Après la prétendue évasion de Jean Biche, le faux sauvetage de Serge Ravanel, qui d’autre Lucien la Gestapo a-t-il pu aider entre son entrée à la Gestapo et le 6 juin 1944 ? Il se trouve quand même quelques résistants qui viennent témoigner en sa faveur. Écoutons-les.

Région Mâcon-Cluny et alentours

Laurent Bazot

Bazot dit devoir deux fois la vie à Doussot. Une première fois dans l’hiver 1944 alors que la Gestapo le recherche, Lucien le prévient. Puisque le dossier de L. Bazot conservé à Vincennes ne comporte aucune indication concernant son parcours entre 1940 et le 6 juin 1944, l’information ne peut être vérifiée.

Doussot sauve également la vie à Bazot le 21 juillet 1944 contre des Allemands au maquis. Doussot, dans ses dépositions de 1946 et de 1948, ne fait absolument pas état de ces deux « sauvetages. » Le témoignage d’Henri Mondange[1] et la consultation de l’ouvrage « Fault pas y craindre. Histoire du commando de Cluny, 4e Bataillon de choc[2] » ne font également aucune allusion à un problème rencontré par Laurent Bazot le 21 juillet. Rappelons que l’ouvrage « Fault pas y craindre » est dédié -entre autres- au commandant Laurent Bazot et que les « Anciens » ne seraient pas passé à côté de cette information. Avis aux spécialistes s’ils ont des informations à ce sujet… 

L. Bazot croqué par l’inimitable Henri Gandrez.

Jean Brenot à Mâcon

Jean Brenot de Mâcon, est pris dans une « rafle ». Il connaît Thévenot et Doussot[3]. Il rencontre ce dernier avenue Berthelot. Doussot lui affirme qu’il va le faire libérer. Brenot sort quinze jours après son arrestation. Dans la mesure où Brenot n’a pas été arrêté pour faits de résistance, il est tout-à-fait possible qu’il ne doive pas sa libération à Doussot.

Pierre Delacroix à Mâcon

Pierre Delacroix est placé à la tête des M.U.R de Saône-et-Loire en juillet 1943. Selon lui, il y eut un avertissement de « Lucien » comme quoi la Gestapo le recherchait[4]. Pour Delacroix, ce ne fut pas une surprise car il avait été pris en chasse dans la région clunisoise et à Paray-le-Monial quelques semaines auparavant.

Henri Vitrier à Brancion

Doussot a fait prévenir que le couple Vitrier de Brancion était recherché par la Gestapo qui, semble-t-il- est venue au village mais le couple était déjà parti[5]. Les Allemands font sauter leur maison. Henri Vitrier, qui témoigne le 4 octobre 1946, ne fait aucune allusion à cette alerte. Selon lui, Doussot et son compère Thévenot sont venus à la résistance à la Libération et il a toujours considéré Doussot « comme un agent de la Gestapo[6] ».

Marc Deslandes à Saint-Gengoux-le-National

Doussot avertit en février 1944 Marc Deslandes, de Saint-Gengoux-le-National, que la Gestapo recherche un forestier de la région. Deslandes ne fut pas inquiété, ni aucun autre forestier de sa connaissance[7].

Pierre Drillien à Saint-Gengoux-le-National

Pierre Drillien de Saint-Gengoux-le-National a été prévenu deux fois par L. Bazot d’une arrestation possible à la suite d’une dénonciation. En septembre 1943, il ne s’est rien passé. En avril 1944, les Allemands se présentent à son domicile mais il n’y est plus depuis six mois. Le 5 mai 1944, ils reviennent et n’arrêtent ni l’épouse de P. Drillien, ni leur fille mais le domicile est incendié. Le capitaine Drillien précise : il ne s’est jamais agi de la Gestapo de Lyon mais de celle de Mâcon[8].

À Lyon et Paris

Roger Klein

Roger Klein, inspecteur de police aurait été averti par Doussot que Francis André « Gueule tordue » avait prononcé son nom lors d’un interrogatoire. Klein se met au vert avec un congé maladie. Il n’est cependant nullement inquiété ultérieurement par F. André.

André Richard

André Richard, propriétaire du café Confort à Lyon avec Laurent Bazot. Grâce à Doussot, il est averti que la Gestapo de Paris doit venir perquisitionner au café et l’arrêter. Richard fait disparaître les documents. A-t-il quitté le café Confort pour disparaître de la circulation ? A-t-il été inquiété ? C’est impossible à vérifier. Pour Richard, Doussot « a réduit l’efficacité de la Gestapo d’un bon tiers ».

Madeleine Parot

Madeleine Parot certifie que Doussot lui racontait les « tours » qu’il jouait à la Gestapo[9]. Grâce à Doussot, elle a la possibilité de rencontrer son compagnon (Roger Cellier, banquier à Valence) qui a été arrêté et celui-ci sera d’ailleurs relâché. Doussot, selon elle, aurait fait évader Dreyffus de Grange-Blanche[10]. Que penser du témoignage de M. Parot ? Elle est très amie avec l’épouse de Laurent Bazot et André Thévenot est lui-même mariée à une certaine Jeanne Parot… Madeleine et Jeanne seraient-elles de la même famille ?  

S’il s’agit bien de Marcel Dreyffus (commandant Laffont du réseau Dupleix), il ne fera aucune allusion à cette « évasion » de Grange-Blanche et Dédé Thévenot lui dira qu’il s’agissait d’un résistant « commerçant au Havre[11] ». Qui croire ? Notons bien que les Groupes Francs ont eux, à l’inverse, fait évader des détenus de « Grange-Blanche »[12]

René Trévoux de Turma-Vengeance

René Trévoux appartient au réseau Turma-vengeance. Il connaît bien Laurent Bazot, ancien camarade d’aviation. Selon son témoignage, Bazot et Doussot montent à Paris pour le prévenir que la Gestapo veut l’arrêter. Ils ne le trouvent pas. Prévenu finalement par Bazot et Doussot à Lyon, Trévoux sera quand même appréhendé le 21 janvier 1944 à Paris[13]. D’après le fichier des membres de Turma-Vengeance, ce serait Lucien Guesdon qui l’aurait dénoncé[14]. …

Trévoux sera déporté à Birkenau puis Buchenwald.

Marie-Paul Gignoux

L’ex-commandant Paul Gignoux témoigne le 28 janvier 1949. En mars 1944, il est prévenu par L. Bazot qu’il connaît très bien, que des documents relatifs à son activité dans la résistance sont tombés entre les mains de la Gestapo. « Je crois qu’une dizaine de noms figuraient sur le document. Je ne me souviens d’aucun nom. » Bazot lui conseille de prendre des précautions et Gignoux présume que les autres membres de son réseau SR Kléber-Saturne ont dû être prévenus comme lui. Méfiant, il ne fréquente plus alors son bureau mais ne sera jamais inquiété. C’est le 18 juin 1944 que la Gestapo viendra l’arrêter et il souligne bien au juge Serager qu’à cette date, son arrestation n’avait rien à voir avec le document que possédaient Bazot et Doussot en mars.

En 1956, Paul Gignoux, alors conseiller général du Rhône, revient sur ses déclarations. Selon lui, Doussot avait bien été placé à la Gestapo pour servir la résistance. Pour preuve, il aurait camouflé un dossier le concernant. Cela aurait évité et son arrestation et celle de dix autres officiers français. Gignoux se dit, sept ans après le procès, avoir été écoeuré de la partialité des juges et il aurait même reçu des sollicitations pour ne pas témoigner…

Doussot, conclue-t-il, n’a pas trahi. Il aurait même dû bénéficier de clémence car le Tribunal n’a pas tenu compte des services rendus à la résistance… C’est grâce à ce genre de témoignages que Doussot se retrouvera libéré…

Gilbert Rucart de Gallia-Dupleix

Gilbert Rucart est étudiant en médecine. Il est l’adjoint de Girin pour le réseau Gallia-Dupleix et il est arrêté le 28 mars 1944. Doussot le retrouve dans les caves de la Gestapo. Selon le jeune résistant, Doussot empêche qu’il ne soit encore torturé[15]. Doussot aurait également, selon Rucart, détruit des photos qu’il avait sur lui (dont une de Girin) et aurait permis également à Girin de prévenir la mère du résistant de son arrestation. Il n’empêche que Rucart sera déporté à Buchenwald. À sa libération, il ne pèsera que vingt-six kilos.

Comme le dira Girin, Doussot a fait plus pour la résistance à mesure que la Libération approchait, en témoigne son intervention en faveur de Rucart. Mais il ne faut pas oublier que début mars 1944, Doussot gérait à Lyon l’affaire Kubala pour laquelle il reçut les félicitations de Berlin[16] et que le 31 mai, il participait à l’arrestation de l’inspecteur Guepratte.


On le constatera : Doussot a pu -peut-être- apporter à quelques résistants parfois de l’aide mais tardivement ; c’est le cas de Rucart. Pour les autres résistants, le lecteur aura compris que, par manque de sources, les informations sont difficilement vérifiables et parfois douteuses.

Avant de quitter Lyon pour le maquis, Doussot se vante d’avoir pu emporter avec lui une valise de documents dérobée avenue Berthelot. Grâce à ces documents remis à Girin du réseau Dupleix, des résistants purent échapper à l’arrestation.

Avant de suivre Doussot au maquis de Crue puis à la Libération, nous ne manquerons pas de parler de cette fameuse valise dans le prochain article.


[1] http://mvr.asso.fr/front_office/fiche.php?idFiche=1644&TypeFiche=4

[2] Fault pas y craindre. Histoire du commando de Cluny, 4e Bataillon de choc racontée par ses anciens. Mâcon : Editions B.R.A., 1974, 205 p., p. 43 et suivantes.

[3] Témoignage de Jean Brenot, 16 juin 1948.

[4] Témoignage de Pierre Delacroix, 2 juillet 1948.

[5] Témoignage de Marc Deslandes, 2 juillet 1948.

[6] Henri Vitrier entendu par le commissaire Mourier, 4 octobre 1946.

[7] Témoignage de Marc Deslandes, 2 juillet 1948. Deslandes est garde-forestier.

[8] Témoignage de Pierre Drillien, 24 juin 1948.

[9] Témoignage de Madeleine Parot, 16 juin 1948.

[10] Idem. Il s’agit de l’hôpital Edouard Herriot, dit « Grange-Blanche ».

[11] Témoignage d’André Thévenot, 1er avril 1946.

[12] Chevailler R, Marignan G, Permezel B, Perrin R. Les Groupes Francs. Libération-Sud. Ve Bureau de l’armée secrète. Lyon : Editions BGA Permezel, 2004, 139 p. On lit ainsi (p. 43) que les G.F. libèrent à Grange-Blanche quatre prisonniers et d’autres à l’hôpital de l’Antiquaille.

[13] Témoignage de René Trévoux, 28 avril 1949.

[14] http://chantran.vengeance.free.fr/membres.htm Guesdon est arrivé à la Gestapo de Lyon en février 1944.

[15] Témoignage de Gilbert Rucart, 15 mai 1946.

[16] Voir l’article : « Lucien Doussot à la Gestapo-mars 1944. »