Lecture du poème par Raphaelle Kroely, lycée La Prat’s

Micheline Maurel (1916-2009) s’est engagée dans le réseau Marco-Polo à Lyon en novembre 1942 où elle est boursière d’agrégation puis professeure. Arrêtée le 19 juin 1943, elle va connaître l’internement au fort de Romainville puis la déportation à Ravensbruck. Sarah Helm, dans son admirable ouvrage « Si c’est une femme », relate ces morceaux de vie auxquels les déportées s’accrochaient, nuit et jour. Ces morceaux de vie, c’était par exemple les poèmes écrits par Micheline :

« Et alors même qu’elles ne comprenaient pas le français, tout le monde écoutait les poèmes de Micheline écrits sur les bouts de papier fournis par l’amie Blockova, une vieille briscarde internée depuis si longtemps qu’elle portait un matricule dans les 3 000. »


Il faudra que je me souvienne…

Il faudra que je me souvienne
Plus tard, de ces horribles temps,
Froidement, gravement, sans haine,
Mais avec franchise pourtant.
De ce triste et laid paysage
Du vol incessant des corbeaux,
Des longs blocks sur ce marécage,
Froids et noirs comme des tombeaux.
De ces femmes emmitouflées
De vieux papiers et de chiffons,
De ces pauvres jambes gelées
Qui dansent dans l’appel trop long.
Des batailles á coups de louche,
À coups de seau, á coups de poing,
De la crispation des bouches
Quand la soupe n’arrive point.
De ces « coupables » que l’on plonge
Dans l’eau vaseuse des baquets
De ces membres jaunis que rongent
De larges ulcères plaqués.
De cette toux á perdre haleine,
De ce regard désespéré,
Tourné vers la terre lointaine,
O mon Dieu, faites-nous rentrer!…
Il faudra que je me souvienne…

Micheline Maurel , Automne 1944.

À lire, de M. Maurel : Un camp très ordinaire, Editions de Minuit, 1957 (Récit de captivité. Prix des Critiques 1957). La Vie normale, Editions de Minuit, 1958 (Roman autobiographique). La Passion selon Ravensbrück, poèmes écrits au camp, Editions de Minuit, 1965.