Nous remercions vivement Jacques Loupforest, président de l’association Les amis du vieux Thoissey et de ses environs[1] pour toute l’aide apportée sur l’histoire de la famille Herrmann-Jacobi à Thoissey.


Walter, Max, Josef, Rüdiger Herrmann est né le 5 avril 1925 à Sarrebruck, en Allemagne. Ses parents se sont mariés à Vienne en 1923. À Cluny, on l’a connu sous le prénom de Roger.

Sa famille a fui l’Allemagne :

  • Moritz-Israël, son père (1892-1967) né à Altenkunstadt, Bavière.
  • Amalia Herrmann (1902-1970), sa mère -née Jacobi- à Vienne
  • Ellen Herrmann, sa sœur née le 17 juillet 1928 à Sarrebruck.
  • Philippine Herrmann (1859-1939), sa grand-mère paternelle, née Kraus, à Altenkunstadt en Bavière, nationalité allemande[2].
  • Louis Jacobi (1867-1940), son grand-père maternel, né à Vienne (Autriche)
  • Hermine Jacobi (1876-1940), sa grand-mère maternelle, née Pollak en Tchécoslovaquie.

Saint-Dié, Paris, Thoissey

En 1936, les parents de Roger Herrmann vivent à Saint-Dié (Vosges). C’est là que le couple et les enfants obtiennent la nationalité française. Puis la famille déménage à Paris : la grand-mère paternelle (Philippine) habite au 4, rue de la Pompe à Paris et le couple Herrmann au 92 de la rue Mozart dans le 16e arr. également. En 1938, Roger est scolarisé au lycée Janson-de-Sailly (106, rue la Pompe).

En 1939, toute la famille Hermann-Jacobi se réfugie dans le village de Thoissey (Ain). Les parents s’installent au 16, rue de l’Église tandis que les grands-parents louent un appartement au 5, rue de l’hôpital.

Recensement cartes alimentation, Thoissey.

Pourquoi Thoissey ? Première hypothèse : soit c’est un pur hasard. Deuxième hypothèse : la famille a des connaissances au village. En effet, de nombreux Juifs travaillent à Thoissey dans les établissements de fourrure Gay-Four et Salpa, dirigés par Jean Nommick qui emploie en 1937 300 personnes[3]. Troisième hypothèse : la famille a été assignée à résidence dans ce village après son passage de la ligne de démarcation.

Mais, au moment de l’inscription de Roger à La Prat’s, le père de Roger n’a pas de travail et doit sûrement subvenir aux besoins de toute la famille. Comment se débrouillent-ils tous pour survivre ?

Alors que Roger est inscrit à Cluny, sa sœur Ellen est scolarisée à l’école primaire de Thoissey à compter du 2 octobre 1939.

École communale, Thoissey.

Ellen se prénomme désormais « Jacqueline », son père « Maurice », sa mère « Amélie » et Rüdiger devient « Roger ». La famille ne se fera pas recenser comme « Juifs » à la mairie de Thoissey.

La guerre et ses ravages

Chez les Herrmann-Jacobi, les drames familiaux s’enchaînent :

Le 27 novembre 1939, la grand-mère Philippine meurt. Du haut de ses quatorze ans, c’est Roger qui déclare ce décès à la mairie.

Le 17 juin 1940, Pétain annonce officiellement à la radio qu’il faut cesser le combat et son intention de demander à l’ennemi la signature d’un armistice. Pour les grands-parents Jacobi, c’est l’annonce d’un désastre qu’ils ne supportent pas.

En effet, le 19 juin 1940, la famille perd Hermine -la grand-mère maternelle- puis le grand-père maternel : Louis Jacobi meurt le 21 juin 1940. Une voisine, interrogée par J. Loupforest, se souvient que les grands-parents se sont suicidés.

En juillet 1940, c’est au tour de l’oncle Willy Herrmann[4]. Il n’a pas suivi la famille à Thoissey mais il est également en France avec son épouse[5]. Il meurt alors qu’il est interné au camp de la Viscose, à Albi, dans le Tarn[6].

Roger à La Prat’s : 1939-1943

Roger passe de Janson-de-Sailly, un des meilleurs lycées parisiens, à La Prat’s où il fait sa rentrée le 1er octobre 1939. Le directeur qui prend son inscription, c’est Marius Deloire, franc-maçon. Comme pour d’autres élèves juifs, le nom est quelque peu modifié : Hermann à la place de Herrmann. Le prénom est francisé : Rüdiger devient Roger.

Roger vit en ville, comme les frères Klajman. En 1942, il est recensé comme « Juif » vivant au restaurant Robin. Il est possible qu’il use, comme eux, de plusieurs identités. Peut-être est-il copain avec Léon Klajman et Fred Marschallick, avec lesquels il partage les mêmes angoisses pour leurs familles et les mêmes envies de se battre contre l’occupant. Ces gars ont dix-sept ans mais ils savent que leur avenir tient à un fil. Sans pouvoir mettre de nom sur une photo, on les imagine aussi descendant la rue de la Poste, jeter un coup d’oeil aux filles des Récollets et partager un bock dans un troquet.

Clunisois.fr, café de la Grenette

Jusqu’à son départ de La Prat’s -en juillet 1943- Roger passe à travers les mailles du filet.

À l’École pratique, il se débrouille plutôt bien en enseignement général, mais lorsqu’il se présente au B.E.I. (brevet d’enseignement industriel), il n’est pas admis au vu de ses résultats aux épreuves pratiques. C’est plus qu’embêtant pour un élève qui veut rentrer aux Arts-et-Métiers. Inscrit en 1940-1941 en 4e année, il ne réussit pas mieux : 8 en atelier, 8 en dessin. Tout comme ses camarades Josserand et Rigolet[7], on lui donne encore une chance avec « l’examen de réparation » (le rattrapage), mais il est toujours en échec.

Herrmann a-t-il la tête ailleurs qu’aux études ?

Seul à Cluny, il faut penser à la famille restée à Thoissey, faire le deuil des trois grands-parents, se faire du souci pour la petite sœur souvent malade, comme l’atteste le registre de présence de l’école primaire du village[8].

Et puis il y a la guerre.

À suivre…


[1] https://patrimoine-des-pays-de-l-ain.fr/federer-a/annuaire-des-adherents/105-les-amis-du-vieux-thoissey-et-de-son-canton

[2] Son époux, Max Herrmann est décédé en 1908 à Altenkunstadt. Le couple a eu trois enfants : Moritz, Wilhelm et Meta. Meta décède le 24 février 1941 au Luxembourg. Son mari (Ferdinand Seligmann) émigre avec leur fille Alice aux États-Unis.

[3] https://c.lejsl.com/edition-de-macon/2014/05/05/deux-victimes-honorees

[4] Wilhelm Herrmann dit « Willy » est né à Altenkunstadt le 15 mars 1881.

[5] Selon le 1er statut des Juifs du 3 octobre 1940, les préfets peuvent assigner à résidence les « étrangers de race juive » ou les interner dans des « camps spéciaux ».

[6] Weber, Reinhardt. Das Schicksal Der Judischen Rechtsanwalte in Bayern Nach 1933. München : Oldenbourg, 2006., p. 152 et p. 279. Le camp de la Viscose a été ouvert en juillet 1940. Y sont internés entre juillet et août 1940 886 personnes (ressortissants du Reich et Brigades Internationales.) Le camp fermera en août 1941.

[7] Josserand et Rigolet seront assassinés par la Milice le 28 juin 1944.

[8] Selon le registre d’appel journalier de l’école primaire publique de filles de Thoissey, consulté par M. Loupforest, l’institutrice (Mademoiselle Buthéry) note de nombreuses absences pour Jacqueline : fatigue, maladies.