nous souhaitions entrer dans la Résistance
Avec quelques copains de mon âge (15-16 ans), nous manifestions notre opposition à notre manière, en déclenchant, par exemple, des chahuts lors de concerts de musique militaire organisés par les Allemands dans le parc des thermes, ou au cinéma lors des actualités cinématographiques.
Nous trouvions évidemment que cela n’était pas suffisant et nous avions grande envie de faire quelques actions utiles. Nous désirions entrer dans la résistance. Connaissant quelques adultes qui en faisaient partie, nous les avons contactés. Malheureusement, nous n’avons pu entrer dans leur organisation en raison de notre jeune âge.
J’avais alors 16 ans ½.
Ne pouvant être admis parmi les adultes, nous avons alors décidé de fonder notre propre groupe de résistants. C’est ainsi qu’un jour de Septembre 1942, nous nous sommes retrouvés à 12 dans un café à côté d’une forge.
Assis devant un ersatz de limonade, nous avons décidé de baptiser notre groupe « Jeunesse Libératrice de France » (J.L.F.) et nous nous sommes donnés comme mission de recruter d’autres personnes ne supportant plus l’occupation, d’obtenir des renseignements sur les intentions des Allemands et sur leurs mouvements dans la région, et de dénoncer et punir les « collabos ».
Appartiennent au groupe : Philibert André, Pierre Bouiller, François Durand, Auguste Moreau, Chaumat, France Peschl alias « Lili Guérin », André Rémondin, Maurice Rançon, André Rey, Georges Thévenet, Marcel Turpin et Pannetier qui n’échappera pas, lui, au S.T.O.
Georges Thévenet (1924-1945) est arrêté le 3 mars 1944. Déporté à Neuengamme, il y meurt le 16 janvier 1945.
François Durand (1925-1944) est arrêté le 4 mars 1944. Déporté à Neuengamme, il est porté disparu en décembre de la même année.
Auguste Moreau (1924-1945) est arrêté le 17 avril 1944. Déporté à Buchenwald, il est fusillé le 18 avril 1945 lors d’une marche de la mort.
André Philibert (1921-1945) est arrêté le 27 avril 1944. Déporté à Buchenwald, il semble qu’il ait été exécuté lors de l’évacuation du camp.
Marcel Turpin (1925-1944) est arrêté à Cosne-sur-Loire. Il sera fusillé le 26 mai 1944.
« Notre jeune âge n’inspirait pas la méfiance des Allemands et, pour pouvoir agir en toute sécurité, nous avons décidé de créer une troupe de théâtre que nous avons baptisée « Jeunesse Lyrique Française », des mêmes initiales J.L.F. que notre groupe.
Il faut dire qu’avant la création officielle de cette troupe, plusieurs d’entre-nous se produisaient déjà, soit pour les fêtes de la St Jean, soit pendant l’entracte au cinéma, soit encore dans des kermesses, en jouant de l’accordéon, en faisant de la gymnastique… etc… Nous faisions donc ce que nous avions l’habitude de faire auparavant, mais avec un objectif supplémentaire : servir la résistance.
Notre troupe se produisant tous les dimanches, à Bourbon-Lancy et aux alentours immédiats, dans un rayon d’environ une quinzaine de kilomètres.
Dans les sketches ou parodies de chansons, nous veillions à ne faire aucune allusion aux Allemands ou à l’occupation : il fallait en effet inspirer confiance, d’autant plus que les Allemands ou les gendarmes français venaient nous écouter et s’assurer que nous ne nous moquions pas d’eux ou ne les critiquions pas.
Pour ma part, j’étais « régisseur » : je montais et démontais les décors de la troupe. Les décors… c’était là que résidait l’astuce : en effet, nous nous déplacions à vélo, et avions chacun une petite remorque pour transporter instruments de musique et décors. Nous avions même réussi à obtenir un « ausweiss » (laissez-passer) pour nous déplacer et donner nos spectacles.
Nous rendons des services et basculons dans la résistance active
Petit à petit, les adultes de la résistance nous ont demandé des services et par la suite nous sommes pour ainsi dire passés indirectement sous les ordres de l’Armée Secrète (A.S), réseau important de la résistance. C’était l’A.S. qui nous remettait les instructions lors de nos réunions, qui se tenaient désormais dans un bistrot de la Rue de l’Horloge à Bourbon-Lancy à une cinquantaine de mètres de la maison de mes parents. L’A.S. nous indiquait dans quel village nous devions donner notre spectacle et cela, en fonction des lieux de parachutage ou largage d’armes ou de matériel pour les maquisards.
Il nous arrivait également de nous produire dans un village où nous devions ensuite récupérer des vivres dans des fermes, toujours pour les résistants qui avaient pris le maquis.
Après le spectacle, nous chargions le tout dans nos remorques, sous les accordéons et les décors, puis nous nous rendions aux endroits indiqués par l’A.S. pour cacher notre précieux chargement qui était ensuite récupéré par les maquisards.
Nos spectacles étaient payants, mais nous ne touchions pas d’argent. En revanche, on nous donnait à manger et à boire. L’argent encaissé par les communes où nous donnions notre spectacle, servait à envoyer des colis aux prisonniers de guerre de ces mêmes communes. Le montant encaissé faisait même l’objet d’un petit article dans la presse locale.
Nous étions très souvent contrôlés par les Allemands, mais, fort heureusement, ces derniers n’ont jamais fouillé nos remorques.
Le soir, chacun rentrait chez soi et, en semaine, nous nous retrouvions, pour la plupart, à l’usine pour travailler.
A l’usine, nous savions que le matériel que nous fabriquions était réquisitionné par les Allemands et envoyé en Allemagne mais, malgré notre envie, nous ne cherchions pas à le saboter pour éviter les représailles.
Les Allemands avaient de plus en plus besoin de main d’œuvre dans leur pays et ils venaient donc chercher des ouvriers à l’usine. Les volontaires pour aller travailler en Allemagne étaient rares, alors les Allemands désignaient les premiers qu’ils voyaient.
Durant l’été 1943, ne trouvant plus du tout de volontaires, les Allemands firent une rafle à l’usine et repartirent avec un car plein d’ouvriers qui furent envoyés au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.).
Il fut alors convenu avec la standardiste de l’usine que, dès qu’elle serait elle-même prévenue par le concierge qu’une voiture d’Allemands arrivait à l’usine, elle brancherait et sonnerait tous les bureaux de tous les ateliers.
Je travaillais à l’époque dans l’atelier N° 1, c’est-à-dire l’atelier qui se trouvait à l’entrée de l’usine et c’est ainsi qu’un jour, en entendant quelqu’un crier « voilà les Allemands ! » je me suis caché avec un copain dans un four de l’usine… heureusement éteint.
Au maquis
C’est à ce moment-là que j’ai décidé de prendre le maquis. Nous étions fin 1943 et j’avais presque 18 ans.
Nous avons été plusieurs à prendre cette décision. Nous avons trouvé refuge dans la Forêt de Germiny et avons aménagé une cache dans le sous-sol en maçonnerie d’une cabane en bois utilisée autrefois par les chasseurs, et dont le toit était tombé.
Adieu donc le travail à l’usine et à la petite troupe Jeunesse Lyrique Française !
Nous étions une douzaine dans notre maquis de la Forêt de Germiny et faisions désormais officiellement partie de l’Armée Secrète. Nous appartenions au Groupe TURPIN. »
Notre travail consistait à trouver du ravitaillement et à rapporter les armes qui étaient parachutées en vue du débarquement. Il était en effet de plus en plus question d’un prochain débarquement sur les côtes françaises des troupes alliées qui allaient libérer la France. Nous devions trouver des cachettes pour ces armes et les déménager en cas de besoin ou de danger. Nous avons ainsi enterré dans la forêt 200 mitraillettes.
Nous nous occupions aussi des collabos en sabotant leur matériel.
Cela a duré jusqu’en Mars 1944. »
Arrestation et déportation
« Un jour, le tailleur d’un village voisin fut arrêté chez lui. C’était lui qui nous transmettait les ordres de l’Armée Secrète. Sous la torture, il a fini par révéler les différents endroits où se cachaient les groupes de maquisards, dont le nôtre, dans la forêt de Germiny.
Le 4 Mars 1944, la Feldgendarmerie est arrivée au petit jour et nous avons été capturés. »
Lucien sera déporté au camp de Neuengamme le 18 mai 1944. Il sera affecté au Kommando de Watenstedt[1] où il va retrouver un autre déporté de Bourbon, le polonais OBERBEK[2]. « J’ai pu un peu mieux « tenir le coup » grâce à OBERBEK qui, un jour, prenant à nouveau un énorme risque, s’est glissé à côté de moi et m’a dit de regarder dans le 2ème obus (…). J’y ai trouvé un croûton de pain et du sel. Il a pu le refaire une autre fois. »
Watenstedt est évacué par les Allemands. Les prisonniers partent pour Ravensbrück puis arrivent au camp de Malchow. L’armée russe entre dans le camp le 2 mai 1945.
« J’avais 19 ans ½ et ne pesais plus que 30 kg. »
Lucien touchera le sol de France le 31 mai 1945. Le 11 juin 1945, il retrouve sa famille et rentre enfin à Bourbon-Lancy. Il exercera la profession de gendarme.

Titulaire de la Médaille militaire, Chevalier de la Légion d’honneur, Lucien Porterat est décédé en 2013.
[1] SALZGITTER WATENSTEDT – Salzgitter. (Hommes) : Production de bombes et obus. Entretien aciérie Stahlwerke Braunschweig.
[2] Voir au sujet de la résistance polonaise à Bourbon-Lancy : https://www.respol71.com/bourbon-lancy-des-polonais-aussi. Voir également l’article « Richard Oberbek : Prat’sien, Polonais, Résistant. »