Un autre Doussot !

On peut lire dans La Dépêche du 18 août dernier :

Ex gestapiste à Paris, Pierre Loutrel, alias « Pierrot le fou », a été recruté par le réseau Morhange pour exécuter deux chefs miliciens à Toulouse le 12 août 1944, une semaine avant la Libération de Toulouse.

L’ordre de mission de Pierre Loutrel, une des pièces prouvant que le truand avait été recruté par la Résistance.

Pierrot gestapiste

Rien ne prédestinait ce fils de fermier sarthois à devenir le premier « ennemi public N° 1 ». Pierre Loutrel dit Pierrot le Fou en raison de son comportement imprévisible, surtout quand il a bu, fut recherché par toutes les polices de France en 1946 pour une série de braquages meurtriers avec son Gang des Tractions Avant. Mousse à 16 ans, petit voyou à Marseille, ancien du Bat’d’Af’de Tatouine, camp militaire disciplinaire, Pierre Loutrel rejoint en 1941 la Gestapo française avenue Foch à Paris et « travaille » avec la terrible Carlingue de Bonny et Lafont, rue Lauriston : marché noir avec les Allemands, chasse aux Résistants et spoliation des Juifs.

Résistant en août 1944 à Toulouse

En ce mois d’août 1944, les Alliés viennent de débarquer en Normandie. Les agents du réseau clandestin Morhange sortent de l’ombre pour chasser gestapistes et miliciens qui multiplient représailles, arrestations et tortures.

Marcel Taillandier et Achille Viadieu, les deux têtes du réseau, ont été abattus par les policiers allemands, en juin et juillet. Pierre Rous, n° 3 devenu n° 1, recherche un homme de main pour exécuter Jean Cavalerie, ex de la LVF, Légion des Volontaires Français qui a combattu aux côtés des nazis, responsable, quelques jours auparavant, de l’exécution de 20 citoyens innocents à Figeac, pris au hasard, et de l’arrestation de 100 autres destinés à la déportation. Il lui faut un homme sûr, froid, qui n’a pas peur de tuer.

Dans un bar toulousain, Pierre Rous est mis en relation avec un jeune homme de 28 ans, plutôt petit (1m68) et revêtu d’un complet chic. Pierre Loutrel est un truand notoire, ex-gestapiste de l’avenue Foch à Paris, sans doute descendu à Toulouse pour se faire oublier, voire changer de camp opportunément. Les gens de Morhange le savent, mais n’ont pas le choix.

Exécution du chef milicien Jean Cavalerie

Celui que le milieu parisien a surnommé « Pierrot la voiture », vu son goût pour l’auto, et notamment la Citroën Traction, est bon pilote. Et Pierre Rous a besoin d‘un chauffeur de sang-froid. C’est ainsi que celui qui allait devenir, deux ans plus tard, Pierrot le Fou, participera, le 12 août 1944, à l’exécution du chef milicien Jean Cavalerie, à la terrasse du Café des Sports, près du Monument aux Combattants, et de son adjoint.

Une semaine plus tard, le 19 août, Toulouse est libérée. Le terrain a été préparé notamment par les actions du réseau Morhange. Loutrel a-t-il participé à d’autres coups de main ? Le 24 août, un ordre de mission permanent, sauf-conduit national, lui est en tout cas délivré par les services spéciaux de l’armée, sous le pseudo de lieutenant Dericourt. Un « lieutenant » qui ne sera pas inquiété à la Libération. Mais c’est une autre histoire.

Le Gang des Tractions Avant

Arrêté pour extorsion, il est aussitôt libéré de la prison Saint-Michel. De février à novembre 1946, l’équipe qu’il forme avec ses amis de la Gestapo française mais aussi Jo Attia, qui revient du camp de Mauthausen, ou le Toulousain, commet une quinzaine d’attaques à mains armées, faisant plusieurs tués et récoltant l’équivalent de 6,5 millions d’€ d’aujourd’hui.

Blessé au ventre, peut-être par lui-même, après le hold-up raté d’une bijouterie à Paris, il meurt et est enterré par ses complices sur une île de la Seine. Sa mort ne sera connue que 3 ans plus tard. Il a inspiré au cinéma le personnage de Robert le Dingue joué par Alain Delon dans « Le Gang » de Jacques Deray.

Philippe Emery