L’histoire de ce camp érigé en 1938 par Himmler (1900-1945) – réservé principalement aux femmes- a peu suscité l’intérêt des historiens. Seul Bernhard Strebel a publié en 2003 : Ravensbrück. Un complexe concentrationnaire.
Les femmes, objet négligeable de l’Histoire ? On pourrait le penser… Sarah Helm, en 896 pages, remédie donc à cette lacune et nous recommandons vivement la lecture de son ouvrage : Si c’est une femme. Vie et mort à Ravensbruck[1].

Que savons-nous de Ravensbrück ? Le camp, situé à 80 km au nord de Berlin, emprisonna -entre 1939 et la fin de la guerre- plus de 132 000 femmes et enfants, dont 8 000 Françaises. Un petit camp pour les hommes -20 000 y furent internés- fut ajouté à celui des femmes en 1941. Au total, plus de 90 000 déportées y perdirent la vie, de faim, d’épuisement, de maladies ou suite à des expériences médicales pratiquées sur de jeunes Polonaises. Notons que juives ou non juives[2] trouvèrent la mort dans la chambre à gaz, celle-ci ayant été installée au camp en novembre 1944 afin de pouvoir décimer la population plus rapidement. Ainsi, entre 5 000 et 6 000 personnes furent gazées en l’espace de quatre mois, soit de janvier 1945 à avril 1945.
Juillet 1944, les Russes pénètrent à Majdanek Belzec, puis à Sobibor et Treblinka pendant l’été. En janvier 1945, ils entrent à Auschwitz puis dans les camps de Stutthof et de Sachsenhausen. En avril 45, les Américains libèrent à leur tour Buchenwald puis Dora, Dachau et Mauthausen. Quant aux troupes britanniques, elles rencontrèrent l’enfer vécu par les détenus de Neuengamme et de Bergen-Belsen à la mi-avril de 1945.
Les troupes soviétiques libérèrent Ravensbrück les 29 et 30 avril 1945. Ils restaient alors encore 3 500 détenues, la plupart faibles ou malades, les nazis -sous le commandement de Fritz Suhren[3]– ayant entraîné quelques semaines auparavant environ 20 000 prisonniers dans des marches de la mort.
29 avril 1945… les Russes sont aux portes de Ravensbrück. Sonnait-on enfin la fin de la souffrance des déportées ? Malheureusement non. Bourreaux après les bourreaux, Sarah Helm raconte comment certains libérateurs russes se jetèrent -en entrant dans le camp- sur des femmes qui n’étaient plus que des cadavres ambulants, pour les violer[4].
Le premier rapatriement des Françaises : 5 avril 1945
Si le camp de Ravensbrück fut libéré par l’armée soviétique dans les derniers jours d’avril 1945, 299 déportées (qui n’étaient pas « NN ») eurent la chance de partir pour la France dès le 5 avril 1945 et ce, grâce au concours de la Croix-Rouge internationale suédoise ou danoise[5]. Le gouvernement français[6], ainsi que le Consul de France à Genève -Xavier de Gaulle[7]– furent les instigateurs de ce premier départ, avec l’appui de la Croix-Rouge internationale et notamment de la Croix-Rouge suédoise et de son vice-président le Comte Folke Bernadotte. Face à cette pression, Himmler -sans en parler à Hitler- cède et accepte de délivrer 299 prisonnières françaises[8]. Parmi elles, la Zim et les médecins Dora Rivière et Louise Le Porz (Loulou). A cette date, Heinrich Himmler ne croit plus depuis des mois à la victoire de l’Allemagne et, d’après G. Tillion, il « s’était mis dans sa tête tordue qu’il pourrait remplacer Hitler et s’unir avec les Alliés contre les Soviétiques[9]. » La décision d’Himmler de libérer les déportés entraînera sa destitution -par Hitler- le 28 avril 1945. Appréhendé par les Britanniques le 22 mai, celui qui a mis en place la solution finale se suicide un jour plus tard.
Début avril 1945, la chambre à gaz fonctionne encore et les sélections de masse ne sont pas abandonnées ; il reste alors 30 000 prisonnières au camp. Lorsque les Françaises sont appelées le 5 au matin pour se regrouper, c’est la panique : allaient-elles finir gazées ? Les femmes sont conduites au block 31 ; elles passent à la douche et on les habille avec de vieilles frusques. Certaines sont retirées des rangs, remplacées par d’autres. Oui, on les trie encore une fois comme du vulgaire bétail : les déportées tondues -à cause des poux-, celles qui portent des marques des sévices subis, les malades, les Juives et toutes celles qui portent un nom à particule ne seront pas de ce voyage [10].
« Avec la complicité de Violette Lecoq Loulou alla chercher Zim dans le block où elles l’avaient cachée et l’aidèrent à se mettre sur ses pieds pour se rendre à l’Appell. (…) Zim passa entre les mailles du filet et trouva la force de se rendre à la porte du camp comme les autres[11]. » Formidable acte de solidarité de Louise Le Porz qui sauve in extremis Marie-Louise Zimberlin d’une fin certaine puisque les plus faibles n’étaient pas autorisées à partir. Nous sommes le 5 avril 1945.
A 1 500 mètres, des bus. Des bus peints en blanc avec des croix rouges. « Liberté, j’écris ton nom. » Kreuzlingen, Genève… Berne, Annemasse.

La Zim l’avait affirmé à Loulou : Tout ce qu’elle souhaitait, c’était mourir en France. Et, grâce à Loulou, elle meurt en France, sa sœur Sophie et ses amis clunisois ayant eu le temps d’atteindre Annemasse pour être présents auprès d’elle dans ses derniers moments. Les autres rapatriées poursuivent leur chemin jusqu’à Paris où elles sont attendues par de Gaulle.
A Ravensbrück, après le 5 avril
A Ravensbrück, les autres femmes attendent de mourir pendant que les nazis tentent d’effacer toute trace du génocide. La Croix-Rouge (suédoise et danoise) revient alors à la charge pour libérer d’autres déportées. Himmler accepte que les secours viennent chercher un millier de juives. Les femmes, et notamment les lapins, sortent de leur cachette. Finalement, ce sont 7 500 femmes -juives ou non-juives- que le commandant du camp livre aux sauveteurs.
Néanmoins, toutes savent que les Françaises partent, lorsqu’elles sont malades vers la chambre à gaz ou vers les camions de la Croix-Rouge lorsqu’elles sont valides. L’attente, la peur de ne pas être libérée est ainsi décrite par Jacqueline Péry d’Alincourt : « Pendant ce temps, pour nous qui sommes restées, l’implacable routine continue. La mort est partout. Si nos camarades à l’agonie n’ont pas déjà succombé, il faudra les emmener à l’appel et les maintenir dans nos rangs, debout. Les cadavres sont empilés comme des bûches sur une charrette tirée par des prisonnières. Ils sont basculés pêle-mêle sur un tas qui grandit chaque jour. Les fours crématoires ne suffisent plus. Pourtant celui qui a explosé sous la charge a été reconstruit. Le mortel carrousel continue et les camions de la Croix Rouge sont à la porte. Nous le savons maintenant : c’est la Croix Rouge suédoise qui tente de nous sauver. Par deux fois, je suis choisie pour le départ. Par deux fois, rappelée avant d’arriver à la porte du camp[11]. »
Enfin libres, les femmes se jettent sur des pissenlits qu’elles avalent devant le regard ahuri de leurs sauveteurs. C’est dans le convoi du 23 avril que Germaine Tillion quitte Ravensbrück pour la Suède, emportant avec elle la documentation qu’elle avait cachée : les noms des principaux SS cachés dans des recettes de cuisine et la pellicule de photos des mutilations subies par les « lapins[13] ». Les derniers bus de la Croix-Rouge parviennent aux portes du camp jusqu’au 25 avril, les bombardements interdisant ultérieurement tout autre déplacement.
La marche de la mort et la libération par les Russes
Resté seul avec les Russes, les Allemandes, les Autrichiennes etc., le commandant Suhren ne sait quoi faire. Commence alors le « grand exode du camp » ou marche de la mort vers Malchow, alors que les détenues, trop faibles, restent au camp. Suhren donne l’ordre de les tuer en les abattant mais on ne lui obéit pas.
Les Allemands partis, les survivantes découvrent 400 déportés, détenus dans le camp annexe des hommes. Fous. Fous de n’avoir ni mangé, ni bu, depuis huit jours. Seuls 150 d’entre eux survivront.
En ces derniers jours d’avril, les soldats russes pénètrent à Ravensbrück mais ce n’est que le 25 juin que les dernières survivantes rentrent chez elles, accompagnées des Françaises Marie-Claude Vaillant-Couturier[14] et d’Adelaïde Hass-Hautval[15], toutes deux restées volontairement au camp pour s’occuper des malades.
Pour toutes, rentrer dans le monde des vivants sera une autre épreuve.
[1] Helm Sarah. Si c’est une femme. Vie et mort dans le camp de Ravensbrück, 1939-1945 (If This is a Woman. Inside Ravensbrück. Hitler’s Concentration Camp For Women), traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat et Aude de Saint-Loup, Calmann-Lévy, 896 p.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/livres/article/2016/04/27/histoire-d-un-livre-ravensbruck-entendre-les-survivantes
[2] Selon le United States Holocaust Memorial Museum, “15% des internées étaient juives, 20% étaient allemandes, 7% françaises et près de 5% Tsiganes. »
[3] Fritz Suhren (1908-1950) sera arrêté, jugé et fusillé en 1950.
[4] Helm Sarah. Si c’est une femme…, p. 745.
[5] La Croix-Rouge put évacuer au total plus de 7 500 déportés en direction de la France, de la Suisse ou de la Suède.
[6] Dès novembre 1943, le Général de Gaulle confie à Henri Frenay l’organisation du commissariat aux Prisonniers, Déportés et Réfugiés en vue d’assurer leur retour.
[7] Père de Geneviève Anthonioz de Gaulle, internée à Ravensbrück. G. de Gaulle est la nièce du Général de Gaulle.
[8] 450 prisonniers allemands furent relâchés en contrepartie.
[9] Anthonioz-Gaggini Isabelle » Postel-Vinay Anise. Geneviève de Gaulle Anthonioz et Germaine Tillion : dialogues. Voir le chapitre 8.
[10] Himmler pensait pouvoir échanger les femmes « à particule » plus avantageusement.
[11] Helm Sarah. Si c’est une femme…, p. 673.
[12] http://larochebrochard.free.fr Survivre à Ravensbrück
Témoignage de Jacqueline Péry d’Alincourt (juin 1999). Résistante, elle est arrêtée en septembre 1943 et déportée à Ravensbruck en avril 1944. Elle est libérée le 24 avril 1945.
[13] http://www.germaine-tillion.org
[14] Marie-Claude Vaillant-Couturier (1912-1996). Reporter-photographe au journal L’Humanité, résistante, elle est arrêtée en février 1942. Déportée à Auschwitz en janvier 1943, elle est transférée à Ravensbrück en août 1944.
[15] Adelaïde Hass-Hautval (1906-1988) est médecin psychiatre. Elle est arrêtée en avril 1942 alors qu’elle prend la défense d’une famille juive dans un train. Déportée à Auschwitz en 1943, elle est transférée à Ravensbrück en août 1944 où elle travaillera au Revier. Elle reçoit la médaille de Juste parmi les nations en 1965.