Le nom d’Armand Huyghé de Mahenge figure sur le monument aux morts de Cormatin érigé « À la mémoire des 13 patriotes, résistants, maquisards, victimes de répression nazie : déportés, fusillés, torturés, tués au combat. »

Si l’on connaît bien, dans le Clunisois, les douze autres noms figurant sur le monument, force est de constater que celui du général n’évoque aujourd’hui plus grand-chose et il est impossible de dire -à Cormatin- quelle a été son action dans la résistance. Armand Huyghé de Mahenge décédera pourtant à Buchenwald en 1944. Voici la biographie que l’Africa Museum lui consacre[1].

Quelques repères biographiques  

Armand Huyghé nait à Louvain (Belgique), le 11 juillet 1871. Très jeune, il rejoint l’armée. Après avoir étudié à l’École Militaire, il est promu sous-lieutenant en décembre 1891. Il s’embarque pour le Congo le 6 mai 1893, en qualité de sous-lieutenant de la Force publique. À son arrivée à Boma, Armand Huyghé est désigné pour l’expédition Ubangi-M’Bomu, qui est dirigée par Hanolet et dont le but est d’occuper les territoires du Bomu convoités par les Français.

Parvenu à Zongo, il est désigné pour garder ce poste et s’occuper du ravitaillement de l’expédition. En 1894, son état de santé s’aggrave et il rentre en Belgique pour se soigner. Réintégrant son régiment, il passe à l’École de guerre et obtient son brevet d’État-Major. En 1914, il participe à de nombreux combats, dont ceux de l’Yser. Sa bravoure lui vaut d’être nommé Chevalier de la légion d’honneur et décoré de la Croix de Guerre française. Il est également promu major en février 1915.

Peu après, il repart en Afrique et commande la brigade Nord lors de la première campagne belge en Afrique orientale allemande. Lieutenant-colonel sous les ordres du colonel Molitor, Il participe à tous les combats, jusqu’à la victoire à Tabora le 16 septembre 1916. Huyghé est alors nommé officier de l’Etoile africaine avec palmes. Lorsque 8 mois plus tard, les forces allemandes s’élancent de nouveau en direction de Tabora, Huyghé est à nouveau chargé de commander les troupes coloniales. Ses qualités de commandant permettent aux Belges de repousser les troupes de Von Lettow jusqu’au Mozambique, où les troupes portugaises et anglaises se chargent de les défaire. Son comportement exemplaire durant cette seconde campagne de l’Est africain, dite « campagne de Mahenge » est souligné par les États-majors tant belges qu’anglais, et il est nommé officier de l’Ordre de Léopold avec palmes.

De retour en Europe, le colonel Huyghé est mis à la tête des troupes belges d’occupation à Francfort. Après sa mise à la pension, il est nommé représentant du ministère des Colonies au sein du Conseil d’administration de la Compagnie de chemin de fer du Bas-Congo au Katanga en juillet 1929. En novembre de la même année, il devient commissaire de la Société des mines d’étain du RuandaUrundi. En janvier 1930, il est encore désigné administrateur de la Compagnie des grands élevages congolais.

En 1933, il est anobli par le roi Albert Ier avec le titre de Chevalier. Par après, Léopold III l’autorise à joindre les mots « de Mahenge » à son nom patronymique, en référence à la célèbre campagne de 1917. »

La Belgique, le Congo… et Cormatin

Au début des années 1920, Armand Huyghé de Mahenge acquiert une propriété à Cormatin, au lieu-dit « la Garenne », une maison bourgeoise haut-perchée à droite à l’entrée du village. Pourquoi avoir choisi Cormatin ? Cela reste un mystère. Avec son épouse, Alice (née Hanssens), ils auront trois enfants : Marie « Loulou », Marcel et Roger. Leur garçon Marcel naît d’ailleurs à Cormatin en juillet 1922 et Roger en 1927.

Selon le recensement de 1926, la famille de Mahenge réside en Saône-et-Loire mais on ne les retrouve plus sur les listes de 1932 et 1936. Puis, en 1942, nous savons que Roger est scolarisé à compter d’octobre à La Prat’s[2]. Sa famille s’est donc réfugiée à « La Garenne », le général ayant sûrement dû quitter définitivement la Belgique en 1940 :

« Pour la Belgique qui connaît la Blitzkrieg allemande à partir du 10 mai 1940, la « campagne des 18 jours » se solde par un rapide échec ; le 17 mai, Bruxelles est occupée, puis l’armée belge capitule le 28 mai. Le roi Léopold III, resté en Belgique, conserve très peu de pouvoirs, aidé par ses secrétaires généraux, il préfère affirmer une politique de stricte neutralité dans la suite du conflit tandis que se forme à Londres, en octobre 1940, un gouvernement belge en exil dirigé par Hubert Pierlot et Paul-Henri Spaak. En fait, la Belgique se retrouve très vite intégrée dans la vaste sphère d’influence allemande, perdant l’essentiel de son indépendance[3].

La vie à Cormatin

Entre 1940 et septembre 1943, que se passe-t-il à Cormatin ?

Les archives familiales, comme la mémoire locale, nous apprennent peu de choses. Toutefois, selon Michel Helaers, biographe du général, celui-ci correspond avec la Suisse : Fernand Faivre, Jean de Saussure et Amélie Dauer sont ses interlocuteurs mais ils échangent surtout sur des questions religieuses. Armand Huyghé fréquente également Roger Schutz « Frère Roger », installé à Taizé jusqu’à l’automne 1942 et il se convertira d’ailleurs au protestantisme.

Mais les activités du général s’arrêtent-elles là ?   

Selon certains élèves scolarisés à La Prat’s, ayant fondé une troupe d’Éclaireurs[4], Marie-Louise Zimberlin, les emmenait camper à Taizé et Cormatin. Le général n’a pas peur : sur le toit de « La Garenne » flotte le drapeau belge, se souvient Serge Bavoux. D’après Paul Huot, jeune homme cantonné au chantier de jeunesse de Cormatin et ami de la famille, « la générale » fréquentera en 1943-1944 les familles Delorieux et Pagenel. Or, les résistants Pagenel et Delorieux seront arrêtés en janvier 1944 suite aux dénonciations du traître Garcia[5] et peut-être ont-ils travaillé avec le général de Mahenge.

Quant à Frère Roger, la Zim écrira à sa sœur Sophie qu’il héberge « des gens intéressants ». Une fois passée la ligne de démarcation, il est probable que Frère Roger ait accueilli des prisonniers évadés et des Juifs. Seule certitude selon Frère Charles Eugène de Taizé, Frère Roger a hébergé le couple Stanislas Dziurova, polonais, et Maya Schilling, suisse. « Ils se sont mariés à Taizé. Leur fille, Madame de Kruz, qui vit actuellement au Canada est venue nous rendre visite à Taizé voici quelques années et a fait des recherches. Elle a rencontré Madame Barbier qui a alors retrouvé le certificat de mariage de ses parents à la mairie de Taizé. Madame de Kruz est née à Cluny, à l’Hôtel-Dieu, le 12 février 1943 (certificat de baptême retrouvé). Maya Schilling était suisse allemande. Pour une raison non déterminée (peut-être pour éviter le mot « allemande » dans « suisse-allemande »?) son mari avait déclaré sa femme de nationalité finlandaise. Quelle activité avait Stanislas, sa fille n’en savait pas grand-chose, il était très souvent absent de Taizé et il a disparu en 1945, sa femme n’a plus jamais eu de nouvelles de lui. Avec sa fille, elles ont quitté Taizé à la fin de la guerre pour aller vivre en Suisse puis en Angleterre. Nous n’avions plus jamais entendu parler d’elles pendant des dizaines d’années, jusqu’à cette visite assez récente de Madame de Kruz, en quête de sa propre histoire[6]. »

Mais sous couvert de scoutisme -on se méfie peu de jeunes gens accompagnés d’une professeure cinquantenaire- que se trame-t-il entre La Zim, Frère Roger et le général ? Faute de sources, nous n’en savons rien mais Frère Roger, se sachant surveillé par la Gestapo, repart en Suisse à l’automne 1942 et Armand Huyghé de Mahenge est arrêté le 27 septembre 1943, incarcéré à la prison de Fresnes puis déporté à Buchenwald où il décède en mars 1944.

Selon Frère Émile de la communauté de Taizé qui avait recueilli le témoignage de Geneviève Schutz (sœur de Frère Roger), un « homme douteux » dont elle se méfiait, rôdait autour de Taizé et cherchait à savoir qui était caché au château.  « On peut penser que cet individu rôdait un peu partout et qu’il a continué en ce sens après le départ de frère Roger fin octobre 1942[7]. »

À suivre…


[1] https://archives.africamuseum.be/agents/people/78

[2] Roger était scolarisé auparavant à l’École universelle de Lyon.

[3] https://books.openedition.org/irhis/417?lang=fr

[4] Voir l’article « Le lieutenant Albert Schmitt (1915-1944) »

[5] Voir l’article « Cruzille, Cormatin, Blanot : 23 janvier 1944 » 

[6] Échange avec Frère Charles Eugène de la communauté de Taizé, 18 mars 2017.

[7] Idem.