Le N.A.P.-Fer
Le mouvement est créé au début de l’année 1943 par Jean-Guy Bernard et Louis Armand secondé par Jean Marthelot, avec l’aide des directeurs de la SNCF Albert Guerville du réseau Cohors-Asturies et Emile Plouviez. Résistance-Fer est considéré comme Réseau des Forces Françaises Combattantes qui sera rattaché à la Délégation Générale[1].
Les chefs du N.A.P.-Fer zone Sud-Est : Hardy, Lacombe, Pion
En zone sud, c’est René Hardy (1911-1987) -alias Didot- qui dirige N.A.P.-Fer jusqu’à l’affaire de Caluire. Il est chargé d’élaborer le plan de coupure des transports ferroviaires pour le jour J, le fameux Plan Vert. Ce plan est à l’ébauche dès juillet 1942.
Ses adjoints sont : Henri Garnier (Ledoux), Max Heilbronn (Harrel) et René Lacombe pseudos « Bottin » ou « Melville »[2]. À Lyon où Hardy installe son P.C. au printemps 1943, il travaille de concert avec Jean Thévenon « Lacroix », Vincent Vassy « Colette »[3] et Francis Cersot[4]. Robert Boiteux « Nicolas », agent de l’I.S. « fournit au N.A.P.-Fer tout un arsenal : explosifs, graisses abrasives, etc. » Un opuscule est imprimé « précisant la technique du sabotage à usage général… et du sabotage ferroviaire en particulier[5]. »
René Lacombe prend la direction de N.A.P.-Fer après l’affaire de Caluire[6]. Thévenon est arrêté à Lyon le 30 décembre 1943[7]. En novembre, Lacombe tombe à Nîmes. Il réussira à s’échapper du train lors de son transfert et il part se cacher en zone Nord[8].
Pierre Pion est entré en résistance en 1941. À cette date, il travaille encore à l’intendance des réquisitions de Dijon et il a déjà pris des contacts avec le résistant Jean Bouhey. Pour camoufler ses activités clandestines (propagande, parachutages et regroupement de réfractaires), il occupe son poste jusqu’en juillet 1943 puis quitte définitivement l’armée active pour se consacrer totalement à Résistance-Fer sous le pseudonyme de Viaud.
Après l’arrestation de Lacombe, Pierre Pion « Viaud », devient le troisième responsable national du N.A.P.-Fer pour la région Sud-Est. Le résistant lyonnais Francis Cersot qui a échappé à l’arrestation le 17 mars 1943, responsable du N.A.P.-Fer de la région de Dijon, sera l’adjoint de Pierre Pion jusqu’au 23 juillet 1944[9].
Cersot remplacera P. Pion lorsque celui-ci sera arrêté et déporté.
Saboter pour résister
« D’abord limitée à la région Sud-Est, [l’activité de Pierre Pion] s’étend bientôt à l’ensemble des réseaux ferrés et à partir de 1944, il est chef de mission de première classe, chargé de coordonner l’activité des groupes de sabotage des transports ferroviaires allemands, avec le grade d’assimilation de Lieutenant-Colonel (…) Il avait fait adopter une technique efficace de sabotage qu’il appliquait en liaison avec les maquis locaux ; il détenait un « Plan Vert » dont l’application lui incombait[10]. »

Selon André Jeannet, on comptabilise 246 sabotages en Saône-et-Loire pour l’année 1943[11] et 144 entre janvier 1944 et le 6 juin. Et, dès le déploiement du Plan Vert dont l’exécution incombe à Pierre Pion, les chiffres explosent : « Au moment du débarquement (le 6 juin 1944), le nombre moyen des sabotages atteignait le chiffre moyen journalier de 170, rien que sur la région Sud-Est. » Et le nombre de cheminots résistants augmentait chaque jour[12]. Marcel Ruby dans son ouvrage Résistance Civile et Résistance Militaire détaille les opérations de sabotage ferroviaire dans la région R1. Pour la journée du 7 juin 1944, il comptabilise « pour la grande banlieue lyonnaise, 13 attentats sur les voies ferrées (dont l’attaque d’un nœud ferroviaire important et la pose de 150 bombes) par explosifs ou déboulonnage des rails et la mise hors d’usage de 4 grues[13]. »
Les arrestations
Pierre Pion, son père, ainsi que son frère René sont arrêtés le 7 juillet 1944. René avait-il des activités dans la résistance ou a-t-il été appréhendé au titre du S.T.O. ? Nous n’en savons rien.
Quant à Pierre, revenu (de Lyon ?) pour voir son épouse et son tout jeune fils, il est arrêté à Brochon par la Gestapo le 23 juillet[14]. La veille, un individu s’était présenté à son domicile pour solliciter son aide… Le traître, chargé de la surveillance du domicile de Pierre Pion, n’aura pas mis longtemps à rameuter la troupe.
Comment la Gestapo a-t-elle pu remonter jusqu’à Pierre Pion ? La réponse se trouve à Marseille.
Dunker de la SIPO-SD de Marseille
Le S-S Oberscharführer Ernst Dunker (1912-1950), alias Delage, est un truand allemand -voleur, proxénète- passé de la Wehrmacht à la Gestapo. Fou furieux sanguinaire, il sévit à Marseille au sein de la Sipo-SD au printemps de l’année 1943, sous les ordres « du lieutenant Kompe, chef de la section IV E (contre-espionnage), qui s’occupe aussi de la lutte contre la Résistance française. Le Sipo-SD est commandé par le SS-Sturmbannführer (commandant) Rolf Mühler[15]. » Grâce à Multon, résistant retourné par Dunker, on connaît la suite : c’est l’affaire Flora, avec l’arrestation du général Delestraint, de B. Albrecht, de Jean Moulin à Caluire, en présence d’un autre résistant retourné : le traître René Hardy.
Le rapport « Antoine »
Moins connu est le rapport « Antoine », rédigé par Dunker.
Voici ce qu’écrit Robert Mencherini à ce sujet[16] : « Le rapport Antoine, comme d’autres rapports antérieurs intitulés Flora et Catilina, a été retrouvé à la Libération, parmi les archives que le SIPO-SD que (la Gestapo) de Marseille n’avait pas eu le temps de détruire en quittant la ville. Écrit par Ernst Dunker-Delage, homme-clé du SIPO-SD, il témoigne du travail de fourmi très efficace effectué par les services allemands de Marseille, dans leur lutte contre la Résistance. Son intitulé est lié au rôle joué par Antoine Tortora, très dévoué agent français de la Gestapo, sous le matricule ME 101, tué à Aix-en-Provence par la Résistance le 17 juillet 1944.
Le rapport comprend, d’abord, une première liste de trente-six noms de personnes arrêtées ou tuées par les services allemands. Le dernier (n° 36) est celui d’Érick, le résistant passé au service de la Gestapo, de son vrai nom Maurice Seignon de Possel-Deydier (Noël dans la Résistance), dont la trahison a permis le démantèlement des maquis de juin 1944 et l’arrestation de nombreux résistants. Une deuxième liste regroupe les soixante-quinze noms de résistants que l’enquête a permis d’identifier. Les adresses de six « boîtes aux lettres », à Marseille, forment une troisième liste. Une deuxième partie fait le point, de manière très précise, sur « l’organisation de la Résistance de la deuxième région » et évoque les divers services du Mouvement de libération nationale (MLN), Service de renseignement (SR), Noyautage des administrations publiques (NAP), Service social, ainsi que le Service atterrissage-parachutage (SAP) ou le Service Maquis. »
Le 11 juillet 1944 débute à Marseille une vague d’arrestations. Sont touchés : le réseau Brutus, le N.A.P. (dont Georges Cisson, chef régional, son adjoint et le chef du N.A.P. P.T.T.). Le 15 juillet c’est au tour de membres de l’ORA d’être arrêtés. Le 16 la SIPO-SD appréhende le chef régional des F.F.I. (Robert Rossi) puis le 17 Guy Fabre, adjoint du dirigeant du MLN Albert Chabanon.
Arrestation des membres du N.A.P.-Fer
« Cette liste comprend aussi des noms d’une équipe spécialisée dans le sabotage fer que le SIPO-SD suit à la trace depuis l’arrestation de Bourgeois, alias Muriel (n° 29), arrêté à Marseille, aux Quatre-chemins, le 19 juillet. Celui-ci est en contact avec Pion (n° 30) qualifié de « chef du sabotage fer pour toute la France », arrêté « vers le 18 juillet », et avec Georges Dusser[17], domicilié à Aix-en-Provence, dont Dunker ne parvient pas à s’emparer, à la différence de Paul Kohler (n° 34), du NAP SNCF, arrêté après le 24 juillet. Bourgeois « Muriel », se suicide le 24 juillet en se jetant dans la rue depuis le 7e étage du siège de la Gestapo. »
Le résistant Bourgeois qui se suicidera le 24 juillet au siège de la Gestapo, c’est Pierre Bourgeois, le fils de Joseph Bourgeois de Caluire, autrement dit, l’oncle par alliance de Pierre Pion. Il appartenait au réseau de renseignements Gallia-Kasanga et était chef national adjoint à N.A.P.-Fer.
Pierre Bourgeois arrêté, Dunker peut remonter la piste jusqu’à Pierre Pion, responsable N.A.P.-Fer de toute la région Sud-Est : « Le 19 juillet, Ernst Dunker-Delage procéda à l’arrestation de Bourgeois, Muriel, aux Quatre-chemins à Marseille. Les documents saisis permirent l’identification d’autres membres du réseau actif au sein des chemins de fer[18]. »

Notre ancien Prat’sien est arrêté le 23 juillet chez lui à Brochon. C’est la dernière fois qu’il voit son épouse et son fils.
La déportation
De nombreux résistants arrêtés par Dunker-Delage seront fusillés à Signes, dans le Var en juillet et août 1944[19]. Quant à Pierre, il retrouve son père arrêté le 7 juillet : pour le père et le fils, direction le camp du Struthof en Alsace le 23 juillet[20] puis arrivée à Dachau le 4 septembre et Mauthausen le 16 septembre. Pierre Pion fils -matricule 98873- sera envoyé à Gusen II le 8 novembre. Il décède là le 26 avril, pendu par les nazis. Son corps sera incinéré au crématoire de Gusen I. Il avait trente-sept ans.
DIE TOTEN DES KZ MAUTHAUSEN
Le camp de Mauthausen sera libéré à partir du 3 mai. Son père -matricule 99600- aura vécu la libération du camp (le 5 mai) mais il décède huit jours plus tard.
DIE TOTEN DES KZ MAUTHAUSEN
Les Honneurs
Le lieutenant-colonel Pierre Pion fils sera -à titre posthume- médaillé de la résistance le 3 août 1946 et fait chevalier dans l’ordre de la légion d’Honneur.
Le nom du Lieutenant-Colonel Pierre Pion figure sur le monument aux morts de Brochon. En tant qu’ancien élève, son nom a été donné à la promotion 1951-1952 d’élèves-officiers d’active de l’École de Montpellier, située jusqu’en 1947 à Vincennes. Selon le site Wikipedia, l’École sera « citée pour l’engagement des officiers d’administration pendant la Seconde Guerre mondiale, avec la Croix de guerre avec palme. Au total, 120 officiers seront morts au combat ou en déportation, 306 citations et 6 médailles de la résistance. »
Le baptême de cette promotion a eu lieu le 20 décembre 1952 en présence de l’épouse et de Jean-Pierre, leur fils.
Monuments aux Morts, Chambolle-Musigny (P. Pion 1880-1945) Monuments aux Morts, Brochon P. Pion (1908-1945) Monument aux Morts, Caluire et Cuire- P. Bourgeois (1898-1944)
Nous remercions Jean-Pierre Pion pour le prêt des archives familiales et l’aide qu’il a apportée à l’écriture de cet article concernant son grand-père, son père et Pierre Bourgeois, résistants de la première heure, Morts pour la France.
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9sistance-Fer
[2] Lacombe rencontre Hardy en février 1943 et devient son adjoint le 1er mars 1943.
[3] Ruby, Marcel. La résistance à Lyon (19 juin 1940-3 septembre 1944), vol 2. Lyon : Éditions l’Hermès, 1979, 1054 p., pp. 578-579. Vassy est « syndicaliste et socialiste. (…) Il est chef du service des bagages à la gare Lyon-Perrache, poste qui lui permet de dissimuler et de faire passer avec facilité les colis compromettants de la Résistance. »
[4] Idem., p. 578. Cersot -syndicaliste et socialiste- est contrôleur technique principal au poste de commandement de la S.C.C.F. à Lyon. L’organisme est « chargé de la mise en marche, des relais et du contrôle de tous les transports militaires. »
[5] Ibidem.
[6] Sur le N.A.P.-Fer à Lyon, voir également : Alban-Vistel. La nuit sans ombre. Paris : Fayard, 1970, 634 p., pp. 221-230.
[7] Permezel Bruno. Résistants à Lyon, Villeurbanne et aux alentours. 2824 engagements. Lyon : Éditions BGA Permezel, 2003, 740 p., p. 629. Jean Thévenon sera déporté à Neuengamme. Il y meurt en avril 1945.
[8] Archives Nationales. Archives du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Résistance-Fer, IV (72AJ/74 Dossier n° 4), pièce 11 : témoignage de R. Lacombe.
[9] Archives Nationales. Archives du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Résistance-Fer, IV (72AJ/74 Dossier n° 4), pièce 12 : témoignage de F. Cersot.
[10] Intendant général Souchal (C.R.). L’Intendance Militaire des Troupes de Marine. Trois cent quarante ans d’Histoire. 1626-1966. Versailles, 1969, 380 p., p. 360 et suiv. « Grade dans lequel il est homologué à titre posthume par arrêté du 26 avril 1948 et ce à compter du 1er août 1943. »
[11] Jeannet, André. La Seconde Guerre Mondiale en Saône-et-Loire. Mâcon : JPM éditions, 2003, 350 p., p. 218.
[12] Archives Nationales. Archives du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Résistance-Fer, IV (72AJ/74 Dossier n° 4), pièce 12 : témoignage de F. Cersot.
[13] Ruby, Marcel. Résistance Civile et résistance Militaire. Lyon : L’hermès, 1984, 164 p., p. 94.
[14] Intendant général Souchal (C.R.). L’Intendance Militaire…, op.cit., p. 361.
[15] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ernst_Dunker
[16] http://museedelaresistanceenligne.org/media7975-Les-arrestations-des-responsables-MUR-MLN-A
[17] Depuis 1943, Georges Dusser « Eiffel » est le chef régional de la Résistance-Fer pour une région R2 étendue.
[18] http://museedelaresistanceenligne.org/media7957-Paul-Kohler.
[19] https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article177332
[20] http://www.monument-mauthausen.org/les-deportes-arretes-apres-les