Deux conscrits sur les bancs de La Prat’s
Théophile Chevillon est né le 4 octobre 1921 à Corcelles-en-Beaujolais. Il a une sœur, Marguerite, née en 1920. Leur père Gabriel est charpentier. Lorsque celui-ci décède en 1933, leur mère -Louise Trouillet originaire de La Vineuse- décide de venir s’installer à Cluny où elle exerce la profession de bonnetière. La famille habite rue Municipale. Théophile entre à La Prat’s en octobre 1934. Il quitte l’école pratique deux ans plus tard et exerce la profession de menuisier chez Lyon-Standard.
François Dargaud est né le 18 décembre 1921 à Cluny. Joanny son père est cantonnier et sa mère Marie-Louise concierge. François a deux soeurs : Andrée, née en 1920 et Marthe (1925-2018). Il ne fait qu’un passage éclair à l’École pratique où il ne reste qu’un an entre 1933 et 1934.
En 1936, François exerce la profession de typographe et vit avec sa famille à Cluny, quartier de l’Abbatiale.
Conscrit de Théophile, François est amené, comme lui, à faire un choix en 1943 : c’est soit le S.T.O. ou le maquis. Les deux copains choisissent le maquis.
Au maquis de Crue puis à Mont-Cortevaix.
Selon les souvenirs de Claudius et Marie-Louise Dutrion[1], le maquis de Mont-Cortevaix est installé depuis juillet 1943 au cœur du bois. Il comprend alors vingt-cinq à trente jeunes, originaires de la région, de l’Ain, du Jura[2], de Lyon… sous les ordres d’Eugène Cotte (Jacky)[3].
Certains venaient du maquis de Crue, c’est le cas de Théophile Chevillon et de François Dargaud[4]. À Blanot, ils étaient, dans la nuit du 9 au 10 mars 1943, « passés à la maternité » selon l’expression consacrée avec des copains des promotions 1932 ou 1933 : Jean Alix et Henri Gandrez.

La vie à Mont n’est pas facile dans ces bicoques délabrées et, pour gagner quelque argent, les jeunes travaillent au bois pour le compte de la régie des Transports de Saône-et-Loire et gagnent leur soupe en aidant aussi aux travaux des champs et aux vendanges, celles de 1943. Claudius et Marie-Louise Dutrion se souviennent des bons moments passés ensemble : « On dansait tous les soirs. »
Pour survivre, il faut aussi compter sur l’aide de Jean Renaud et de son équipe qui « pourvoient aux nécessités à intervalles réguliers. »
Au tout début du maquis de Mont, les jeunes maquisards ne sont pas armés : quelques revolvers au plus. Il faut attendre les premiers parachutages pour avoir d’autres armes.
À Cortevaix, les habitants (609 au recensement de 1936) ne s’engagent pas mais ne sont pas hostiles au maquis. Ils sont une poignée à leur apporter de l’aide : les instituteurs (Fourcade et sa femme), Henriette Voiret (institutrice remplaçante) et la postière. Quant à la famille Dutrion, elle « se montre, elle aussi, attentive aux besoins des hommes. » Elle soignera ainsi Cotte -tombé malade- l’accompagnera chez le « docteur du maquis », celui de Salornay-sur-Guye.
Le 13 novembre 1943, les maquisards du maquis de Beaubery qui viennent d’être attaqués, doivent se disperser. Ils font une halte à Mont-Cortevaix. Avec eux se trouve le traître Garcia. Il ne manquera pas de signaler l’existence du groupe de Cortevaix aux Allemands.
L’attaque du maquis
Le 17 janvier 1944, Suzanne Dutrion qui se rend à vélo à Bonnay, croise une patrouille allemande sur son chemin. Elle a le temps de prévenir la postière de Cortevaix qui donne l’alerte à M. Fourcade, instituteur. Grâce à sa vigilance, les réfractaires ont le temps de s’évanouir dans la nature.
Au même moment, Théophile Chevillon et François Dargaud remontent à Mont, sans méfiance. Ils sont arrêtés en possession de tracts[5]. Les deux jeunes sont emmenés, d’après le couple Dutrion, à pieds jusqu’à Cormatin. « C’est ce qui nous a sauvés », dit Claudius. En effet, les soirées sont courtes, la nuit est tombée et les Allemands n’ont pas le temps de perquisitionner les maisons. S’ils avaient eu le temps de faire le tour de Mont, ils auraient trouvé des armes et des munitions : « Y’en avait un peu partout », raconte Claudius. Tout est camouflé dans la soirée.
Mais le lendemain, à cinq heures du matin, les Allemands reviennent avec des renforts. Tout est bouclé, impossible de sortir du village. « Ils n’ont pas été trop méchants », fouillent un peu les maisons, se servent surtout copieusement dans les caves et emportent trente-deux litres de gnôle. Ils incendient deux vieilles masures où ils trouvent des traces du passage des maquisards. Le maire reçoit également l’ordre de détruire une maison « aux Fontaines » qui servait de cantine aux maquisards. C’est chose faite.
« Nous, pas méchants », dit l’officier allemand (il doit s’agir de l’officier qui dirige la garnison de Cluny « un instituteur en Rhénanie ») à Claudius Dutrion. Mais attention : si c’est la Gestapo qui vient la prochaine fois, ce ne sera pas pareil. Ils rappliquent quelques jours plus tard à bicyclette vérifier que la maison a bien été détruite. Mais ils viennent aussi pour récupérer encore quelques litres de gnôle : « Ils m’ont bien payé » dira Claudius Dutrion qui leur verse un coup à boire avant leur départ. Puis, « Ben ma fois, ils sont partis. » Le village s’en tire bien car, dans les semaines qui suivent, la résistance sera décimée à Cormatin-Blanot (23 janvier 1944) et à Cluny (14-17 février).
Déportés à Mauthausen
Théophile Chevillon et François Dargaud avaient vingt-deux ans. Ils vont connaître le même sort : ils partent de Compiègne ensemble le 22 mars 1944 dans un convoi qui comprend 1218 hommes[6]. Parmi eux, ils retrouvent le gendarme Claudius Pautet arrêté le 30 septembre 1943 et de nombreux hommes victimes de l’opération de la SIPO-SD. à Cluny entre les 14 et 17 février 1944 : Jean Alix, Gustave Arpin, François Baury, Albert et J-B. Beaufort, André Belot, Jean Bonat, Henri Jaillet, Marcel Lathelier, André Martin, Antoine Martin, Joseph Laplace, René Laroche, Jean Rublio Lepri, Benoit Litaudon, Georges Malère, Antoine Michel, Charles Michel, Joseph Michon, Claude Moreau, Pierre Morlevat, Jean Mussetta, Henri Nigay et Jean Noly.
Ils arrivent à Mauthausen trois jours plus tard. Théophile est affecté à Gusen le 28 avril. François le rejoint le 5 juin et retourne au camp central le 2 décembre. S’étant révolté contre un kapo, Jean Alix racontera à son retour de déportation que son copain François a été battu à mort, avec une violence inimaginable. Le jeune Clunisois décède le 18 décembre 1944. Théophile, renvoyé lui aussi au camp central, décédera le 9 mars 1945.
Chaque année, on commémore le souvenir de Théophile et de François à Mont.

Une femme de l’ombre : Marguerite Chevillon
À Cluny, le combat continue. Marguerite Chevillon « Serge », sœur de Théophile, est agent de liaison. À Mont, elle échappe le 18 janvier 1944 à l’arrestation[7]. Après le 6 juin, elle continue ses activités, assurant les liaisons entre l’État-Major F.T.P.F. du château de La Rochette et le camp Jean Pierson et le groupe Hyvernat[8]. Elle décédera en 2010 et on ne trouve aucune trace d’elle aux archives de Vincennes.
Quant à Louise Chevillon, mère de Théophile et de Marguerite, elle meurt dans le bombardement de Cluny le 11 août 1944. Elle a obtenu la mention « Mort pour la France ».
[1] Henri Guinot a interviewé le couple Dutrion en 1968. Nous remercions Patrick Guinot de nous avoir confié cet enregistrement. Voir également : Martinerie, Jean. Éléments pour une approche historique de la résistance en Clunysois et lieux circonvoisins. Beaubery : imp. Turboprint, 2010, 311 p., p. 83.
[2] Comme Pierre Millet qui venait de Saint-Claude, selon le couple Dutrion.
[3] D’après Claudius Dutrion, Cotte est le « bras droit de Jean Renaud. Il ira ensuite « jusqu’à Belfort ». Cotte a donc dû intégrer le 4e Bataillon de choc.
[4] Jeannet, André. Mémorial de la Résistance en Saône-et-Loire. Biographies de résistants. Mâcon : JPM éditions, 2005, 443 p., p. 97. Voir également : Clauzel, Jean La ferme de Crue dans la paix et dans la guerre (1896-1996). Chez l’auteur, 2001, 67 p., p. 42.
[5] André Jeannet, dans son Mémorial de la Résistance en Saône-et-Loire. Biographies de résistants, commet une erreur lorsqu’il indique que les deux jeunes sont arrêtés à Cluny.
[6] http://www.monument-mauthausen.org/le-convoi-du-22-mars-1944. Sur 1218 hommes, 640 sont décédés et disparus en déportation.
[7] Martinerie, Jean. Éléments pour une approche historique…, op.cit., p. 107.
[8] Jeannet, André. La Seconde guerre mondiale en Saône-et-Loire : Occupation et Résistance. Mâcon : JPM éditions, 2003, 350 p., p. 203.