Après Lucien Peilloud, nous continuons la série des articles consacrés aux élèves de l’École pratique de Cluny entrés en résistance. Aujourd’hui, nous nous intéressons à un élève de la promotion 1907 : Émile Moulinet.
Charles Émile Moulinet est né le 10 mai 1892 à Bonnal dans le Doubs. Est-il orphelin ? On ne connaît -en 1912- que le nom de sa mère : Annette Moulinet. En 1907, la personne à contacter pour le directeur de l’École pratique de Cluny se nomme Francis Brigonnet. Peut-être est-ce son tuteur. Ce dernier a une entreprise à Besançon et il vit au 101 bis rue de Belfort.
Émile a réussi son « certif » le 12 juin 1905 et il était précédemment scolarisé à l’École primaire supérieure de Besançon.
Il entre à La Prat’s de Cluny le 1er octobre 1907. Sa promotion compte 121 nouveaux élèves. Il ne retournera pas souvent à Besançon puisque sa famille lui paie les frais annexes : le blanchissage et le raccommodage. On l’inscrit pour qu’il puisse prendre des bains (ce qui n’est pas le cas de tous les élèves puisque le service est payant). Il est libre d’aller à la messe si ça lui chante alors que certains camarades sont obligés de descendre à Notre-Dame tandis que d’autres n’y mettront pas les pieds, puisque leurs parents l’ont interdit.
Le jeune Émile se prépare aux Arts-et-Métiers mais il ne réussit pas le concours. Peu importe. Dans les années 1912, il exerce la profession de dessinateur au P.L.M.
Puis c’est la mobilisation.

En 1921, il épouse Gabrielle Arnould dont il divorce en 1924. Il se remarie en 1927 avec Léontine Goidet. En 1939, il est rappelé et sera démobilisé le 19 novembre 1940. À cette époque, il est entrepreneur de travaux publics en Alsace mais expulsé par les Allemands.
Le capitaine « Maurice » au G.T.E. de Neuvic
En 1942, il se réfugie en zone sud et entre au service des Eaux et Forêts en Corrèze. Ardent patriote, Émile Moulinet devient alors le « capitaine Maurice ». À partir de cette époque, nous n’avons aucune difficulté à retracer son parcours : nombreuses sont les sources qui nous parlent de lui.
La loi du 27 septembre 1940, “Loi sur la situation des étrangers en surnombre dans l’économie nationale”, crée les “Groupes de travailleurs étrangers” ou G.T.E. qui dépendent du ministère du Travail et de la Production Industrielle. Selon l’article 1er, « Les étrangers de sexe masculin, âgés de plus de 18 ans et de moins de 55 pourront, aussi longtemps que les circonstances l’exigent, être rassemblés dans des groupements d’étrangers s’ils sont en surnombre dans l’économie nationale et si, ayant cherché refuge en France, ils se trouvent dans l’impossibilité de regagner leur pays d’origine. » Les Juifs qui sont « dépourvus de moyens d’existence » sont incorporés dans ces groupes de travailleurs étrangers. À contrario, ceux qui ont des ressources sont regroupés dans des centres de résidence assignée. Ils doivent se faire pointer tous les quinze jours au moins et ils ont le statut de « travailleurs libres ».
Sauver des Juifs
Émile Moulinet, qui a rejoint la résistance par le biais de l’O.R.A., commandera le camp de Neuvic (Corrèze) à partir du 17 juillet 1942. L’administration des Eaux et Forêts gère les camps des travailleurs qu’elle utilise sur ses chantiers. « Le groupe 543 de Neuvic dépend des Eaux et Forêts et comprend environ 250 travailleurs qui sont employés à la construction du barrage de la Triouzoune ou à l’exploitation de la forêt. (…). Au milieu de 1942, les Allemands font une importante propagande dans les C.T.E. en vue de recruter des volontaires pour travailler dans l’organisation T O D T. MOULINET est si efficace dans sa contre-propagande que seuls 5 ouvriers se porteront volontaires. Peu après le groupe est dissout (sous l’injonction des Allemands ?) et remplacé par le groupe 881 qui comprend 30 hommes représentant pas moins de 22 nationalités. Composé d’engagés volontaires de la guerre de 39-40, presque exclusivement de Juifs, il est violemment antifasciste. En novembre 1942, la zone sud est à son tour occupée par les Allemands. MOULINET organise l’enlèvement d’une partie du parc du Génie du camp militaire de la Courtine, pour le soustraire à l’occupant. Il le camoufle dans la région de Neuvic. Le capitaine MOULINET met sur pied un système de repli pour les membres juifs du camp lors des visites allemandes. D’une part il les cache en les affectant à la fabrication du charbon de bois dans les gorges de la Dordogne, d’autre part il convainc six foyers de la commune de Neuvic de cacher des groupes de juifs en cas d’alerte. Les travailleurs étrangers ne sont ni des maquisards, ni des sédentaires ; ils entreront dans le combat le 4 juin 1944 et formeront la 1ère compagnie A.S. de Haute-Corrèze[1].
Au total, sur 250 hommes que regroupait le 881e G.T.E., on compte une centaine de Juifs. Grâce à l’action du capitaine Maurice, seuls dix de ses hommes partiront en déportation.

La libération de la Corrèze, « terre de refuge et de refus »
« Le 4 juin 1944, le capitaine Maurice prendra le maquis à la tête de 250 de ses hommes : la 1ere compagnie de la demi-brigade de l’Armée secrète, du commandant Duret, qui participera aux combats de la libération de la Corrèze. Il a alors 54 ans. « Militant de la Résistance, Émile Moulinet était un officier de valeur d’une grande autorité, souligne une citation à l’ordre de la division. Au combat d’Égletons, il a su faire preuve de courage, d’esprit d’organisation et d’initiative en engageant sa compagnie dans des conditions difficiles[2]. »
Incorporé au 881e G.T.E, Maurice Kremer, en 2000, se souvient : « (…) Il fallait le faire, nous n’avions pas le choix, pas d’autre moyen de survie. On s’est alors mis à saboter des convois, à miner des routes et des ponts[3]. » Jusqu’à la Libération, six travailleurs étrangers, dont trois juifs, perdirent la vie. M. Kremer continuera le combat et s’engagera avec les régiments de marche de Corrèze-Limousin. » Et il « tire son chapeau » à Émile Moulinet : il a su mobiliser ses hommes et leur éviter la déportation.
Juste parmi les Nations
Le 25 juin 2000, l’hommage à Émile Moulinet arrive enfin. Alors qu’il est décédé en 1963, certains -sauvés grâce à lui- se souviennent et entreprennent des démarches auprès de Yad Vashem : Maurice Kremer, Rebecca Dugowson et Jacob Proszowski. À titre posthume, il est reconnu Juste parmi les Nations par le comité de Yad Vashem et la cérémonie est organisée à Neuvic même. É. Moulinet étant sans descendance, la médaille de Juste du « capitaine Maurice » est conservée par le musée de la résistance de Neuvic.
[1] http://le.ran.pagesperso-orange.fr/JournalGuerre/Le%20garage%20Mon%C3%A9ger%20dans%20la%20resistance.pdf
[2] https://yadvashem-france.org/medias/documents/La%20montagne%2023%20juin.pdf
[3] https://yadvashem-france.org/medias/documents/Correze%2028%20juin.pdf