« Un exemple de courage, d’abnégation, de justice qui en fit un chef aimé et obéi.« 

Entre le 31 mai et le 5 juin 1944, Doussot a négocié -auprès de Tiburce- son arrivée au maquis de Crue et celle de ses amis ou membre de la famille : Thévenot, Padey et Peupier[1]. Bazot et Jean-Louis Delorme ont quitté Lyon également avec lui. Ultérieurement, entre le 15 juin et le 1er juillet, d’autres connaissances rejoindront également Crue : Jean Duboin et Jean Paffoy, par exemple. Doussot dira lui qu’il arrive en Crue avec douze de ses amis. Nous n’avons pas identifié ces « autres amis » mais Madeleine Bonnet, veuve du résistant Lucien Bonnet, dira que ces douze personnes arrivaient de la Gestapo avec Lucien…

Dès son arrivée à Cluny, il en impose le Lucien : il roule dans une voiture débâchée avec une mitraillette pivotante de marque Thomson au chargeur redoutable. L’homme est élégant : bijoux en or, sous-vêtements en soie mais toujours coiffé de sa casquette allemande. Est-ce pour impressionner les maquisards ? Il ne leur cache nullement son ancienne appartenance à la Gestapo. Il a conservé ses papiers que Krull lui avait délivrés : lorsqu’il sera arrêté une première fois à l’automne 1944, il dit s’appeler André Lefaler.

De ce fait, « il fait de l’effet à beaucoup de ces jeunes maquisards, récemment arrivés au maquis, facilement trompés par une belle apparence[2]. » Mais il n’y a pas que l’habit pour impressionner jeunes et vieux maquisards : torturer et assassiner ce pauvre bougre de Mattéo du café du Nord et prendre d’assaut la gendarmerie de Cluny dès son arrivée a de quoi laisser béats d’admiration la plupart de ceux qui ne le connaissent pas.

Tous les Clunisois et résistants des alentours (Flagy, Lournand, Cortevaix) sont présents au procès comme témoins à décharge[3].

Sans exception, ils confirmeront :

« En tant que résistant, il n’y a eu que des éloges sur son compte[4]. » Pour Claude Delcroix, tous les maquisards de la région de Cluny, et lui le premier, ont eu « de l’admiration pour lui[5]. »

Pour le maire de Cluny et le président du Comité Local de Libération, il fut « un exemple de courage, d’abnégation, de justice qui en fit un chef aimé et obéi. [Et] il fut sans contestation possible, un des principaux auteurs des succès remportés sur les Allemands dans toute la région (Cluny-Azé-Mâcon), rentrant dans cette dernière ville à la tête de sa compagnie[6]. » Quand on connaît -et les rédacteurs de l’attestation ne pouvaient pas l’ignorer- la manière qu’avait Doussot de rendre la « justice » en Crue, on reste perplexe !

Le docteur du maquis, Mazuez, futur maire de Montceau-les-Mines à la Libération, renchérit : il ne sait pas pourquoi Lucien a été arrêté à l’automne 1944, mais ce qui compte pour lui, c’est qu’il « fut un exemple d’audace, de témérité pour tous nos maquisards[7]. » Et selon Rochat, le mental correspond au physique du bonhomme : « Un homme astucieux dépourvu de scrupule, à l’esprit aventurier mais très courageux, en particulier lors de la bataille de Cluny[8].

Aucun ne parlera des assassinats de Jost, Zorn, Jacquot, du viol de Marie Baigne au maquis puisque Doussot a persuadé ses hommes qu’il s’agissait de traîtres à éliminer.

Quant à Doussot, il se présente lui-même comme capitaine sous un jour plutôt favorable. En Crue, lui qui tue sans vergogne pour voler, il s’offusque si ses hommes dépouillent les paysans du coin !

Après avoir entendu les multiples témoignages relatant les arrestations, les sévices, les meurtres et les déportations, à un Delouche[9] qui parle encore de « vénération » au sujet du « capitaine Lucien », le Président du Tribunal lui rétorque :

« Et vous le vénérez toujours ? »

Et oui ! La position des uns et des autres, vis-à-vis de Doussot, n’est pas toujours facile à comprendre dans cette période trouble de l’Occupation et cela continue après la guerre. Ne trouve-t-on pas Lucien la Gestapo référencé dans l’ouvrage d’André Jeannet, « un ouvrage sérieux qui dissipera l’envie de prétentieux faussaires » selon le préfacier ? Rappelons quand même le titre de l’ouvrage d’André Jeannet : « Mémorial de la résistance en Saône-et-Loire – Biographie des résistants ». L’auteur rappelle bien les faits dont Doussot est accusé, mais sa place est-elle légitime dans un tel livre à côté des Angebaud, Renaud, Genevès, etc. ?


Au maquis de Crue, c’est Jean-Louis Delorme qui commande. Selon Robert Chantin, l’ancien inspecteur de police « bénéficie d’une image très positive de chef prudent, efficace et respectueux de ses hommes[10]. »  J-L. Delorme muté, il y a une place à prendre. Et c’est à Doussot qu’on confie le groupe de Crue.

On ne peut pas le nier disent les témoins : l’homme est courageux. La bataille d’Azé, celle du 11 août, le capitaine Lucien est partout.

La bataille d’Azé selon Lucien Doussot.

Mais, selon Robert Chantin, « Si personne ne lui nie un incontestable courage au feu, plusieurs de ses hommes émettent les plus sérieux doutes sur ses capacités d’entraîneur de chef de maquis. » L’historien poursuit : il s’est entretenu avec Henri Mondange[11] en décembre 1998 au sujet de Doussot : ce « chef de bande n’avait pas grande capacité militaire et que s’il n’y avait eu que des chefs comme ça à la bataille d’Azé, il y aurait eu de la casse. »

De même le 15 août suivant : il s’agit de faire sauter un pont à Fleurville. Or les Allemands ont installé un poste de surveillance à proximité. Rapidement détectés par les Allemands, « la section d’Henri Mondange se retrouva sous les feux de deux MG42 postés sur les terrasses du château. (…) Du côté des résistants, on dénombre un mort et deux blessés[12]. » Selon Mondange : « Jamais Jean-Louis n’aurait fait ça en plein jour et s’il l’avait appris, il aurait fait un scandale[13]. » Delorme sera tué le 31 août 1944 et la ville de Cluny lui organisera des funérailles solennelles.


Doussot ne se privera pas de défiler dans Mâcon, ville libérée le 3 septembre 1944. Puis étrangement, il prend la poudre d’escampette, direction Lyon. Il donne même la date exacte de son départ au juge d’instruction. Lui, le valeureux capitaine ne participe donc ni à la libération de Sennecey-le-Grand le 4 septembre, ni à celles de Chalon-sur-Saône ou de Beaune. Mais, lorsqu’il demandera son homologation de grade F.F.I. en 1950, il mentira, comme à son habitude.

Alors qu’il est emprisonné à Montluc (nous en parlerons dans un prochain article), selon lui, il libérait Sennecey et Chalon. Il retourne le formulaire à un certain « Vincent » qui semble le défendre dans ses intérêts et qui ne relève aucune des incohérences du dossier. S’agit-il d’Henri Vincent « capitaine VIC » qui dirigeait le Louhannais ? Avis aux spécialistes. 

Et les membres du Comité départemental de Libération valident sans broncher ses services. Le tour est joué.

Dossier d’homologation F.F.I. de Doussot.

Pour le prochain article, nous partirons à Juliénas où s’est produit un accrochage très bizarre entre Allemands et maquisards. Le capitaine Lucien sera encore des nôtres, bien entendu.


[1] « Beau-frère » de Doussot. Marius Peupier est mariée avec Simone Combe, soeur de Renée.

[2] Chantin, Robert. Des temps difficiles pour des résistants de Bourgogne, échec politique et répression (septembre 1944-1953). Université Lumière Lyon II, sous la direction d’Etienne Fouilloux, 2000. http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2000/chantin_r, p. 84.

[3] Seuls Henri Vitrier et Claude Rochat ne prendront pas sa défense.

[4] Claudius Dutrion, de Cortevaix.

[5] Témoignage de C. Delcroix, 2 juillet 1948.

[6] Attestation rédigée en faveur de Doussot, 21 novembre 1944.

[7] Courrier de Pierre Mazuez, « médecin commandant F.F.I. au chef de la Sûreté militaire de Lyon, 30 novembre 1944.

[8] Témoignage de C. Rochat, 17 octobre 1945.

[9] Delouche, professeur à la Prat’s.

[10] Chantin, Robert. Op.cit., p. 84. Il sera tué quelques jours avant la Libération et la ville de Cluny lui organisera des funérailles solennelles.

[11] Henri Mondange a continué sa carrière militaire en Indochine et en Algérie après la bataille d’Alsace.

[12] Fault pas y craindre. Histoire du Commando de Cluny, 4e Bataillon de choc. Mâcon : Éditions B.R.A., 1974, 205 p., p. 58. Il est dit dans ce passage que ce sont les parachutistes du lieutenant Colombet qui décidèrent d’attaquer le nœud routier de Fleurville et non pas Doussot. Quelle est la véritable responsabilité de Doussot dans l’opération ?

[13] Chantin, Robert. Op.cit., p. 84.