Même avec ses galons, le « capitaine Lucien » n’a pas laissé de côté le train de vie qu’il connaissait avant le 6 juin 1944. En août 1944, sa compagne Renée Combe acquiert à La Truchère une belle villa. On y mène la grande vie, d’après le clunisois Antoine Moreau. Pour cela, il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Et Doussot en possède. Lors du procès, on se posera même la question de savoir s’il est revenu deux fois à Lyon avant septembre 1944 « dans des conditions les plus suspectes1. » A-t-il ainsi participé à l’arrestation de la famille juive Anav et « visité » leur appartement ? Est-il revenu à Lyon avec une lessiveuse remplie de billets ? Avec Doussot, tout est possible, même en août 1944.
Le 5 septembre, Doussot part à Lyon
À Lyon, au moment de la Libération, il y a ceux qui n’ont pas oublié Lucien la Gestapo. Parmi eux, il y a les résistants du groupe de la rue de l’Université (dont Roger Martinet) et Madeleine Bonnet, l’épouse de Lucien Bonnet qui a été fusillé à Saint-Didier-de-Formans le 16 juin 1944. C’est grâce à leur ténacité que la Justice va se préoccuper de Doussot.
Le 4 septembre, 1 500 hommes des huit compagnies du Régiment de Cluny défilent dans les rues de Mâcon. Doussot parade puis, une fois le défilé terminé, il file à Lyon.
« Le capitaine Lucien » est arrêté rue Neuve, le mardi 5 septembre2. C’est Solange Burillier3 (camarade du groupe de la rue de l’Université et de Lucien Bonnet) qui l’a reconnu en ville et qui l’amène au P.C. de Roger Martinet « Janvier ». Roger Martinet avait été arrêté le 8 mars 1944 avec Wurmser et Thomas. Le 9 mars, s’ensuivaient les arrestations de la rue de l’Université4.
Le 5 septembre, Doussot est en tenue de F.F.I. à Lyon mais dans sa Citroën, on trouve un fusil mitrailleur, des caisses de grenades et des colis de prisonniers. Mais tiens donc. Il est conduit à la prison Montluc. Laurent Bazot dépêche, selon Marcel Vitte, Robert Mariotte le récupérer. Dans un article paru le 30 juin 1996 dans le Journal de Saône-et-Loire, Marcel Vitte fait erreur lorsqu’il écrit que Robert Mariotte fait chou blanc. Grâce à des « interventions », Doussot est relâché rapidement, sur l’ordre du général Delattre de Tassigny, dira-t-il. Vrai, pas vrai ?
Pourtant, d’après Martinet, on retrouve sur Doussot « des photographies de lui en tenue de Waffen-SS5. «
Roger Martinet n’en démord pas. Sachant trouver Doussot à Cluny, il vient en Saône-et-Loire « muni d’un mandat d’arrêt délivré par la prévôté régionale », signé du capitaine Marin.
Le 7 ou 8 septembre, Doussot est à Cluny
On doit être le 7 ou 8 septembre. Une réception est organisée à la mairie de Cluny. Soudain, Martinet arrive et ses hommes tentent de faire monter Doussot de force dans une voiture, revolver pointé sur le ventre.
Des maquisards de Crue empêchent l’opération. Doussot reste libre, « des officiers anglais étant même intervenus pour faire relaxer Doussot6. » Doussot, disent-ils à Martinet, est leur « protégé ».

Dans la nuit, poursuit Doussot, quatre voitures font le tour des hôtels de Cluny pour le trouver mais il n’est pas sur place. C’est normal car Delouche témoignera que cette nuit-là, ils font la fête chez lui. Tenace, Martinet se rend également au P.C. de Bazot à Mâcon. Il fait encore chou blanc. On se doute que si l’opération montée par Martinet avait réussi, Doussot aurait été liquidé tout simplement par les F.T.P. entre Cluny et Lyon.
Puis c’est au tour d’une femme lieutenant F.T.P. de se présenter à Mâcon avec un commandant pour arrêter Doussot. Qui est-elle ? Nous n’en savons rien. Elle possédait non seulement des renseignements précis sur les activités de Lucien à la Gestapo et sur son compte en banque. « Malheureusement, elle ne put rien faire ce jour-là », résume Madeleine Bonnet. Le dimanche 10, Doussot déjeune donc tranquillement dans un restaurant lyonnais de la place du Pont.
Le Commando de Cluny s’est formé. Mi-septembre, un millier de maquisards signent leur engagement dans les rangs du Commando de Cluny à Bergesserin7. L’unité sera incorporée à la première armée française. Lui-même, Thévenot, Peupier et Padey en sont, d’après ce que relate Doussot dans son « Mémoire » sur ses activités.
Du 13 au 21 septembre 1944
Avant de partir, un capitaine de l’A.S. de Lyon le rencontre à Bergesserin. Il faut alors, lui dit-il, qu’il se rende à Lyon car les F.T.P. veulent l’interroger. À Lyon, il est entendu par un colonel puis le commandant Quénard. Doussot raconte : ce dernier l’a rassuré, lui disant qu’il n’avait rien à se reprocher et qu’il n’avait fait que son devoir. Doussot reste libre.
Il rejoint le Commando de Cluny à Avannes. Nous sommes donc le 21 septembre. Là, poursuit-il, il prendra le commandement d’un corps franc d’une vingtaine d’hommes. On ne trouve rien à ce sujet dans l’ouvrage « Fault pas y craindre. » La question est donc : a-t-il rejoint réellement le Commando de Cluny, oui ou non ?
Fin octobre 1944 : Les F.T.P. de Lyon sont toujours à ses trousses.
Les F.T.P. et Madeleine Bonnet (veuve de Lucien Bonnet) ne désarment toujours pas. À n’en pas douter, ils veulent sa peau.
À Avannes, le commandant de bataillon de Doussot lui annonce qu’il faut qu’il se rende encore à Lyon pour régler son affaire puisqu’il est toujours mis en accusation. Doussot, sûr de lui, suit le conseil. Pas de chance cette fois-ci, il est écroué à la prison Saint-Paul le 3 octobre par ordre du lieutenant Gevaudan de la Sécurité Militaire de Lyon jusqu’à fin janvier 1945.
Il est ensuite incarcéré au fort de la Duchère et la Cour de justice de Lyon est saisie de son affaire le 15 janvier 1945. Madame veuve Bonnet a interpellé le procureur de la République le 31 décembre et elle ne compte pas voir Doussot libre, même si, écrit-elle, il est protégé par les Américains et les Anglais, comme il l’a été par la Gestapo.

Pour le faire libérer, le beau-frère de Doussot, Ernest Michel, tente carrément une intervention auprès du général De Gaulle et le docteur Mazuez écrit au chef de la Sécurité militaire. Rien n’y fait. Cette fois, Lucien la Gestapo est bel et bien sous les verrous !
Mais c’est mal connaître Doussot ! Car il réussit à s’évader du fort en février 1945, sûrement avec des complicités.
Peu après s’être fait la belle, Bazot précise que Doussot le rejoint à Belfort. Là, le commandant lui aurait conseillé fortement de se rendre à la Justice. Doussot répond à Bazot qu’il va y réfléchir. Le hic, c’est que personne -sauf Bazot- ne confirme la présence de Doussot à Belfort. Sur ce point, Duboin « Capitaine Jacques » est formel.
Doussot ou « Maurice Reynaud », puisqu’il a changé d’identité par crainte d’être retrouvé, gagne Paris et vit à l’hôtel Cecil, rue Saint-Didier. Là, dit-il, « par tous les moyens je cherchai à aller au front continuer la lutte. J’ai essayé d’aller en Extrême-Orient. » Bien entendu, il veut partir avec son acolyte Thévenot. Ils s’adressent pour cela en février 1945 au colonel-lieutenant Dismore qui les renvoie à M-J. Buckmaster. Dans leur demande, ils se recommandent tous deux de leur amitié avec André Jarrot, alias Goujon. L’ont-ils réellement connu ? C’est la première fois que les deux compères citent le nom de Jarrot.
M-J. Buckmaster leur donne une réponse négative, la demande devant passer obligatoirement par la D.G.E.R. En bref, on ne veut pas d’eux.
Mai 1945 : il faut abattre Doussot
Doussot devient gênant pour le commandant Bazot qui réunit ses adjoints, Jean Duboin et Mémé Broyer. Écoutons la version que donne Laurent Bazot : « Pour l’honneur du Bataillon et pour clore proprement cette histoire, il faut trouver Doussot, l’amener au général Delattre de Tassigny et négocier son départ en Indochine ou ailleurs, dans un lieu où il ira « se faire casser proprement la figure8 ». Duboin « Capitaine Jacques » confirme : on allait proposer à Doussot et à son compère Dédé, l’Indochine ou la Légion. Néanmoins, il n’était pas question, selon lui, qu’ils gardent leurs galons de F.F.I.9.
Confiants en leur avenir (?), Doussot et Thévenot repartent avec Duboin. Arrivés à Mulhouse le 8 juin, ils sont victimes d’un accident. Duboin est sérieusement blessé. Selon Bazot, Doussot et Dédé le rejoignent au Q.G., mais le général Delattre de Tassigny étant absent, il faut l’attendre. Doussot commence à s’impatienter et peut-être s’inquiète-t-il un tantinet. Il repart aussi sec pour Paris et s’installe à Joinville-le-Pont.
Une autre version bien différente existe : Tiburce -le grand absent du procès Doussot- avait dit, en parlant des agents-doubles, qu’une fois leur tâche terminée, il fallait les abattre. N’est-ce-pas cette solution qui est choisie en juin 1945 ? Bazot aurait demandé à Mémé Broyer (résistant de Manziat) de partir à Paris pour abattre Doussot. Mémé Broyer refuse et c’est Duboin qui est chargé de l’affaire. Pas de chance, l’accident de voiture survient. Les gendarmes qui rédigent le constat trouvent dans la voiture Doussot et Dédé. Moins touchés que Duboin, ils quittent le véhicule et prennent la tangente, direction leur café à Joinville-le-Pont.
Selon Bazot, « la question d’abattre Doussot est du domaine des ragots10. » N’empêche que la commission rogatoire rédigée par le juge Raoul Berger existe bel et bien dans les pièces du procès. Alors, comme d’habitude, qui dit vrai ?


De septembre 1944 à mai 1945, Doussot a donc été protégé. À partir de cette date, on commence à envisager des solutions pour s’en débarrasser.
À suivre…
1 Rapport du commissaire du Gouvernement, 28 novembre 1949. On se pose la question de savoir si Doussot a participé à l’arrestation de la famille juive Anav en août 1944.
2 Marcel Vitte donne une autre version de la 1ere arrestation de Doussot. Les F.T.P. de Lyon l’auraient arrêté à Mâcon, après le défilé des troupes. M. Vitte doit confondre avec l’arrestation qui s’est déroulée à Cluny.
3 Solange Burillier a été la seule personne des résistants arrêtés rue de l’Université à être relâchée. Voir l’article sur Doussot en mars 1944 à la Gestapo.
4 Voir l’article : « Lucien Doussot à la Gestapo-mars 1944 »
5 Déposition de Roger Martinet, 31 janvier 1946.
6 Déposition de Roger Martinet, 12 décembre 1946. Martinet avait été arrêté avec Michel Wurmser et René Thomas le 8 mars 1944.
7 Fault pas y craindre. Histoire du Commando de Cluny, 4e Bataillon de choc. Mâcon : Éditions B.R.A., 1974, 205 p., p. 81.
8 Déposition de L. Bazot, 22 janvier 1946.
9 Déposition de Jean Duboin, 1er février 1946. Notons bien que, jusqu’à aujourd’hui, Doussot et Thévenot ont conservé leurs galons de F.F.I.
10 Déposition de L. Bazot, 22 janvier 1946.