Léon et Maurice à Cluny : 1941-1947
Lors de leur inscription à La Prat’s, les enfants Klajman sont bien inscrits sous leur véritable patronyme, cependant légèrement modifié.
Pour Léon, c’est Klayman et -pour Maurice- Klaymann mais leurs dates et lieux de naissance sont exactes. Leur père déclare se prénommer Alfred. Pour qui chercherait un tant soit peu, il serait facile de faire le recoupement avec les enfants juifs du couple Klajman de Lens.
Klajman ou Clément ?
Léon et Maurice arrivent tous deux à Cluny à l’âge de seize ans. Les parents sont restés à Aurillac. Pas facile de vivre et de se débrouiller seuls à Cluny en temps de guerre. D’après Léonard Brouet (ami de Maurice), les parents avaient confié de l’argent à leurs enfants.
Ils ne sont pas internes. En ville, où logent-ils ?
Toujours selon Léonard Brouet, ils ont trouvé « une chambre chez une dame vers le champ de foire ». On les retrouve aussi dans les listes des cartes d’alimentation de la mairie de Cluny et ils sont bien également inscrits sous le nom de Klayman, sans mention de la catégorie qui doit être la « J3 », réservée aux jeunes de cet âge.

Pourtant, les copains et les copines se souviennent d’eux sous le nom de « Clément ».
Micheline Picquard -jeune fille juive cachée à Cluny avec sa famille[1]– évoque les noms de ses copains des Arts et Métiers : André Martin, les frères « Clément », de leur vrai nom Kleiman.
Les Klajman avaient-ils de faux papiers en cas d’arrestation ? Oui, confirme Léonard. Ils avaient deux cartes d’identité. Les garçons jonglent : une fois c’est Klayman (n), une fois c’est Clément. On peut donc vivre sous sa véritable identité à l’École pratique, mais pas en ville. La Prat’s est donc une école « refuge ».
Léon, un Gadz’Arts au maquis de Cluny
En 1943, Léon Klayman se présente aux Arts ; élève brillant, comme l’atteste son classement avec le professeur H. Daget (professeur à La Prat’s), son oral de mathématiques se voit sanctionné d’un 1/20 !

Il repassera le concours avec brio en 1944.
Au même examinateur de mathématiques qui l’avait interrogé en 1943 (l’antisémite 1/20 !), il n’a pas froid aux yeux lorsqu’il lui dit : « Je vous méprise. »

Juin 1944 : la fin de l’année scolaire est perturbée et les oraux n’auront lieu qu’en décembre. Entre les écrits et les oraux (ou avant ?), Léon est passé au maquis. Léonard se souvient qu’avec son copain Maurice, ils montent voir une fois Léon vers le Bois-Clair pour lui porter des affaires.
Léon se mariera avec Fanny Dawidowicz en 1952. Fanny et ses parents habitaient à Béthune. Ils ont eu la chance de survivre aux quatre années de guerre, cachés et sauvés par les familles Delestrez et Cadier, reconnus Justes parmi les Nations[2]. Léon décède en 1979.
« Maurice, c’est mon copain »
Quant à Maurice, Léonard Brouet nous raconte la suite. Aux ateliers de La Prat’s, les deux gars du Nord ont tout de suite sympathisé. Maurice confie à son copain son histoire : il est Juif et se cache :
« Il me dit aussi, qu’il est inscrit sous une fausse identité : Maurice Clément. Mais, pour moi, rien ne change. C’est mon copain. »
Au moment du débarquement, le père de Léonard téléphone à l’École. Il souhaite que son fils revienne à Onnaing rapidement. Léonard ne laisse pas tomber Maurice et propose à ses parents d’accueillir son copain. C’est oui. Les garçons montent dans le train le 22 juin. Ils arrivent quatre jours plus tard dans le Nord.
La famille Brouet accueille Maurice comme leur fils : faux-papiers (toujours sous le nom de Clément) et fausse religion ; Maurice est catholique et l’abbé Hécart le sait et le couvre. Puis la ville d’Onnaing est libérée le 1er septembre 1944.
Les parents Klajman ont échappé aux arrestations ou, pour employer le terme utilisé par le préfet du Cantal, au « ramassage des Juifs ». Il se peut que Tauba se soit cependant éloignée d’Aurillac, car seul son mari est recensé -toujours avenue A. Briand- à la date du 20 mai 1944.
Les parents retrouvent leur fils Maurice et il pourra finir sa scolarité à Cluny, toujours avec son copain Léonard.

Tandis que Léon termine son cursus aux Arts de Cluny, Maurice reste à La Prat’s jusqu’en 1945. Il réussit, comme son frère, le concours d’entrée aux Arts. Mais pour lui, ce sera l’École de Liancourt.
Adieu à la colline du Fouettin
Maurice se mariera avec Micheline Rudetzki et ils auront un fils. Au milieu des années 1950, le nom patronymique des Klajman sera définitivement orthographié Kleiman, suite à une ordonnance rendue par le tribunal civil Épernay.
Nous avions contacté Maurice Kleiman en 2003, au moment de la célébration du centenaire du lycée La Prat’s. Il s’était un peu confié mais certains souvenirs étaient trop douloureux. Nous n’avions pas insisté. Seize ans après, nous avons repris l’écriture de son histoire mais il y a tant de points que nous aurions souhaité éclaircir. Il est trop tard mais nous comptons sur l’aide de M. Brouet qui pourra, nous l’espérons, nous apporter encore des précisions.
Fred Marschallick, Léon et Maurice Klajman… La Prat’s, a-t-elle été une école « refuge » ? Un établissement « Juste » ? Nous vous raconterons bientôt l’histoire de Roger Herrmann, et celles des enfants Levy.
Pour remercier Ida et Léon Brouet de l’avoir accueilli à Onnaing, Maurice Kleiman plantera vingt-quatre arbres en Israël. Les deux copains de la promo 1943 resteront longtemps en contact. Et puis Maurice Kleiman s’en est allé. C’était en 2014.
[1] Entretien téléphonique de Nathalie Wolff avec Micheline Piquard, 23 octobre 2015.
[2] Voir le site de Yad Vashem.