Vous êtes nombreux actuellement à lire ou relire l’article « L’affaire de Prayes » publié le 14 septembre 2019. Nous l’avions écrit : plusieurs versions de ce qui s’était passé à Prayes le 29 novembre 1943 existaient et il était bien difficile -des décennies après- d’y voir clair et de savoir qui disait vrai…

Étant donné que le confinement a permis de faire le tri dans diverses archives laissées jusque-là de côté, nous vous proposons une nouvelle version de « l’affaire de Prayes ». Cela vous permettra d’y voir encore moins clair que l’an dernier !

L’affaire de Prayes relatée par le commandant Vial

Le commandant Vial, promu chef d’escadron le 25 juin 1941, est en poste à Narbonne. Il est muté à Mâcon et prend ses fonctions comme commandant de la Gendarmerie le 10 octobre 1941. Sa compagnie comprend : Mâcon, Charolles et Louhans. Même s’il a parfois, écrit-il, des velléités de rejoindre le maquis, il restera là en poste jusqu’au 1er août 1945, sur ordre formel du « colonel » Alain et de plusieurs chefs de maquis, qui semblent donc l’apprécier. Il obtient ensuite une mutation pour Rouen.

Le commandant Vial a été interrogé par André Jeannet par écrit. Le document dactylographié en date du 17 septembre 1973 comporte dix-huit feuillets. À la question 5, A. Jeannet interroge M. Vial sur les relations de la gendarmerie de Mâcon avec la Feldgendarmerie, la Kommandantur et la Gestapo de Lyon. En réponse, le commandant Vial livre à A. Jeannet beaucoup de renseignements, dont certains relatifs à « l’affaire de Prayes », (pages 13 et 14), puisqu’il y a -écrit-il- lui-même contribué. Écoutons-le mais auparavant, rappelons rapidement les éléments que nous avions rassemblés.

Les versions précédentes : rappel des faits

Revenons pour mémoire aux versions que nous avions présentées : celle de Jean Ballet (résistant présent à Prayes lors de l’opération), d’Émilienne Carrette née Cimatti (présente dans l’auberge de ses parents lors de la venue des Allemands-témoin que nous avions entendu l’an dernier), d’Antoinette Voituret de Prayes qui avait vingt ans à l’époque et celle de l’espion Garcia :

Les témoignages de J. Ballet et d’É. Cimatti concordaient : les Allemands étaient venus à Prayes pour arrêter deux Italiens évadés lors d’un déraillement de train à Uchizy. Sur place, les Allemands avaient appréhendé les deux hommes et étaient repartis avec eux à Mâcon. Quatre Allemands, dont Kluth étaient cependant restés sur place pour attendre le père d’Émilienne. Les autres soldats en avaient profité pour aller se ravitailler en poulets et en lapins. Selon A. Voituret, la famille Cimatti avait été dénoncée. L’espion Garcia précisait que Maurice Pagenel était opposé, après l’attaque du maquis de Beaubery, à tout affrontement avec les Allemands.

Sans que l’on sache qui avait finalement pris la décision d’attaquer les Allemands à Prayes, un affrontement avait réellement eu lieu : selon Vincent Bertheaud, l’opération avait été préparée pendant quarante-huit heures. A contrario, pour le résistant Jean Ballet, tout s’était fait dans la précipitation, dès lors que Joanny Commerçon l’avait averti de la présence de la troupe.

Neuf résistants identifiés étaient partis sur place avec des gars du groupe de Léon[1]. Peut-être étaient-ils tout au plus une vingtaine ? une trentaine ?

Sur place, on sait qu’un Allemand avait réussi à s’échapper et qu’il avait donné l’alerte, permettant à une compagnie de revenir le lendemain depuis Mâcon à Prayes. Un autre soldat avait été blessé et avait agonisé à proximité de chez Cimatti. Un troisième soldat blessé par Pic avait été emmené en voiture avec Kluth (adjudant-chef de la Feldgendarmerie de Mâcon). Selon l’espion Garcia, Kluth avait été exécuté dans les bois surplombant le hameau de Prayes. Quant au soldat, il aurait réussi à s’échapper dans les bois mais avait agonisé à proximité de la voiture abandonnée par les résistants. Jean Renaud aurait été appelé à la rescousse pour enterrer les cadavres.

Puis les Allemands étaient arrivés en renfort de Mâcon, prévenus par un des leurs qui avait réussi à s’échapper. Ils avaient tourné un moment dans Chissey-les-Mâcon mais n’avaient trouvé le café de Prayes que le lendemain, soit le 30 novembre. En représailles, des habitants du village avaient été pris en otages, le café Cimatti avait été incendié et le cheptel volé.

La famille Cimatti avait réussi à s’échapper.

Version du commandant Vial, sept. 1973

Kluth, l’adjudant-chef de la Feldgendarmerie de Mâcon, harcèle le commandant Vial. L’Allemand « assez jeune, très actif, entreprenant et en rapport très serré avec la Kommandantur » souhaiterait savoir où stationnent les maquis et tourne en boucle cette question. Vial ne sait plus à quel saint se vouer et a peur de ne pas pouvoir se taire plus longtemps, d’autant que Kluth se fâche de plus en plus souvent.

Le commandant décide donc de partir « au maquis » afin de rencontrer « un chef » dont il ne se souvient malheureusement (?) plus du nom. Il expose son problème au « chef du maquis » et la réponse de celui-ci fut « ferme et rapide », soit : « C’est très simple. Envoyez-le-nous. »

Vial rentre à Mâcon. Convoqué par Kluth, il lâche le morceau et l’informe de l’existence d’un maquis dans la région de Cormatin, « composé de cinq ou six hommes ». Kluth est satisfait et se prépare à aller vérifier sur place. Derechef, Vial avertit le maquis de l’opération imminente. Selon lui, deux-cents hommes se tiennent prêts à « recevoir » les Allemands.

Notons bien que le commandant Vial ne fait aucune allusion aux deux Italiens arrêtés chez Cimatti et ramenés à Mâcon.

Les Allemands arrivent au hameau de Prayes et « les occupants (ils sont cinq selon Vial) sont accueillis « par un feu nourri de mitraillette »s. Aucune allusion du commandant à Kluth qui se trouve dans l’auberge des Cimatti et de ses collègues partis au ravitaillement en poulets et lapins.

Vial poursuit : quatre Allemands, dont Kluth, sont tués. » Le « capitaine du maquis » l’informe que leurs cadavres ont été enterrés « au pied d’un arbre en face de la maison Cimatti » et que la voiture de Kluth se trouve « dans le ravin voisin (…) avec sa casquette sur le siège avant. »

Convoqué par le colonel Bruckner un jour plus tard, Vial se rend à la Kommandantur. Ce dernier s’inquiète de l’absence de Kluth. Vial lui glisse qu’il a peut-être été fait prisonnier. Bruckner décide de vérifier et d’envoyer « trois compagnies » à Prayes. Ils ne trouvent personne mais découvrent quatre cadavres enterrés devant chez Cimatti et la voiture abandonnée. En représailles, ils incendient l’auberge de la famille Cimatti. Pour finir, le colonel Bruckner remerciera le commandant Vial de lui avoir fourni des renseignements.

Des questions et encore des questions…

On le lit : il y a de réelles divergences entre les témoignages, celui du commandant Vial et ceux des témoins présents à Prayes le 29 novembre 1943.

Qui est ce « capitaine du maquis » qui, selon Vial, aurait pris l’initiative de monter un tel coup ? Maurice Pagenel qui semblait être plus que prudent depuis l’attaque du maquis de Beaubery ? Comment le commandant Vial a-t-il réussi à convaincre Kluth de se rendre à Prayes ? Lui a-t-il parlé des Italiens évadés et des réfractaires qui se cachaient chez Cimatti ??? Pourquoi ne fait-il aucune allusion aux Italiens faits prisonniers ramenés à Mâcon ? L’opération a-t-elle été préparée ou décidée sur un coup de tête ? Qui sont ces deux-cents résistants qui attendaient les soldats ? Quatre Allemands ont-ils été tués sur place « sous un feu nourri de mitraillettes » ou faut-il croire l’agent Garcia, Ballet et Adrienne Cimatti ?

Jean Renaud -chargé de faire disparaître les corps- aurait-il pris le risque d’enterrer bien en évidence les cadavres en face de chez Cimatti au pied d’un arbre ?    

Séraphin Effernelli écrivait : « Nous ne pouvons pas savoir ce qui s’est passé exactement entre ce groupe de l’AS et la patrouille[2]. » Il avait raison, le témoignage du commandant Vial ne faisant qu’ajouter un peu plus d’ombre sur cette histoire et sur le rôle qu’il a pu jouer auprès de Kluth.

L’affaire de Prayes reste un véritable sac de noeuds. Et on peut, à juste titre, se poser la question : pourquoi la vérité autour de cette histoire n’est-elle réellement jamais sortie ?


[1] Il s’agit de Raymond Bohn qui commande le maquis de Beaubery jusqu’au 1er décembre 1943.

[2] Maquis à Brancion. Témoignages recueillis par Séraphin, sous le patronage du comité départemental de Saône-et-Loire des anciens combattants de la Résistance, p. 74.