« Misérable Doussot ! c’était ça votre résistance ! », c’est ainsi que le président du tribunal s’adresse à Doussot. Misérable Doussot…

Nous avons évoqué quelques affaires menées par Doussot lorsqu’il était à la section IV avenue Berthelot : l’opération Fruhling dans le Jura, Korporal dans l’Ain, les arrestations à Lyon en juillet (Affaire Clairet) et à l’automne 1943 (Schroeder) et pour finir en mars 1944, l’affaire Kubala et Saint-Martin-en-Vercors. L’affaire Kubala lui valut -il faut bien le souligner- les félicitations de Berlin.

Albrecht, Delestraint et Moulin

Doussot a toujours nié être entré à la Gestapo avant juillet 1943. Il ment. Mais reconnaître qu’il travaillait auparavant avec Pierre Moog, c’était prendre le risque d’être interrogé sur son implication dans trois affaires importantes : celle de l’arrestation de Berty Albrecht à Mâcon, du général Delestraint à Paris[1] et celle de Jean Moulin à Caluire. Edmée Delettraz, que rencontreront Mireille Albrecht et Jacques Gelin, auteur de « L’affaire Jean Moulin. Trahison ou complot » sera formelle : « Doussot était aux côtés de Multon durant toute cette période[2]. »

Malgré la ténacité du juge Serager à mener l’enquête, au procès, on en restera là. Klaus Barbie témoignera cependant que pour l’affaire de Caluire, Doussot a bien participé aux filatures qui conduisent aux arrestations chez le docteur Dugoujon : « Questionné lors de son troisième interrogatoire le 16 juillet 1948 sur les circonstances exactes de son arrivée chez Dugoujon, (…) : « Moog Pierre (K30), [René] Saumande [K4] et [Lucien] Doussot ont participé aux opérations de filature, mais pas à l’arrestation. Pour cela, j’avais seulement réservé mes hommes en uniformes. » En agissant ainsi, Barbie garde pour lui les honneurs d’avoir arrêté Moulin et il évince surtout de l’arrestation Moog qui lui a joué un mauvais tour en ne lui livrant pas Berty Albrecht[3]. Maintenant, que penser du témoignage de Germaine Fournier, épouse Damas, qui recueille René Hardy après son évasion de l’hôpital de la Croix-Rousse[4] ? Selon elle, Hardy vient se réfugier dans son appartement. La Gestapo, sous les ordres de Schmitt, est à ses trousses.  « Celui que je crois être Doussot m’a dit être celui qui avait blessé Hardy d’un coup de revolver lors de l’évasion d’Hardy de la maison de Caluire. Il a ajouté qu’il regrettait ne pas l’avoir tué[5]. » Alors ? Doussot présent ou non devant la maison Dugoujon ?

Quoi qu’il en soit, en mai 1943, Doussot était donc bien installé à la Gestapo, arrivant, non pas de Saint-Jean-des-Vignes où Moog l’a recruté, mais du Jura où il avait déjà travaillé pour Barbie. En juillet 1943, Bazot et Guillermin pouvaient-ils ignorer son passé déjà bien chargé lorsqu’ils l’autorisent à « travailler pour la résistance » ? On en doute. Pendant le procès, Bazot lâche Doussot et se défendra finalement de l’avoir compté parmi ses amis. Il arguera qu’il n’était pas au courant de « toutes les saloperies » que Lucien pouvait faire à Lyon ou ailleurs. On ne va pas chercher plus loin, croyant sur parole l’ex-commandant du 4e Bataillon de choc. 366 arrestations dont 313 déportations, 20 exécutions entre juillet 1943 et juillet 1944. Voilà le bilan connu du gestapiste Doussot et c’est sans compter la fortune qu’il a pu accumuler en volant et sur la ligne de démarcation, pendant son séjour avenue Berthelot et au maquis de Crue…

Réseaux Alliance, Brutus, Ajax, CND-Castille…

Avant d’en venir au récit des affaires où il a pu aider la résistance, signalons, sans entrer dans le détail, encore quelques opérations importantes auxquelles il a participé :

-arrestation du commandant Léon Faye, du réseau Alliance, 16 septembre 1943 à Aulnay-sous-Bois.

Léon Faye, un des fondateurs et chef militaire depuis mai 1942 du réseau Alliance, revient de Londres avec Ferdinand Rodriguez, d’origine britannique qui rapporte des documents et sept millions de francs, empochés au final par les Allemands. Le réseau a été infiltré par Jean-Paul Lien[6] et se trouvent donc sur place et bien renseignés : Pierre Moog et Doussot ainsi qu’une partie du SD de Dijon.

Le réseau Alliance est démantelé et de nombreux membres déportés. Léon Faye sera massacré dans la prison de Sonnenbourg devant l’avance des troupes russes. Rodriguez aura la chance d’être échangé contre un prisonnier allemand et reviendra. 

Interrogé le 4 janvier 1945, Doussot certifiera à l’inspecteur de police Henri Arnaud que, revenu à Lyon, il signale le traître Jean-Paul Lien à Bazot. Bazot, quant à lui, témoigne le 1er février 1949 qu’il s’est rendu à Paris avec Doussot mais que, faute de renseignements concernant le résistant qui serait arrêté, il ne peut prévenir personne…. En bref, Doussot et Bazot s’emmêlent les pinceaux sur la bonne version à livrer conjointement à la justice et il est fort probable que Bazot ne soit jamais allé à Paris…

J-P. Lien deviendra, comme Doussot, capitaine F.F.I. et intégrera la 1ere armée française du général De Lattre de Tassigny. Comme quoi ! Reconnu par Ferdinand Rodriguez, il sera arrêté, jugé, condamné à mort. Il aura moins de chance que Doussot puisqu’il sera fusillé le 30 octobre 1946 à Sennecey-lès-Dijon.

arrestation le 27 novembre 1943 de la famille Samuel (parents de Raymond Aubrac), de Marcelle Moerel et de Renée Moerel (tante et cousine de Raymond Aubrac), suite à l’évasion de R. Aubrac organisée par son épouse Lucie. Quelques heures auparavant, la milice arrête également Paul David, place de la Comédie à Lyon et recherche Maurice David (1912-1970). Paul et Maurice sont les cousins de Raymond Aubrac. Maurice réussira à passer entre les mailles du filet et récupérera Jean-Pierre, le fils du couple Aubrac, caché dans une institution. L’enfant partira avec ses parents pour Londres le 8 février 1944. Maurice sera également présent avec Lucie Aubrac boulevard des Hirondelles lors de l’opération qui vise à libérer son cousin, Raymond Aubrac.

Après avoir arrêté Paul, la Gestapo (avec Doussot) se rend au 9 rue Garibaldi. Là, ils trouvent les parents de R. Aubrac, sa tante et sa cousine.

Renée Moerel et sa mère réussiront à sortir de Drancy grâce à de faux papiers. Albert Samuel et son épouse Hélène seront déportés le 20 janvier 1944 et gazés à Auschwitz. Paul David décède également à Auschwitz.

-Confrérie Notre-Dame, CND Castille, 16 décembre 1943, Croix-Rousse.

Arrestation de Maurice Hortebise, groupe L.R.P. et de plusieurs de ses agents.

-réseau Brutus : Démantèlement du réseau en décembre 1943.

Seize membres du réseau sont arrêtés, entre autres : Claude Decrant, Joseph Collonge, Jean Blondeau, Maurice Souillot, Pierre et Suzanne Petit, le docteur Jean Fousseret puis Jean Hausseguy (Ithier).

-café Duval, Villeurbanne, 20 décembre 1943 :

Exécution sur place de Jean Martinotti et de René Vinciguerra

– café Escoffier à Lyon, 178 rue Garibaldi, 25 janvier 1944 :

Vingt-cinq arrestations dont des agents de l’I.S, de l’A.S et des F.T.P. « Il y avait cinq chefs. À l’exception d’un qui s’est évadé, tous les résistants arrêtés ont été déportés[7]. »

-arrestation des membres de la S.F.I.O clandestine au café Maitre 31 rue Villeroy, 10 mai 1944 :

Trente arrestations, huit morts en déportation sur quinze arrestations maintenues, selon Fleury-Cinquin (chauffeur à la Gestapo). « C’est Doussot qui mena cette affaire au cours de laquelle 80 millions ont été pris au parti socialiste[8]. » D’après Fleury Cinquin, Doussot commandait l’opération avec Guesdon. On dénombre, parmi les personnes arrêtées et déportées rue Villeroy, le mâconnais Frédéric Dutrion, décédé dans le train de la mort le 2 juillet 1944.

Le pire, c’est que Vincent Auriol, futur président de la République, fréquentait aussi -selon Fleury Cinquin- le café Maitre et que c’est le même Auriol qui graciera celui qui a fait arrêter ses compagnons de lutte le 10 mai 1944….

©Raymond Sénèque site mémorial Genweb

-Arrestation de Jean-Paul Guepratte, 31 mai 1944.

À la veille de partir pour le maquis de Crue, Doussot arrêtera le 31 mai 1944 l’inspecteur Jean-Paul Guepratte, du réseau Ajax et membre du N.A.P[9]. Doussot reste présent lors du long interrogatoire mené par Francis André, « Gueule tordue ». Le témoignage de Guepratte peut être consulté[10] sur le site des archives nationales. Âmes sensibles s’abstenir.

-Affaire du café de l’Europe

Fleury Cinquin signale que Doussot et Thévenot se rendent au café de l’Europe, rue de Marseille pour arrêter quelqu’un. Les clients effrayés tentent de fuir. Des coups de feu sont tirés, tuant plusieurs personnes. Cette affaire est-elle à relier avec celle de Victor Malartre ?

Lorsque Henri Malartre[11] est arrêté à Lyon le 14 mars 1943, son frère Victor se met en relation par l’intermédiaire de l’inspecteur de police Nicoulet avec des membres de la Gestapo française pour lui faire passer des colis et tenter de le faire évader[12]. Pour cela, on demande à V. Malartre une importante somme d’argent qu’il doit déposer dans un café rue de Marseille. Il est arrêté et déporté à Mauthausen d’où il ne revient pas. À qui profitera l’argent ?

Des Juifs arrêtés de manière « accidentelle » ?

Doussot a fait la chasse essentiellement aux résistants, mais son tableau ne serait pas complet s’il n’avait pas arrêté également des Juifs, même si ce n’est pas l’objectif poursuivi par la section IV E qu’il commande.

En 1948-1949, il y a peu de témoins qui peuvent en parler, la plupart ayant été exterminés dans les chambres à gaz. Néanmoins, d’après la déposition de Fleury Cinquin, Doussot est à l’origine des arrestations et des déportations des familles Cremieu et Weill le 10 mars 1944.

-Le docteur Robert Cremieu et son épouse Marcelle (née Weill), 16 rue Auguste Comte.  Leurs trois filles (Hélène-Rosalie, Renée et Colette), cachées, échappent à la déportation.

-Le docteur Louise Weill[13] et sa mère, Lucie Weill, 38 rue Victor Hugo.

Aucun ne reviendra d’Auschwitz. Entendu en 1948, Doussot certifiera qu’il n’a arrêté des Juifs « qu’accidentellement ». Mais on sait que Doussot a la mémoire courte ou un sérieux problème avec la langue française. 


[1] Gelin, Jacques. L’affaire Jean Moulin. Trahison ou complot ? Paris : Gallimard, 2013, 595 p., pp. 201-202.

[2] Idem., p. 202.

[3] B. Albrecht est conduite à Paris pour être interrogée et non pas à Lyon.

[4] Blessé lors des arrestations de Caluire, Hardy réussit à s’échapper. Il est transporté à l’hôpital de l’Antiquaille puis transféré au quartier cellulaire de l’hôpital allemand de la Croix-Rousse. Il réussit à s’évader facilement et le 8 août il part pour Saint-Germain-en-Mont-d ’or avec Me Damas.

[5] Témoignage de G. Fournier (épouse Damas) devant le juge Serager, 23 avril 1948.

[6] Lien (1912-1946) « Flandrin » appartenait à « Combat » et a été retourné par les Allemands.

[7] Procès Doussot, témoignage d’Odette Pellet, 28 octobre 1948.

[8] Procès Doussot, témoignage de Fleury Cinquin, 31 mai 1949.

[9] Procès Doussot, témoignage de J-P. Guepratte, 14 septembre 1948.

[10] Réseau Ajax et sous-réseaux Candide, Zadig et Micromégas (72AJ/35 Dossier n° 6) https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/consultationIR.action?irId=FRAN_IR_053870&udId=cu00din70ge-1u3876yvicwrx&details=true&gotoArchivesNums=false&auSeinIR=true

[11] H. Malartre est membre du mouvement Combat. Il est chargé d’organiser un service de transport de matériel et de personnel dans la région lyonnaise. Il reviendra de déportation.

[12] Procès Doussot, témoignage d’Henri Malartre, 27 avril 1948.

[13] http://rescapesdemontluc.fr/wp-content/uploads/2014/02/n%C2%B013-d%C3%A9c.2015-Deuxi%C3%A8me-partie.pdf