Dans un récent ouvrage paru aux Presses Universitaires de Franche-Comté, le sociologue Jean-Claude Barbier présente une biographie de son grand-oncle, le préfet Alfred Golliard. Cette recherche est le fruit de vingt années de travail.
Bien entendu, nous avons parcouru attentivement l’ouvrage puisque le sociologue allait y parler de Cluny et de la résistance.
Quelle déception ! Si nous avons beaucoup appris sur le corps préfectoral, nous restons néanmoins sur notre faim pour le reste. Toutefois, J-C, Barbier nous prévient à la page 267 et il le rappellera plus loin : « On ne cherche nullement ici à établir une histoire de la Résistance à Cluny, probablement impossible encore aujourd’hui, comme nous le montrerons en passant1. » Néanmoins, il se propose, quelques lignes plus loin de faire « apparaître quelques traits significatifs, peu souvent abordés dans l’histoire de la Résistance, et en second lieu sur quelques personnages de Cluny, situés dans le mouvement résistant plus large2. » L’auteur va donc bien parler de la résistance et nous sommes pressés de dépasser la page 267.
Sans retracer ici la carrière du préfet Golliard, venons-en vite aux différents points qui nous intéressent.
Nommé préfet du Jura en 1934, Alfred Golliard (1881-1944) est révoqué par le régime de Vichy en 1940. Il s’installe alors avec sa famille à Cluny, ville qu’il connaît bien et où des membres de sa famille ont vécu : « La famille, bien qu’originaire de Bourg-en-Bresse, alliée avec la famille Pérousset, est considérée « de Cluny » depuis la mort du père du préfet3. »
Son épouse Renée et lui-même vivent au 42 rue de la Liberté.

Selon le sociologue, l’ancien préfet du Jura entre en résistance fin 1941, début 1942. Il tient l’information de Germaine Moreau, avec laquelle il s’est entretenu en 19984.
Le faux attentat contre Jean Renaud
Ainsi, quand Germaine Moreau lui indique que le préfet Golliard a rencontré son mari dans leur café du Champ de Foire la première fois, c’était à l’occasion d’une lettre à rédiger à Bizet, le « responsable de la Légion à Cluny » : « On avait tiré sur Jean Renaud et A. Golliard a participé à l’écriture d’une lettre à Bizet (qui était à l’époque le responsable de la Légion, à Cluny) avec mon mari et Jean Renaud5. » Si c’est bien la première fois que les trois hommes se rencontrent, nous ne sommes ni en 1941, ni en 1942, mais en octobre 1943. Nous l’avons écrit dans une série d’articles6 : après l’assassinat du milicien Giraud en gare de Genouilly, Jean Renaud avait organisé un faux attentat contre lui-même pour détourner les soupçons7. Mémé Broyer de Manziat avait pénétré dans son magasin, lui avait tiré dessus et l’avait bien entendu raté. Pour remettre encore plus les pendules à l’heure, une lettre avait été également envoyée à Bizet.
Tous les résistants de Cluny avait eu connaissance du faux attentat et il est curieux que G. Moreau ne s’en souvienne pas en répondant aux interrogations du sociologue. Notons qu’elle fait encore erreur lorsqu’elle signale que Bizet est président de la Légion alors qu’il est président du Comité d’entraide aux prisonniers.
Le préfet Golliard, si nous nous en tenons comme J-C. Barbier au témoignage de Germaine Moreau, entre donc en contact avec Antoine Moreau et Jean Renaud en octobre 1943. L’auteur est parti d’un seul témoignage. Pourtant, il est conscient du problème qui se pose à tout chercheur : « Localement, les témoignages ne manquent pas (…) ils sont précieux, et ils ont aussi des défauts majeurs, comme celui, dans un petit milieu, de répéter les erreurs factuelles8. »
Loin de nous l’idée, entendons-nous bien, de dire que le préfet Golliard n’est pas entré en résistance dès la fin 1941. Nous disons simplement que le témoignage de G. Moreau ne peut pas en préciser la date exacte.
Frenay à Cluny, un inconnu ?
Prenons un deuxième exemple. Jean-Claude Barbier affirme que Frenay, réfugié à Cluny avec B. Albrecht chez les Gouze, « peut à la fois résider en tant que tel [c’est-à-dire en tant que responsable de « Combat »] pendant l’année 1943 (entre mars et mai) et n’avoir aucun contact direct, autre que sous un pseudonyme lié à son hébergement, avec le noyau de résistants dont on parle ici. (…) Les membres du réseau à Cluny ignorent pourtant que son chef habitait la ville9. »
Et bien non. Frenay était peut-être un inconnu pour la plupart des résistants clunisois mais, d’après Marie-Louise Clément, Marie-Louise Zimberlin a reçu chez elle Frenay et B, Albrecht « même si ceux-ci [n’étaient] pas ses chefs » au sujet de « l’Anglais10 », comprenons Tiburce, que les deux Marie-Louise ne portaient pas dans leur coeur.
Les archives Zimberlin
L’auteur pense qu’il « est difficile de repérer, parmi ce qui est considéré à Cluny comme les archives de Melle Zimberlin, les papiers authentiques et les copies. En effet, ces archives ont fait l’objet d’une intense utilisation, laquelle a mélangé des documents d’origine diverse, dans le plus grand désordre11. » Comment est-il possible de se prononcer quand on n’a pas consulté ces archives, ça, c’est une vraie question !
Et lorsque c’est le cas, on brode autour du personnage. Voilà La Zim en contact à Lyon avec « Libération et Combat » alors qu’elle n’a participé qu’à la distribution de la presse, occasionnellement, de ces deux mouvements. Poursuivons. « Elle est peut-être en liaison avec Julien Simyan, censé être le responsable de Combat [précisons à Cluny] en 194112 », alors qu’aucune source n’atteste de relations de ce type. La Zim connaissait peut-être Simyan mais était absolument opposée politiquement au mouvement « Combat ». Précisons aussi que les Simyan ne figurent d’ailleurs pas sur la liste des invités officiels de la cérémonie qui eût lieu en 1945 à La Prat’s en mémoire de M-L. Zimberlin.
On lit encore que La Zim participe sans doute « à « la distribution de tracts », ce qui est, selon nous, exact, mais également, page 311 : « à des actions de sabotage dans la ville contre certains magasins considérés comme appartenant à des partisans du régime ou à des collaborateurs. » Si l’auteur peut nous dire où il a trouvé l’information en note de bas de page13, nous sommes preneur. On savait que La Zim parcourait la campagne à la recherche de terrains de parachutage mais – elle a quand même 55 ans en 1944- qu’elle ne participait pas à leurs réceptions. Alors de là à l’imaginer en train de poser des « bombes », factices ou non, la nuit en plein Cluny…
Tous des Cocos ou presque !
On a déjà écrit sur l’histoire de la résistance à Cluny mais tout serait bon à jeter aux orties ou presque. L’auteur cite les ouvrages de Jean Martinerie qui appartient aux « travaux d’amateurs d’histoire de l’Occupation », il égratigne copieusement ceux d’André Jeannet et de Marie-Hélène Velu comme la thèse de Robert Chantin- dans lesquels il y a trop de partis pris selon lui. Tous ces auteurs, amateurs ou non, seraient hostiles au S.O.E. qui est la « centralité même » de la résistance à Cluny et « (…) une partie importante de la littérature historique et des témoignages liés comporte un biais net en faveur du parti communiste, et, par association, une méfiance vis-à-vis de l’action des services britanniques (…)14. »
Parti pris ? On pourrait retourner la question à l’auteur et lui demander pourquoi il passe sous silence l’existence du groupe de résistants composé, à Cluny, par Doridon, Maurice, Angebaud, etc. Tous des Cocos, bien sûr.
Agents P1, P2 …?
Revenons au 14 février 1944. Jusqu’à la parution de l’ouvrage de Jean-Claude Barbier, il était souvent écrit ou dit que certaines épouses de résistants avaient été arrêtées à la place de leur mari, le jour de l’opération conduite par la SIPO-SD.
Or, pour l’auteur, il en est autrement. Sachant que Joseph Marchand établit après la guerre un tableau des agents du réseau Tiburce et dans lequel figurent les noms des quatorze femmes déportées, le sociologue en arrive à la conclusion qu’elles furent toutes « des résistantes au sens complet ».
Un courrier des renseignements généraux du 19 février 1944 distingue pourtant bien, au lendemain de l’opération, quelles Clunisoises ont été arrêtées en l’absence de leur mari :

Et puis, certains Clunisois au clair aujourd’hui avec cette histoire, le diront franchement : déclarée « agent de renseignements » par Joseph Marchand, au sujet de Madame X dont nous tairons le nom, voilà ce que son gendre en dit : « Je réaffirme que ma belle-maman n’a pas fait de résistance à proprement parler. Ni ses infortunées camarades, quoi qu’on en ait prétendu parfois. Ce qui ne porte pas atteinte à l’admiration qu’on leur doit. »
Reprenons les témoignages que les déportées ont légué lors de l’écriture de l’ouvrage : « Le pire c’est que c’était vrai ». Que disent « ces agents du S.O.E » au sujet de leur arrestation ?
Chez Jean Renaud, qui cherche-t-on ? le mari : « Où est votre mari? » Jean Renaud n’étant pas présent, c’est Henriette qui part en déportation. Georgette Colin dira : « Nous avons vite compris qu’ils venaient arrêter mon mari. » Gilberte Cugnet entend les Allemands dire à sa mère : « Où est votre mari ? (…) Votre mari n’étant pas là, nous avons ordre de vous arrêter. » Raymonde Fouillit : » (…) mon père a pensé qu’il n’y avait pas de raison que sa femme soit arrêtée à sa place. »
Cela ne sert à rien de multiplier les exemples puisque les Clunisoises répéteront toutes qu’elles ont été arrêtées à la place de leur époux. Aucune, mis à part un peu Germaine Moreau, ne parlera de son action en faveur de la résistance.
Loin de nous l’idée de dire que les Clunisoises n’ont pas fait de résistance. Lorsque Madame Lardy distribue dans son café en 1942 des cocardes tricolores, c’est bien un acte de résistance. De là à être enregistrée comme agent dans le réseau S.O.E., il y a de la marge. Ainsi le nom de Madame Lardy ne figure pas sur cette liste, contrairement à ceux d’autres Clunisoises, tout simplement parce qu’elle n’a pas été déportée.
Cette lacune apporte deux commentaires. Nous l’avons dit à plusieurs reprises dans certains articles : il faut se méfier des dossiers d’homologation. Ce qui met la puce à l’oreille avec la liste « Marchand », premièrement c’est qu’il valide beaucoup de services de déportés. Deuxièmement, ce sont les dates d’enregistrement d’entrée dans le réseau S.O.E. Pourquoi Marchand a-t-il homologué tant de services à la date de janvier 1944, soit un mois et demi seulement avant l’opération de la SIPO-SD ?
En guise de conclusion ?
Pour avoir une quelconque légitimité, faut-il ne pas avoir sa carte au Parti et être Clunisois depuis plus de quatre générations puisqu’il y a toutes « ces personnes étrangères à la ville qui, en s’occupant de la résistance et de l’époque de l’Occupation, cherchent à en bénéficier pour leur réputation personnelle15 ? »
L’ouvrage de Jean-Claude Barbier nous laisse sur notre faim. Néanmoins, nous sommes d’accord sur un point : il faudra encore attendre pour qu’un historien conduise « une investigation plus scientifique16 » et écrive ce pan de l’histoire de Cluny.
Quant à savoir si aujourd’hui encore « le contrôle politique de la mémoire par telle ou telle partie de la municipalité est un enjeu électoral majeur pour une partie des électeurs », et bien on verra aux prochaines élections si cela pèse réellement dans la balance après avoir célébré récemment les soixante-quinze ans de la bataille du 11 août 1944…

Marta, la fiançée du lieutenant Schmitt, « un héros marginalisé » (?) dans l’histoire de la résistance clunisoise selon J-C. Barbier.
1 Barbier, Jean-Claude. La République jusqu’à la mort. Alfred Golliard, préfet, résistant, déporté. Presses universitaires de Franche-Comté, 435 p., p. 267. À la page 306, l’auteur le rappelle : « Répétons qu’il n’est pas dans notre pouvoir de proposer une histoire de cette résistance. » Directeur de recherche CNRS émérite au Centre d’économie de la Sorbonne (Université Paris I), historien et sociologue du travail et de l’emploi, Jean-Claude Barbier est spécialiste des politiques publiques et de la protection sociale et de l’intégration européenne.
2 Idem., p. 267.
3 Idem., p. 259.
4 De surcroît, Alfred Golliard est homologué dans le réseau Tiburce Dichter par Joseph Marchand en tant qu’agent de renseignements, comme l’indique l’annexe 6, p. 401.
5 Barbier, Jean-Claude. La République…, op.cit., p. 267. Page 278, G. Moreau signale le rôle du préfet Golliard au sein de la résistance clunisoise : « Il servait à amener des gens auprès de nous, pour les convaincre de la justesse de l’activité gaulliste ; agent de liaison, il ne participait pas directement aux actions (par exemple, de parachutage.) »
6 Voir la série d’articles sur le milicien Giraud.
7 Afin que les soupçons, au sujet de l’assassinat de Giraud, ne se portent pas sur les résistants de Cluny et notamment sur le chef Renaud, celui-ci organise un faux attentat contre lui-même.
8 Barbier, Jean-Claude. La République…, op.cit., p. 284.
9 Idem., p. 269.
10 Courrier de Marie-Louise Clément à Sophie Zimberlin, 19 avril 1945.
11 Barbier, Jean-Claude. La République…, op.cit., p. 311.
12 Idem.
13 On remarque parfois des notes de bas de page succinctes. Ainsi, au sujet des familles juives réfugiées à Cluny : « Voir les travaux de Karine Rullière », sans mention précise du travail de l’historienne qui a pourtant réussi à dévoiler tout un pan méconnu de l’histoire de Cluny avec la famille Oferman.
14 Barbier, Jean-Claude. La République…, op.cit., p. 284.
15 Idem., p. 309.
16 Ibidem.,