On lit dans The Times of Israël du 5 janvier que la Lituanie rédige un projet de loi exonérant la nation des crimes de la Shoah.
« Pour le Centre Simon Wiesenthal, le projet de loi est « l’étape finale de la tentative de blanchir la participation des Lituaniens dans le meurtre des Juifs du pays par les nazis[1].
Une commission du Parlement lituanien est en train de rédiger un projet de loi déclarant que ni la nation balte ni ses dirigeants n’ont participé à la Shoah, a déclaré un législateur travaillant sur le projet de loi.
Arūnas Gumuliauskas, président de la Freedom Fights and State Historical Memory Commission au Seimas [le parlement de la République de Lituanie], a fait cette déclaration lors d’une conférence le mois dernier, a rapporté le site d’information 15min.lt le 28 décembre.
Le directeur du Centre Simon Wiesenthal pour l’Europe de l’Est, Efraim Zuroff, a protesté contre la législation prévue, la qualifiant de « scandale » et « d’étape finale d’une longue tentative pour blanchir la complicité massive des Lituaniens » dans le meurtre de plus de 95 % des quelque 250 000 Juifs qui vivaient en Lituanie lorsque les nazis ont envahi le pays en 1941.
Le projet de loi a pour intitulé « L’Etat lituanien, qui a été occupé de 1940 à 1990, n’a pas participé à la Shoah », selon M. Gumuliauskas. Il est membre du parti de l’Union lituanienne agraire et des verts du Premier ministre Saulius Skvernelis.
« L’Etat lituanien n’a pas participé à la Shoah parce qu’il était occupé, tout comme la nation lituanienne ne pouvait pas participer à la Shoah parce qu’elle était asservie », a déclaré M. Gumuliauskas lors de la conférence. « Mais des représentants individuels sont évidemment impliqués et c’est à la cour de juger. »
Le US Holocaust Memorial Museum a une vision différente de la Shoah en Lituanie.
« Les Lituaniens ont mené de violentes émeutes contre les Juifs », y est-il écrit. « En juin et juillet 1941, des détachements d’Einsatzgruppen allemands, avec des auxiliaires lituaniens, commencèrent à assassiner les Juifs de Lituanie. »
Zuroff a dit espérer que « le bon sens prévaudra et que la loi sera abandonnée. »
Sur le même sujet, on relira l’article de Yitzhak Arad, traduit de l’hébreu et de l’anglais par Claire Drevon :
« La réécriture de la Shoah en Lituanie d’après les sources lituaniennes », in Revue d’Histoire de la Shoah 2012/2 (N° 197), pages 607 à 660[2].
« Le massacre des Juifs en Lituanie fut perpétré principalement entre juin 1940 et la fin de l’année 1941. Cette période comprend deux phases. L’une d’elles se caractérise par une vague de pogroms et par le massacre de milliers de Juifs au cours des premières semaines de l’occupation allemande, du 23 juin au 8-10 juillet, dont les initiateurs et les auteurs furent en général des Lituaniens. Après les pogroms fut perpétré le massacre organisé qui dura jusqu’aux mois de novembre-décembre 1941. Ce massacre se déroula selon les plans dressés par la police de sûreté allemande (Einsatzgruppe A), mais ceux qui s’y livrèrent furent principalement les milliers de Lituaniens qui se mirent de leur plein gré au service des Allemands.
Des quelque 220 000 Juifs que comptait la Lituanie soviétique à la veille de l’invasion allemande, il n’en restait que 203 000 à 207 000 sous l’occupation allemande : environ 10 000 furent massacrés au cours de la vague de pogroms. Puis 150 000 à 153 000 autres périrent dans la phase des massacres planifiés jusqu’à la fin de l’année 1941. Début 1942, il ne restait que 43 000 à 44 000 Juifs, dont environ 20 000 dans le ghetto de Vilnius (soit quelque 40 % d’« illégaux »), quelque 17 500 à Kovno, 5 000 à 5 500 à Siauliai, et près de 500 à Svencionys (Swieciany)
Cette époque fut suivie d’une longue période de calme relatif et d’une trêve dans les massacres de Juifs jusqu’au printemps-été 1943. »
Dans les fosses de Lituanie, les enfants aussi
Lundi 5 avril 1943, à Ponar.
« [Le train] est enfin arrivé de Vilnius et n’a pas dépassé la maison. Il est donc resté à Ponar […]. Je me suis réveillé très tôt ; calme, déjà jour. Il est 5 h 20. Vers 6 h du matin, la Gestapo arrive dans un camion. Ils ouvrent quatre wagons de marchandises et ordonnent aux Juifs de sortir, mais ils ne bougent pas. Auparavant, ils sont tous cernés par un épais cordon de Lituaniens et de membres de la Gestapo […]. Les jeunes, même des femmes se précipitent pour s’enfuir. Une salve est tirée […]. Les autres Juifs, principalement des enfants et des femmes, avancent […]. Pleurant, gémissant, implorant, tombant aux pieds des Lituaniens et des Allemands qui les rouent de coups et abattent les plus importuns […]. Ils sont conduits jusqu’aux fosses et les Lituaniens, sur le côté, commencent à tirer […].

Cinq personnes déjà, une femme et trois fillettes ont été placées à l’extrémité de la fosse, les jambes à l’intérieur ; un Lituanien leur tire des balles de revolver dans le dos et toutes disparaissent dans la fosse […]. Les Lituaniens jettent les vêtements en tas ; soudain, l’un d’eux tire un enfant du tas de vêtements et le jette dans la fosse ; encore un enfant, et encore un autre. De même, dans la fosse. L’un des Lituaniens, debout au bord de la fosse tire sur ces enfants, comme on peut le voir. De quoi s’agit-il ? Les mères désespérées pensaient ainsi « avoir sauvé » la vie des enfants en les cachant sous les vêtements […]. Il semble que de 7 heures du matin à 11 heures, quarante-neuf wagons de marchandises [de Juifs] ont été abattus ; telle était la composition du premier train de marchandises. Ainsi, en moins de quatre heures, quelque 2 500 personnes ont été assassinées, en fait davantage. Très peu se sont évadées, une cinquantaine […]. Cependant, 50 ou 60 Lituaniens leur donnent la chasse, causant de l’agitation. Finalement, les évadés sont abattus […]. Ce n’est pourtant pas fini.
Un nouveau train est arrivé avec des victimes […]. D’innombrables coups de feu sont tirés ; une femme couverte de sang, en sous-vêtements rampe hors de la fosse avec un hurlement effroyable ; un Lituanien la transperce de sa baïonnette. Elle tombe et un autre l’achève d’une balle tirée à bout portant […]. Une femme avec un enfant dans les bras et deux petites filles s’agrippant à sa robe : un Lituanien commence par les frapper impitoyablement avec une matraque. Un Juif sans veste se jette sur l’homme pour défendre la femme battue. Un coup de feu est tiré – il tombe, presque aux pieds de sa Juive. Un deuxième Lituanien s’empare de l’enfant de la femme juive et le jette dans la fosse ; la femme, comme une démente, se précipite vers la fosse, suivie par ses deux fillettes. Trois coups de feu sont tirés […]. Juste devant la colline près de [chez moi], un jeune Juif tombe. Un Lituanien se précipite sur lui et le frappe énergiquement à la tête avec la crosse de son fusil […]. Vers 4 heures de l’après-midi, c’est fini[3]. »
[1] https://fr.timesofisrael.com/la-lituanie-redige-un-projet-de-loi-exonerant-la-nation-des-crimes-de-la-shoah/
[2] https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah-2012-2-page-607.htm
[3] Kazimierz Sakowicz, Ponary Diary 1941-1943, traduit du polonais. https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah-2012-2-page-607.htm