René Isaac Salomon Levy est né le 8 janvier 1926 dans le 9e arr. à Paris. Son père -Mordohai Levy- est né en 1892 à Istanbul en Turquie et sa mère (Bouena Paraya ou Parahia) en 1893 à Salonique en Grèce.

En 1926, les Levy habitent au 41 de la rue des Martyrs à Paris. À la naissance de son fils, Mordohai exerce la profession de négociant.

La guerre éclate.

La rafle des Juifs grecs : 5 novembre 1942

Dans la rue des Martyrs vivaient des Bulgares, des Roumains, des Grecs, des Français, des Turcs, des Russes, des Polonais. Un tel était garçon de café, un autre commerçant, tailleur, employé, courtier en bourse, écolier, cordonnier… Anna était femme de ménage, il y avait Olga, Marthe qui était employée…

Au total, quarante-cinq personnes seront arrêtées entre 1942 et 1944 dans la rue des Martyrs, selon le Mémorial de la Shoah.

Le 5 novembre 1942, c’est la rafle des Saloniciens :

Selon Serge Klarsfeld, « Le 6 octobre [1942}, Knochen a donné l’ordre aux Kommandos de la SIPO-SD en province de zone occupée d’arrêter les Juifs appartenant aux catégories déportables. […] Röthke dispose de plus de 2 500 Juifs déportables. Röthke, prudent en raison des 211 Juifs du convoi 39, demande à Knochen son accord pour mettre en marche dans les dix premiers jours de novembre trois convois de 800 à 1 000 Juifs chacun. L’ambassade allemande ayant informé Röthke que les Juifs grecs devenaient déportables, il exige du préfet de Police que cette rafle ait lieu le 5 novembre. »

Il continue : « Quarante-huit heures après le départ du convoi n° 40, part le convoi intitulé n° 42 par suite d’une erreur de la macabre comptabilité de la Gestapo. Entre-temps à partir de 0 heure, le 5 novembre a eu lieu la rafle des Juifs grecs : 1 060 arrestations sur 1 416 fiches de Juifs grecs. Röthke est satisfait : « le résultat doit être qualifié de très bon… nous demandons qu’éventuellement la Préfecture de police se voie exprimer notre reconnaissance pour ce travail ». Les Juifs grecs seront déportés par le convoi 44 ».

Enfin, il note : « La liste 43 n’est que la copie du convoi 45. Le 5 novembre, à l’issue de la rafle des Juifs grecs, Röthke avait demandé à Eichmann l’autorisation de faire partir le 11 novembre un quatrième convoi rendu possible par l’arrestation des Juifs grecs qui constituent la presque totalité du convoi 44. Celui-ci quitte Drancy le 9 novembre à 8h 55 avec 1 000 Juifs, dont 163 âgés de moins de 18 ans. Les hommes valides sont descendus à Kosel pour des travaux forcés dans les camps de Haute-Silésie ».

Au 41 de la rue des Martyrs, vit Recaulo Perahia, né à Salonique en 1877. Il y a tout lieu de penser que Recaulo est un membre de la famille de la mère de René. Est-ce son grand-père ? Recaulo sera déporté le 9 novembre 1942 par le convoi 44 de Drancy à Auschwitz.

De la rue des Martyrs à Cluny

Il y a une question que nous nous posons à chaque rédaction des derniers articles : pourquoi et en effet, les Levy arrivent à Cluny et pas ailleurs ? Avaient-ils des connaissances, de la famille déjà réfugiée dans la cité abbatiale ?

Nous n’avons pas pu établir de liens entre toutes ces familles mais nous trouvons quatre groupements familiaux :

  • Marcel Levy, né à Paris en 1895, vit avec Marie-Georgette (née en 1902 à Sélestat) au 17 de la rue Joséphine Desbois.
  • Marcel Levy, né à Choisy-en-Brie en 1908, vit avec Jeanne (née en 1904 à Paris) au 29 de la rue Saint-Mayeul. D’après Jean Martinerie : « Les Levy sont ravitaillés par trois ou quatre résistants qui leur ont déniché un logement chez Dauvergne rue St Mayeul. Il leur faut cependant quitter la ville de peur d’être arrêtés. Éperdus de reconnaissance, ils viendront remercier leurs protecteurs une fois les périls passés[1] . »  Selon J. Martinerie, Marcel Levy proposera à la famille Dauvergne de lui offrir en remerciement un commerce après la guerre.
  • Jacques Levy né 1905 (Seine-et-Oise) vit avec Bernard (né en 1927 à Rabbat Maroc) au 24 place du Champ de Foire. À Cluny, Jacques sera inquiété, à la Libération, pour marché noir. Comme beaucoup d’autres, dirons-nous.

Sauf erreur de notre part, toutes ces familles survivent à la guerre en restant à Cluny.

René Levy élève à La Prat’s : 1943-1944

Et puis il y a René, inscrit à La Prat’s le 3 janvier 1943. Avec son père, ce sont les derniers Levy à arriver à Cluny.

Selon ce qui est indiqué sur le registre des inscriptions, René était précédemment scolarisé à l’École nationale professionnelle de Nîmes. Actuel lycée Dhuoda, l’établissement dispense alors un enseignement primaire supérieur, un enseignement technique, et des cours professionnels municipaux[2]. Entre le début novembre et début janvier, nous pouvons supposer que la famille s’est réfugiée dans le Sud de la France. Il est probable que la famille a fui Paris au moment de la rafle de novembre, la mère de René étant de nationalité grecque.

École Nationale Professionnelle de Nîmes.

Paris, le Sud, Cluny.

René et son fils (nous ne trouvons pas trace de l’épouse de Mordohai à Cluny) vivent au 6 de la rue Colonel Lechères. Pour survivre, le père de René, à l’instar d’autres réfugiés comme la famille Lang ou Rabanowitz, cultive un jardin ouvrier d’une surface de 200 m2 à compter du 13 mars 1943.

Registre des cartes d’alimentation, Cluny.

À La Prat’s, âgé de dix-sept ans, René est inscrit en classe de 5e spécialité ajustage. Il se prépare au brevet d’enseignement industriel (B.E.I.). Son objectif est d’entrer aux Arts-et-Métiers.

Le 21 juin 1943, René se présente à l’examen du B.E.I. Les écrits comportent des épreuves de français et mathématiques. En dessin, il s’agit de représenter à l’encre à l’échelle ½ avec les instruments d’usage l’ensemble monté de la tête de bielle de locomotive. Pour les épreuves manuelles dans la section ajustage, l’élève doit réaliser une chignole.

Le 25 juin 1943, le jury déclare que 41 élèves ont obtenu des notes suffisantes pour l’obtention du diplôme. Alors qu’il s’est bien débrouillé en enseignement général, René échoue en dessin et atelier et échoue à l’examen.  Peut-être suivait-il à Paris un cursus dans un lycée d’enseignement général, ce qui pourrait expliquer son échec.

René reste encore une année à La Prat’s.

Le 6 juin 1944, c’est le branle-bas de combat à l’École. Les plus âgés partent au maquis tandis que d’autres rejoignent leurs familles ou restent à l’École. Le directeur Jacques Manceau note que René repart pour Paris, sans que nous puissions le vérifier.

À partir de ce moment-là, nous perdons la trace de René. Seule indication : ses parents obtiennent la nationalité française en 1950. Ils ont donc survécu tous les deux à la guerre.


[1] Martinerie, Jean. Éléments pour une approche historique de la résistance en Clunysois et lieux circonvoisins. Beaubery : imp. Turboprint, 2010, 311p., p. 120. Les Dauvergne sont affiliés à la famille Cugnet.

[2] http://www.nemausensis.com/Nimes/XXeSiecle/LyceeDhuoda/LyceeDhuoda.htm