1944, l’année où il n’est pas sur cette terre
de matin sans agonies, de soir sans prisons,
de midi sans carnages.
Albert Camus
Raymond Pierre Papet est né le 17 février 1910 à Dommartin-lès-Toul, en Meurthe-et-Moselle. Son père, le capitaine Jean Papet, originaire de Chissey-les-Mâcon (Saône-et-Loire), meurt au combat dans les Ardennes le 4 octobre 1918.

Sa mère, Jeanne Neige[1], vient s’installer dans le pays de son mari et élève seule leurs trois enfants : Renée (1908-1998), Lucie (1914-2016) et Raymond. La famille ne roule pas sur l’or : Jeanne exerce la profession de lingère.
Raymond, après avoir obtenu son « certif » le 7 juin 1922 à l’école primaire de Chissey-les-Mâcon entre à La Prat’s le 1er octobre suivant avec 159 autres camarades. La guerre a fait des ravages : comme treize autres garçons, il est orphelin de père.
En 1925, il obtient son C.E.P.I (certificat d’études pratiques industrielles). Il arrête là ses études à La Prat’s : Raymond, pupille de la Nation, doit rejoindre rapidement le monde du travail.
En 1929, on le retrouve rédacteur à la Préfecture de Mâcon ; il gagne à l’époque 9 500 francs. Son avenir professionnel assuré, il épouse Marcelle Millet en 1931. Ils auront cinq enfants.
Raymond Papet a fait son chemin : il a été chef du bureau du cabinet des préfets Paul Bouet (de 1932 à 1939), Paul Brun (de 1940 à 1941), Alfred Hontebeyrie (de 1941 à 1942) et de Paul Demange (de 1942 à 1943). Il exerce la même fonction avec Jean-Louis Thoumas, dernier préfet nommé par Vichy pour la Saône-et-Loire de 1943 à 1944. Celui-ci décrira son collaborateur comme étant « brillant et très consciencieux[2]. »

Mais, dès 1940, il a d’autres activités puisqu’il est, non seulement selon André Jeannet, un des « premiers agents du réseau Marc Breton » mais également responsable du noyautage des administrations publiques (N.A.P.[3]), en relation avec Maurice Pagenel, et membre de Combat dès 1942. « Il apporta son appui au réseau Zéro auquel appartenait Camille Chevalier. Il procura de fausses cartes d’identité, permis de conduire, cartes de voyageur de commerce. Il informa la Résistance des opérations prévues par la police et des informations confidentielles du gouvernement de Vichy[4]. » Rajoutons aussi que, d’après Marcel Ruby, Raymond Papet est également responsable du Coq Enchaîné pour la Saône-et-Loire avec Ruppert Polfiet et Paul Demange[5].
En bref, Raymond Papet, à trente-quatre ans, est un personnage incontournable de la résistance mâconnaise.
Henriot et la Milice de Mâcon : c’est l’amour fou.
Philippe Henriot est depuis le 6 janvier 1944, secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande du gouvernement de Vichy. On l’entend sur les ondes de Radio-Paris et ses éditoriaux ont des répercussions néfastes sur l’opinion publique. Son principal ennemi, sur les ondes, se nomme Pierre Dac qui lui est à Radio-Londres[6]. Est-ce prémonitoire ? Lorsqu’Henriot attaque Dac sur ses origines juives en mai 1944, celui-ci lui répond du dac au dac que sa tombe risque bien de porter la mention « Mort pour Hitler, fusillé par les Français. » En juin 1944, Londres décide de faire taire définitivement Henriot. L’opération est confiée à Gonard (Morlot) qui réunit une quinzaine de gars. Si l’on a parlé d’un possible « enlèvement » d’Henriot, l’opération ne doit pas échouer, tel est le mot d’ordre. Il faut donc qu’il n’en réchappe pas.
Le 28 juin, vers 5 heures du matin, Henriot est abattu dans son appartement parisien. On retrouvera onze douilles près de son corps[7].
Comme l’écrit son biographe C. Delporte, viennent ensuite les « Ondes de choc » : non seulement « la Milice construit le mythe du grand disparu », mais elle décide de le venger. À Rennes, trois personnes sont abattues. À Lyon, Paul Touvier choisit sept Juifs emprisonnés pour les faire exécuter le matin du 29 juin à Rillieux-la-Pape[8].
Le 14 mai 1943, la Milice de Mâcon -dont le chef est alors Robert Mathès[9]– avait accueilli une conférence d’Henriot sur le thème : « Tocsin sur l’Europe[10] ». Mille quatre cents personnes étaient présentes au Marivaux. Parmi elles, 70 à 80% de partisans et de sympathisants, notent les renseignements généraux[11]. Henriot devient ainsi le « parrain » de la Milice mâconnaise puisqu’il s’y était fait inscrire comme « franc-garde d’honneur ».
À Lyon, Touvier apprend la mort d’Henriot vers 14 heures en revenant de Vichy. À la Milice de Mâcon, la nouvelle tombe vers midi.
Une soif de vengeance
L’assassinat d’Henriot, voilà le facteur déclenchant de la folie des miliciens en ce début d’après-midi du 28 juin 1944. Ils vont venger Henriot mais également les leurs car ils n’ont pas oublié les attentats perpétrés par la résistance. Celui de début février où deux miliciens sont abattus et celui du 25 avril. À cette date, Claude Rochat avait décidé d’exécuter le chef milicien Joannès Clavier[12] -qui avait remplacé Mathès- et ses principaux lieutenants.
L’embuscade menée par le sergent Raymond Bohn avait fait deux morts : Louis-Henri Delforge (policier des S.D. de la S.S.) et Jean Clos (chef de trentaine à la milice). Terrel, le plus gros poisson (secrétaire départemental de la L.V.F.) n’avait été cependant que blessé[13].
Les pertes chez les miliciens ne s’arrêtent pas là : le 19 mai, la Milice arrête Albert Grondier (du groupe Franc de Vonnas). Celui-ci réussit à s’échapper et alerte ses camarades. Dans les bois d’Illiat, miliciens et résistants s’affrontent. Selon Marcel Vitte, la résistance perd quatre hommes mais la milice au moins dix[14].
Et puis, le 6 juin « La bataille de France est engagée ».
Trop, c’est trop. Clavier, chef de la milice, l’avait promis : ses hommes seraient vengés[15]. Si le 27 avril la Milice avait déjà abattu -en représailles- le docteur Léon Israël et Dragutin Dvorak[16], ils n’en resteront pas là. Le 28 juin, la mort d’Henriot est la goutte qui fait déborder le vase.
À suivre…
[1] Le couple s’est marié en 1907 à Paris (11e arr.).
[2] Hoover Institut. La vie de la France sous l’Occupation, vol 1. Paris : Nouveau Monde éditions, 2013, 617 p., p. 475.
[3] Vitte, Marcel. Chroniques de Thibon. Mâcon : Imprimerie Buguet-Comptour, 2000, 103 p., Voir les articles « Les Taupes du N.A.P. », pp. 16-17 et « La N.A.P. à Mâcon », pp. 74-75.
[4] Jeannet, André. Mémorial de la résistance en Saône-et-Loire. Biographies des résistants. Mâcon : JPM éditions, 2005, 443 p., p. 299.
[5] Ruby, Marcel. La résistance à Lyon, vol. 1. Lyon : Editions L’Hermès, 542 p., p. 217.
[6] Voir à ce sujet le téléfilm de Laurent Jaoui (2014) : « La guerre des ondes ».
[7] Delporte, Christian. Philippe Henriot. Paris : Flammarion, 2018, 416 pages.
[8] Ce sont pour ces meurtres que Touvier sera traduit en justice devant une cour d’assisses et qu’il sera finalement condamné en 1994 à la réclusion à perpétuité.
[9] Né le 26 septembre 1913 à Mâcon, Mathès deviendra chef départemental de la Milice du Rhône. Il meurt accidentellement le 25 décembre 1943. Circulant en direction de Grenoble, la voiture fait une embardée ; Mathès est tué par le milicien qui se trouvait derrière lui : « La secousse a fait appuyer le Milicien involontairement sur la gâchette. » Voir à ce sujet : Garcin, Paul. Interdit par la censure. 1942-1944. Lyon : éditions des Traboules, 2014, 245 p., p. 153.
[10] Ce même jour, Joseph Darnand avait rejoint Henriot à Mâcon.
[11] Jeannet, André. La Seconde guerre mondiale en Saône-et-Loire : Occupation et Résistance. Mâcon : JPM éditions, 2003, 350 p., p. 58.
[12] Joannès Clavier est né le 15 mars 1911 à l’Arbresle, Rhône. Il est le fils de Claude Antoine Clavier et de Jeanne Marie De Dreux. En 1944, il est employé de commerce et vit au 37 rue Dombay à Mâcon.
[13] Vitte, Marcel. Chroniques…, op.cit., pp. 57-58.
[14] Idem., pp. 60-61.
[15] Ibidem., p. 58. « Nous frapperons deux fois plus fort », disait le chef Clavier.
[16] Ibid., p. 58. Le chef de division de la préfecture, M. Taitot, échappe à la tuerie des miliciens. Il sera néanmoins blessé gravement.