Enseignement secondaire spécial et musique

La musique et la gymnastique ne sont plus sous Duruy des matières accessoires mais participent bien à cette éducation complète telle que le ministre la souhaite. Grâce à la musique, cet enseignement secondaire spécial « mâle et sévère en apparence » devient « plein d’attraits » comme le note le directeur Roux dans le prospectus de l’École en 1866. Il faut là reconnaître, une fois de plus, les initiatives de Duruy, même si elles sont occultées par l’œuvre de Jules Ferry[1].

Au XIXe siècle, le chant « chorale » est impulsé à l’origine par Guillaume Louis Bocquillon dit Wilhem[2] dans les rangs de Saint-Cyr. Il développe ensuite une méthode d’enseignement mutuel appliqué à la musique. Les orphéons, (terme désignant tout d’abord une association chorale d’hommes amateurs recrutés dans toutes les classes de la société puis les fanfares et les harmonies), se multiplient ainsi tout au long du siècle. « En 1861, il n’est pas un département français qui ne possède son orphéon. C’est le succès pour ce mouvement populaire de grande ampleur[3]. »

La musique, un moyen d’éducation

Reprenant là encore l’exemple de la Prusse[4], où le chant est obligatoire dans toutes les écoles à raison de trois heures par semaine, Duruy l’inscrit dans les programmes de l’enseignement secondaire spécial en 1866, car il « est un puissant moyen d’éducation : tous les collèges spéciaux ont donc des cours de chant[5]. » C’est aussi un « puissant moyen d’éducation », car les paroles peuvent développer des sentiments, qu’ils soient d’ordre patriotiques, religieux ou moraux.

La musique, le chant plus précisément, sont donc inscrits sous le ministère Duruy à l’emploi du temps des élèves de l’enseignement secondaire spécial et son horaire varie, pour les collégiens, de deux heures dans l’année préparatoire à une heure de la 1ère année à la 4e année. Le programme fait l’objet d’une publication dans le Bulletin de l’Instruction publique ; quant à la méthode, elle est laissée à la libre appréciation du professeur : « elle est, provisoirement, celle que le maître sait le mieux appliquer[6]. »

Fanfare, orphéon et société symphonique

À Cluny, dès l’ouverture de l’établissement, ces cours de chant sont complétés par la création d’une fanfare. Duruy propose à le directeur F. Roux de se mettre en contact avec Laurent de Rillé, inspecteur général du chant, afin que celui-ci aide à la mise en place de l’enseignement de la musique dans ce « laboratoire pédagogique » qu’est l’École normale de Cluny.

Si Pierre Legrand règne en maître sur le dessin, la musique aura M. Kuhn, qui fera lui aussi toute sa carrière à Cluny, développant les fanfares autant à l’École que dans la cité. Conséquemment, la ville -en reconnaissance de ces activités- lui offre une concession perpétuelle au cimetière lorsqu’il décède, parce qu’il « a rempli jusqu’au jour de son décès les fonctions de directeur de nos sociétés musicales avec un zèle, un dévouement et un désintéressement au-dessus de tout éloge[7]. »

Dans les années 1870, deux formations bien différenciées existeront ; en plus de l’orphéon (chorale), nous trouvons la fanfare du collège et la formation de l’École normale appelée pompeusement dans le prospectus du collège des années 1874-1878, la « société symphonique. »

Cluny : la « société symphonique » vers 1883.

Cours particuliers

Des cours particuliers de musique (instruments à vent, violon et piano) sont donnés également par des Italiens, les frères Rinuccini. Les élèves, moyennant rétribution, peuvent en bénéficier pendant leurs heures de liberté, comme l’indique le prospectus du collège des années 1874-1878. Issu des classes moyennes, l’élève de l’enseignement spécial doit pouvoir se cultiver, élargir ses horizons et devenir, comme les élèves de l’enseignement classique, un « honnête homme » qui saura faire bonne figure dans la « bonne » société.

Quelle animation dans la cité abbatiale !

Le chant et la musique participent donc à toute la vie de l’établissement et à celle de la cité, voire des environs de Cluny.

En mars 1867, soit un an et demi après l’ouverture de l’établissement, ce sont les élèves du collège et de l’École normale qui animent les cérémonies religieuses :« La messe, due aux talents de M. Kuhn, professeur de musique dans l’établissement, fut chantée avec un ensemble et un succès qui excitèrent l’admiration de tous les assistants : à l’Offertoire, et à la Communion, la musique exécuta, à son tour, divers morceaux qui furent du plus magnifique effet[8]. »

Cluny : collégiens musiciens vers 1883.

Les élèves donnent également des concerts pour les Clunisois dans les jardins de l’abbaye ou sur la place de la Grenette : « Il était d’usage que chaque dimanche de quinzaine, depuis Pâques jusqu’à la fin de l’année scolaire, les portes des jardins de l’École étaient ouvertes au public Clunysois, depuis quatre heures jusqu’à six heures du soir, pendant que la musique des élèves jouait. Le programme des morceaux exécutés était imprimé à l’autographie de l’École et distribué aux nombreux promeneurs[9]. »

Parc de l’abbaye de Cluny, 1866.

Eh oui, les Restos du Coeur de Cluny n’ont rien inventé en 2020 puisqu’une fois l’an, professeur et élèves proposaient déjà un concert au profit des déshérités de la ville. En janvier 1868, ils exécutent ainsi cinq morceaux pour la fanfare, quatre chœurs, deux symphonies, deux soli de violon, des chansonnettes comiques et un vaudeville. « Dans les ensembles du chant, comme dans ceux de musique instrumentale, le public fut heureux de rendre hommage à la netteté du rythme, à la justesse d’intonation, à l’accord et à l’entrain des exécutants[10]. » Sur la place de la Grenette, on paie sa place trois ou deux francs. Le concert rapporte une somme supérieure à 1 000 francs au profit des déshérités de Cluny.

Concert au profit des pauvres, 1868.

Les promenades du dimanche dans la campagne environnante se déroulent également en musique et tout le monde profite ainsi des morceaux joués par les élèves. Deux œuvres figurent au top 40 de 1874 : « La fille de Mme Angot »et « Les trompettes de la garde. »


[1] Voir l’article de Serge Reneau, professeur d’histoire à l’IUFM de Rouen, qui omet totalement l’œuvre pionnière de Duruy dans le domaine de l’enseignement artistique : Reneau, Serge. L’institution scolaire, l’éducation artistique et l’action culturelle de J. Ferry à J. Lang dans http://www.rouen.iufm.fr/publication/articles_trames/tr11_reneau.pdf)

[2] http://patrimoine.gadz.org/gadz/wilhem.htm

[3] Bergese, Alain. Écoles de la musique : le défi, mémoire de DESS 1996-1997, Lyon II dans http:// www.cortex-culturemploi.com/france/memoires/fichiers/bergese.rtf

[4] De Rillé Laurent. Exposition universelle de 1867 à Paris, sous la direction de Michel Chevalier. Tome XIII, section XII, pp. 394-401. Article sur l’enseignement de la musique.

[5] BAIP n° 104, 1866, p. 601.

[6] Idem.

[7] Archives municipales.Cluny : délibération du conseil municipal, 16 novembre 1890.

[8] Roux. Histoire de l’école normale spéciale de Cluny. Alais : imprimerie J. Martin, 1889, 319 p., pp. 84-85.

[9] Idem., p. 272.

[10] Ibidem., p. 139.