« Gonflés et patriotes »

« Signes bien visibles d’une opinion publique hostile, à partir de 1943, les graffiti patriotiques tracés sur les murs, les clôtures, les véhicules se multiplient. Ce qui provoque la fureur de l’occupant, l’embarras des autorités, et la jubilation de la population. L’un des sommets de la floraison de ces « taggs » avant la lettre, c’est « le cadeau du Nouvel An » offerts par de jeunes résistants aux Mâconnais, dans la nuit du 31 décembre 1943 au lundi 1er janvier 1944.

Sombre et morose ce cinquième réveillon de guerre. Certes l’armée allemande recule en Russie, et en Italie. Chez nous, l’occupant demeure et se renforce.

Mais, pour les lève-tôt de 7 heures, ce lundi (levée du couvre-feu nocturne), une bonne surprise éclaira la grisaille du quotidien : une floraison, en noir et blanc, d’insignes symboliques de la Résistance, une profusion de « taggs » dirait-on aujourd’hui, en quelques quartiers du centre et surtout sur les murs des bâtiments publics, les poteaux de ciment, les clôtures du chantier de la Baille, du pont Saint-Laurent, les volets clos des magasins et même sur le bitume ou les pavés de quelques rues. Des symboles allant de 10 à 15 centimètres de hauteur, et nombreux. Mais qui peuvent être ces barbouilleurs ? s’exclame-t-on à la mairie, aussitôt en alerte ? En vérité, ce sont surtout des jeunes, de 16 à 20 ans, lycéens ou apprentis, qui ont monté ce coup fumant, pas plus d’une vingtaine mais « gonflés et patriotes.

Parmi eux, Maurice Bonnet, (…) Jacques Farinetti (1926-1944), Marcel Humbert (1928-1944), Paul Roy (1928- ?), Lambert, Jacquet…[1] »

Dans les geôles de la place Bellecour

Selon Marcel Vitte, Jacques Farinetti (18 ans)[2], Marcel Humbert (18 ans)[3] et Paul Roy (16 ans)[4] furent arrêtés à Mâcon entre le 12 et le 17 août 1944[5], suite à la dénonciation de René Gruel un de leurs condisciples de 19 ans, jeune franc-garde mâconnais. Le milicien était déjà impliqué dans la tuerie qui eût lieu à Mâcon le 28 juin 1944. Nous en reparlerons prochainement.

Un autre de leurs camarades, Marcel Gidon (1927-1944)[6] a également été arrêté le 16 août à Mâcon, en possession de tracts.

Jean-Sébastien Chorin qui a rédigé la notice « Lyon (Rhône), place Bellecour, 23 août 1944 » pour le Maitron en ligne complète les informations données par Marcel Vitte : deux autres résistants furent également arrêtés : Antoine Chazal et Jean Brize[7].

Les résistants sont enfermés et torturés dans les locaux de la Milice, au 9 quai Lamartine puis à la caserne Bréart. Ils sont ensuite transférés à Lyon le 22 août[8] et descendus dans les caves du siège de la Gestapo place Bellecour[9].

À 17 heures, ce 23 août, tous ces hommes sont rassemblés dans le hall et sont rejoints par quatre prisonniers juifs[10]. On leur demande alors à tous s’ils sont Juifs ou résistants. « Seuls Jean Brize, Paul Roy et Jean Chassagnette restèrent immobiles[11]. » Les prisonniers juifs sont exécutés en premier, dans les caves de la Gestapo. Puis c’est au tour des résistants. On ne retrouvera jamais leurs cadavres.

Les trois rescapés (Brize, Roy et Chassagnette) furent ensuite libérés.

 Paul Roy verra ainsi assassinés sous ses yeux ses camarades Farinetti, Gidon et Humbert. Il « en sera [écrit Marcel Vitte] marqué à vie et ne pourra le supporter. Il se pendra quelques années plus tard. »

À la recherche des coupables ?

Les familles mâconnaises entament, d’après les témoignages des trois survivants, des démarches pour retrouver les coupables. Plaintes, enquêtes et confrontations se succèdent, sans aucun résultat pour les familles.

Square de la Paix, Mâcon

« Pierre Gidon reconnut Harry Stengritt comme étant l’un des hommes qui participèrent à l’arrestation de son fils. » Oberscharführer, membre de la S.D. de Lyon et donc collaborateur de Barbie, Stengritt fut condamné à mort à Lyon en 1954 mais libéré en 1964[12]. Il avait participé à l’opération de Caluire.

Le principal incriminé -celui qui a assassiné les hommes dans les caves de la Gestapo- serait un certain Giovanni Bongini[13], « officier de l’armée italienne et il s’est trouvé avec son commando composé d’une dizaine d’hommes à Lyon courant 1944. Ses hommes étaient exclusivement de nationalité étrangère, soit espagnols ou italiens[14]. »

« Giovano Bongini ne fut manifestement jamais interpellé », écrit pour terminer J-S. Chorin. Mais a-t-on réellement tout mis en œuvre pour le retrouver ? En 1947, il était déjà également recherché par la Cour de Justice de Grenoble (section de la Drôme), condamné par contumace pour intelligences avec une puissance étrangère[15]. »

« Saluons avec tendresse ces jeunes « taggeurs » insouciants et oubliés, dans la nuit triste du réveillon 1944.

Ils montraient le chemin… » Marcel Vitte.


[1] Vitte, Marcel. Chroniques de Thibon. Mâcon : Imprimerie Buguet-Comptour, 2000, 103 p., pp. 11-12.

[2] Jacques René François FARINETTI est né le 9 juillet 1926 à Bourg-de-Thizy. Il travaillait à la préfecture de Mâcon comme auxiliaire. Il appartenait au réseau Marc Breton.

[3] Marcel André HUMBERT est né le 24 juin 1928 à Mâcon. Il était lycéen et agent du réseau Marc Breton.

[4] Paul Adrien ROY est né le 3 février 1928 à Mâcon. Il appartenait au mouvement Combat.

[5] Marcel Humbert a été arrêté le 15, Paul Roy le 17.

[6] Vitte, Marcel. Chroniques…, op.cit., p. 87. Marcel Auguste GIDON est né le 12 septembre 1927 à Saint-Martin-de-Fugères (Haute-Loire). Il était lycéen et était agent du réseau Marc-Breton depuis avril 1942.

[7] http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article201274

[8] Part également avec eux Delettre, originaire de Thoissey. Il est également assassiné le 23 août.

[9] Jean Chassagnette les rejoint dans leur cellule le 23 août.

[10] L’identité de trois personnes n’est pas connue. On suppose que la quatrième était Isaac Bensignor. http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article201906

[11] http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article201274

[12] http://www.redcap70.net/A%20History%20of%20the%20SS%20Organisation%201924-1945.html/S/STENGRITT,%20Harry.html

[13] Giovanni Abbondio Bongini est né le 29 août 1910 à Buglio en Italie. Sa dernière adresse connue est à Valence, au 3 rue du Jeu de Paume. Il est possible qu’il ait été domicilié auparavant à Romans-sur-Isère où il était propriétaire du café-restaurant place du Maréchal Pétain…

[14] http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article201274

[15] Journal Officiel de la République Française du 25 novembre 1947, p. 11 693.