On connaît bien l’ouvrage que l’Amicale des anciens du 4e Bataillon de choc a publié en 1974 pour « laisser une trace de ce qu’[ils ont] vécu, afin de prouver que la jeunesse de France est capable d’écrire quelques belles pages de l’histoire de notre Pays » : « Fault pas y craindre : Histoire du Commando de Cluny, 4e Bataillon de choc. »
Beaucoup moins connu est l’ouvrage très intéressant rédigé par Alexandre Kostanda et Joannès Benay : « Les transmissions du maquis au 4e bataillon de choc : Bourgogne, Franche-Comté, Alsace, Palatinat, Wurtemberg[1]. » Ce livre est maintenant introuvable sur le marché mais disponible à la bibliothèque de Lyon. Nous en fournissons donc ici des extraits et nous le tenons à la disposition des lecteurs qui seraient intéressés par le sujet des transmissions du 4e Bataillon de choc.
Pour notre part, nous avions recherché ce fascicule car nous avions été intrigués par le personnage de Kostanda, résistant méconnu à Cluny. Pour beaucoup de Clunisois, Kostanda, c’est surtout le potier-céramiste installé au Champ de Foire après la guerre pour quelques années. D’ailleurs, combien de familles gardent encore un pot, un plat signé Kostanda au fond d’une armoire sans savoir que ce jeune Russe arrivé en France dans les années 1920 est devenu célèbre à Vallauris ? Bon, nous, nous n’avons pas eu de chance puisque le seul plat déniché dans une brocante a fini malheureusement cassé en mille morceaux.
L’exil
Alexandre Kostanda est né à Tuchol en Pologne le 24 décembre 1921, dans le train qui amenait sa famille de Russie en France ; son grand-père était officier du tsar et, comme 400 000 de ses concitoyens -les Russes blancs- (dont les plus célèbres : Henri Troyat, Elsa Triolet, Macha Méryl, Marina Vlady, etc.), il quitte son pays après l’abdication du tsar.
« Nous avons dû quitter Kislovodsk dans des conditions assez dramatiques, c’est à dire en laissant tout, tout, tout. On est parti sans une brosse à dents. Parce qu’il y avait d’abord l’armée blanche. L’armée blanche ayant dû reculer, ce sont les communistes qui sont venus, et il y a eu des représailles très graves. On a pendu des gens, on les a fusillés, on a massacré, donc c’était vraiment pas très drôle[2]. »
Beaucoup de Russes blancs arriveront à Paris et gagneront leur vie en devenant concierges, chauffeurs de taxi, etc. Après la Lorraine puis Paris, la famille Kostanda part pour le Sud de la France. Excellent élève, Alexandre poursuit ses études à Cannes.
Puis les Kostanda s’installent à Vallauris en 1929. La vie est dure pour cette famille qui a connu l’oisiveté et vécu dans l’opulence à Saint-Pétersbourg : la grand-mère se place comme gouvernante dans une famille bourgeoise tandis qu’Alexandre opte pour l’apprentissage. Il fait ses classes comme décorateur à Vallauris chez Louis Giraud puis il donne des cours de céramique à Biot. Après juin 1940 ou peu après, intéressé par la radio, il prépare son entrée à l’École de la Marine Marchande à Marseille mais rate l’examen écrit, faisant l’apologie du développement de la Marine Marchande sous le gouvernement de Pétain alors que son jury est composé de Gaullistes !
Kostanda à Mâcon
On retrouve ensuite Kostanda à Mâcon. Ville alors très vivante au point de vue culturel, le mouvement « Jeune France[3] » y a installé un atelier de céramique que Kostanda anime. À « Jeune France », il côtoie notamment la céramiste Jacqueline Bouvet (1920-2009), fille de Jean Bouvet, professeur à l’École normale, assassiné chez lui par la milice le 28 juin 1944. Nous en reparlerons. En novembre 1942, le régime de Vichy trouve le mouvement « trop remuant » et l’interdit dans toute la France. Il semble qu’à Mâcon, « Jeune France » n’ait pas failli à la règle : « Ses dirigeants sont dans les réseaux de la résistance et il abrite parfois des réfractaires au travail obligatoire en Allemagne[4]. » Quant à Kostanda, il date son engagement dans la résistance de septembre 1941, lorsqu’il réside donc déjà à Mâcon.
Avant la dissolution du mouvement « Jeune France », Kostanda est incorporé, puisqu’il fête ses vingt ans en décembre 1941, aux Chantiers de Jeunesse[5], peut-être celui de Cormatin (groupement 4 « Vauban »). Puis, en 1944, il travaille comme formateur à l’atelier de formation professionnelle de céramique de Mâcon, installé aux Beaux-Arts. Ses élèves, venus tout droit des caves de Saint-Germain à Paris, s’appellent Wladislaw Palley, Louis Dangon, André Boutaud et Rodet (ou Raude)[6].
Rejoindre le maquis
De l’engagement d’Alexandre Kostanda en 1941 jusqu’à son entrée au maquis, on ne saura pas grand-chose : « J’étais en réserve et on a fait appel à moi car les maquis n’avaient pas suffisamment d’armes. J’avais la possibilité de rester à Mâcon. » On est donc venu le solliciter pour qu’il rejoigne le maquis.

Le lieutenant Schmitt, celui qui deviendra son grand ami, l’envoie au camp des Batillots : « N’ayant eu aucune formation de maniement des armes, j’ai dû faire mes classes très rapidement. Dès lors, j’ai participé à de nombreuses opérations, d’ailleurs, blessé le 11 août 1944 au Bois Clair lors du combat le plus important contre les troupes allemandes. »
Le Commando de Cluny
La suite ? En septembre 1944, il s’engage dans le Commando de Cluny à Bergesserin. Puisqu’il a des compétences en transmissions, il suit un stage d’officier radio : « J’ai étudié tous les types de matériels de transmissions américains, y compris leur dépannage. Ce stage dura près d’un mois. » Puis, raconte-t-il, « Je me suis retrouvé dans la CHR et c’est seulement à Belfort qu’on m’a désigné pour former une section de transmissions qui était en projet. On est resté au moins un mois à Belfort où on a rétabli les liaisons téléphoniques de la ville. J’ai donc été désigné comme Officier de Transmissions avec la responsabilité de la section et de l’organisation des transmissions dans le Commando. Sur la demande des chefs des Commandants de Compagnies, nous avons formé ceux qui nous avaient été désignés en vue d’être nos futurs correspondants. »
Kostanda à Thann
[…] on a eu beaucoup de difficultés car en permanence les tirs de mortiers coupaient nos lignes. Il fallait jour et nuit être en alerte, prêts à les réparer pour assurer les liaisons à tout prix par une température souvent inférieure à -25°. Non seulement nous étions la cible de l’ennemi mais nous étions parfois tirés comme des lapins par nos propres troupes. Je me souviens qu’un camarade de chez nous s’apprêtait à me tirer dessus. J’ai entendu le déclic du chien de son fusil mais pas de détonation. Son fusil était enrayé, heureusement pour moi. Je me suis retourné en l’agonisant. Je ne me souviens plus de son nom. Je me demande comment on a pu s’en sortir vivants dans cette section, c’est peut-être ça la baraka.
Il fallait se traîner par terre dans la neige pour tester les lignes, épissurer, chatertonner, par un froid tel que nos doigts engourdis ne répondaient plus et que nous devions nous y reprendre à plusieurs fois. Souvent nous étions encouragés à le faire plus rapidement car les mortiers explosaient autour de nous. Nous avions des postes radio qui ne furent pas d’une grande utilité car ils ne pouvaient assurer pratiquement que des liaisons à vue. La moindre maison ou obstacle quelconque empêchait la liaison. Les Spahis avaient des postes plus puissants qui portaient à grande distance. Pour les liaisons téléphoniques, les Spahis disposaient de Jeeps qui étaient équipées de dérouleurs automatiques de câbles. Ils pouvaient effectuer des liaisons de plusieurs kilomètres en un temps record. Quant à nous, on avait des rouleaux de 500 mètres et il fallait trois hommes pour dérouler un câble. Deux hommes portaient le rouleau chacun tenant un tube de chaque côté du rouleau, le troisième tirait sur le câble ou bien on accrochait le câble où l’on pouvait et les deux hommes tenant le rouleau déroulaient le câble (dans ce cas deux hommes suffisaient). La fatigue des hommes et le temps passé à ce travail fit que l’on utilisait des lignes abandonnées. On utilisait aussi les lignes sur poteaux, mais c’était bien souvent pour les réparer que nous montions aux poteaux. Il y en avait qui prenaient des risques en utilisant des échelles ce qui était très dangereux. Pour être en sécurité il fallait utiliser des griffes et une ceinture de sécurité. A Rouffach où nous avons cantonné, les liaisons étaient assurées au moyen des lignes PTT. Je me souviens seulement que Benay est monté sur un paratonnerre au Château de Vissembourg, pour y installer une antenne radio. Il s’est trouvé accroché au-dessus du vide car deux boulons de la base sur cinq ont lâché. Il a pu avec beaucoup de précaution descendre de ce paratonnerre sans avoir installé l’antenne radio qui le fut finalement à un endroit moins dangereux.
1946 : retour à la vie civile
Démobilisé le 1er janvier 1946, Kostanda retourne à la vie civile et s’installe dans un atelier de poterie au Champ de Foire. C’est dans son atelier que Frère Daniel (Daniel de Montmollin) de Taizé viendra faire son apprentissage de tourneur pendant quelques mois. Selon certaines sources qui ne peuvent pas être vérifiées, il semble que Frère Roger connaissait lui-même Kostanda « au temps de la résistance », c’est-à-dire avant son départ en Suisse en novembre 1942 (Frère Roger, de Taizé par Sabine Laplane).
Pour Daniel de Montmollin, cette rencontre avec Kostanda en novembre 1949 sera déterminante puisqu’il introduit définitivement cette activité dans la communauté.

Kostanda dirige également le centre prémilitaire de Cluny et se marie avec une jeune fille de la ville et dont la mère est partie en déportation en février 1944 : Melle Sauzet. Ils auront deux enfants.
En 1950, il repart à Vallauris où il travaille chez son ancien maître d’apprentissage, Louis Giraud. À la même époque Picasso s’installe aussi dans les Alpes-Maritimes. Dans son atelier Madoura séjourneront d’autres grands noms dont Chagall et Matisse. C’est l’âge d’or de Vallauris et la ville, accueillant mult artistes (Capron, Derval, Blin, etc.), devient la « cité des 100 potiers. » Kostanda ouvrira en 1953 son propre atelier avec sa mère Irène et fera toujours venir sa terre de Cluny, de l’argile à grès, qui supporte des températures de cuisson plus élevées. Il la mélange avec la terre de Vallauris.
Epilogue
« En 1949, je rejoignis Vallauris où j’ai consacré tout mon temps à la poterie. Aujourd’hui, c’est mon fils qui l’a reprise.
Je suis très occupé par la vie associative.
Commissaire Général de la Biennale de la Céramique Internationale, Président de l’Association des Anciens Combattants de la Résistance, Vice-Président de l’Union Française des Anciens Combattants, Membre de l’Académie Internationale de la Céramique d’Art.
Nous conservons des liens étroits entre nous grâce à notre amicale et nos huit sections régionales représentées au Conseil d’administration.
Chaque année, le 17 juin, la section de Paris présidée par Yvan GERVAIS participe avec les Commandos et Bataillons de Choc au défilé sur les Champs-Elysées et au ravivage de la Flamme du Soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe. Le 20 janvier, c’est la répétition du 17 juin mais réservée exclusivement au 4′ Bataillon de Choc.
A 1’occasion de ces cérémonies où participe une délégation des sections, on se retrouve autour d’une table avec le Général Victor LOIZILLON, le Général Jean PROST et par fois le Professeur PONTHUS qui nous fait un tour d’horizon magistral sur ce qui se passe au Liban. Bien entendu, notre trésorier National, Robert BREJOT, toujours aussi dynamique et dévoué est de la partie, ainsi que les épouses et amis invités.
Enfin, chaque membre reçoit le journal trimestriel « LE COMBATTANT de SAONE ET-LOIRE » dans lequel nous avons une page réservée.
C’est le moment de conclure et de nous adresser à nos familles afin qu’elles se souviennent des moments difficiles que nous avons vécus mais que nous ne regrettons pas.
QUE SE PERPÉTUE LE SOUVENIR DU COMMANDO DE CLUNY ET DU 4•BATAILLON DE CHOC, DE SES OFFICIERS ET DU GÉNÉRAL DE LATTRE DE TASSIGNY.
Aspirant Alexandre KOSTANDA. »
[1] BM Lyon, Part-Dieu, cote DLA 70 428. Kostanda, Alexandre et Benay Joannès. Les transmissions du maquis au 4e bataillon de choc : Bourgogne, Franche-Comté, Alsace, Palatinat, Wurtemberg. Grenoble : imp. Des deux ponts, 1994, 42 p.
[2] Témoignage de Serge, lycéen : https://www.franceculture.fr/histoire/revolution-de-1917-ce-que-sont-devenus-ces-russes-exiles-en-france
[3] Fleury, Laurent. Le TNP de Vilar : Une expérience de démocratisation de la culture. Rennes : PU Rennes, 2007, 278 p., pp. 93-96. « Jeune France », mouvement qui a existé de nov. 1940 à mars 1942, a été créé par Pierre Schaeffer. Il se présente comme un mouvement de méthodes éducatives et de techniques et déclare ne s’ajouter ni aux mouvements de jeunesse, ni à l’école, mais se mettre à leur service. Le mouvement veut « contribuer au développement de toutes les initiatives des jeunes en matière d’art par le service d’entraide, dans les centres régionaux. »
[4] https://jjlerat.fr/node/67. Le mouvement est dirigé par M. Martin. Pour les jeunes gens échappant au S.T.O., il peut s’agir de Wladislaw Palley, Louis Dangon, André Boutaud et Rodet (ou Raude).
[5] Le service militaire étant supprimé en 1940, les jeunes gens en âge de l’effectuer doivent faire un stage de six mois dans un chantier de jeunesse. « L’idée du général Joseph de La Porte du Theil est alors d’assurer la formation physique et morale des jeunes qui lui sont confiés par une vie commune dans des camps en plein air, à la manière du scoutisme, et par l’accomplissement de travaux d’intérêt général, notamment forestiers, dans une ambiance militaire. Les jeunes sont encadrés par des officiers démobilisés, ainsi que par des aspirants formés pendant la guerre de 1939-1940. » Ils seront tous dissous le 10 juin 1944 mais le chantier de Cormatin sera transféré en oct-nov. 1943 à Paray-le-Monial avant d’être dissout le 30 novembre 1943.
[6] Ils s’installeront en 1945 à Accolay dans l’Yonne et ils sont connus comme les « potiers d’Accolay ». http://potiersdaccolay.canalblog.com/archives/2015/04/09/31863276.html