Le 5 juin, les chefs de la Résistance locale étaient convoqués, pour 9 heures du soir, à la Villa Dameron, avec les hommes des divers quartiers […]. Le Commandant Tiburce (Toto) s’écria : « Messieurs, c’est pour cette nuit.» De clandestine, la Résistance allait devenir ouverte[1] ».

Albert Brown-Bartrolli, « Tiburce » à Cluny.

Radio Londres diffuse en effet ce soir-là les trois messages tant attendus dans la région :

–             « Les terrassiers ont vu la Reine dimanche »

–             « Le Roi est au balcon »

–             « Le Roi et la Reine sont sur la terrasse »

Après la mise en route du « Plan Vert », le maquis contrôle les routes. Cluny va décréter alors sa propre libération et celle de sa région : nous sommes le 6 Juin 1944.

La folle journée

Écoutons le récit de cette folle journée à La Prat’s, vécue par Serge Bavoux, élève :

« Comme tous les matins avant huit heures, je guette l’arrivée des externes, quand je vois venir mon copain Pépé Duplessis, courant et criant comme un fou : Les Anglais ont débarqué ! Ce que confirment d’autres externes, tous aussi délirants, arrivant derrière lui. C’est encore très vague mais l’exaltation devient totale quand les professeurs confirment ces nouvelles. Pas question de cours en classe, nous voulons tous en savoir d’avantage, nous parlons avec les professeurs, nous ressentons combien l’événement est capital ! Nous crions des slogans et chantons des airs patriotiques : la Marseillaise, l’Internationale…Nous pensons à la Zim, on ne sait ce qu’elle est devenue, mais combien elle aurait été heureuse de partager cet entrain. De temps à autre quelques nouvelles supplémentaires nous parviennent. Elles ont été, parait-il, entendues sur la BBC ou sur Sottens, radio suisse dont la neutralité rime avec objectivité. L’après-midi ma classe se rend aux ateliers où nous retrouvons le même climat d’exaltation, teinté d’inquiétude et d’incertitude quand au déroulement des opérations, la radio officielle annonçant que les tentatives de débarquement ont été repoussées. Mais radio Londres, nous dit on, annonce que troupes et matériels arrivent sans arrêt sur les côtes françaises !…[2] »

Départ des K’stors au maquis

Le soir, au dortoir, les choses se précipitent. Il y a là deux ou trois k’stors de 17 à 18 ans, dont Lanovaz. A peine sommes-nous arrivés à la chambrée que Lanovaz demande à « Baduc’s », surveillant ce jour-là, d’ouvrir la porte du vestiaire qui se trouve à l’étage supérieur. Ce n’est pas le jour lui est-il répondu. « On en a rien à foutre ! » Les k’stors s’élancent dans les escaliers et enfoncent la porte qui leur est défendue. On les voit revenir avec des sacs tyroliens, des couvertures roulées et des vêtements. Lanovaz est armé d’un pistolet et un autre de ce qui me semble être une mitraillette. Les voyant, « Baduc’s » les apostrophe : « Jeunes gens je suis certain de votre patriotisme mais l’école, vis-à-vis de vos parents, est responsable de vos personnes, vous ne pouvez agir ainsi. » « Ta gueule », lui est-il répondu. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, « Baduc’s » se retrouve ligoté sur son lit. A peine remis de nos émotions, nous voyons débouler monsieur Delouche (professeur), « le spada ». Il parait très agité : a-t-il un peu trop arrosé l’événement ? Il brandit une sorte de pistolet très long. Nos « k’stors » sont là, fin prêts, habillés, chaussés et sac au dos. Avant de partir, leur dit-il, on va dire deux mots à « Tujurs » notre directeur Manceau réputé pétainiste. »

Selon Auguste Perron, élève lui-aussi, Delouche est accompagné de ses collègues : Daget, Schmitt et Thomas.

Lieutenant Albert Schmitt.

« Le 6 juin, avec mon groupe de résistants de La Prat’s, nous allions, sous les ordres du Lieutenant Schmitt, faire partie de ceux qui firent de Cluny la première ville libérée de Saône-et-Loire », se souvient également l’ancien élève, André Martin.

Plus de soixante-cinq élèves des promotions 1938, 1939 et suivantes quittent ainsi l’École le 6 juin 1944, n’attendant pas la fin des cours.

C’est la foire dans les dortoirs !

Serge Bavoux poursuit : « Le moment de stupeur passé et sans vraiment comprendre pourquoi, nous voilà tous en cercle, armés de polochons que nous faisons pleuvoir sur des camarades ce qui est méchant – dont les parents seraient des collabos. C’est une vraie révolution de dortoir ! Nous en oublions même « Baduc’s » ligoté dans sa chambre ! Nous le reverrons au petit matin. Je ne sais si nous avons quelque peu dormi cette nuit-là. Le lendemain, de notre seule initiative, nous les internes décidons de quitter l’école et de rentrer chez nos parents. Comment cela nous est-il venu ? Nous ne faisons ainsi qu’avancer d’un mois la date des vacances. Je me vois encore faisant glisser ma malle dans les escaliers pour la déposer ensuite chez mon copain Pépé Duplessis. J’y récupère mon vélo et je rentre à La Guiche. C’est au col du Loup, devant le café du même nom, que je rencontre, pour la première fois au grand jour, deux maquisards en armes. J’apprendrai plus tard que Félix Bourret et Laget partis à pieds avec leur cartable, pour se rendre à Villefranche, avaient été arrêtés sur la route de Lyon, par une patrouille allemande qui, après les avoir contrôlés et constaté la présence du « Deutsche Lehrbuch » dans leurs bagages, les avaient emmenés jusqu’à leur destination ![3] »

Pendant que d’autres restent à l’école

 « Avec mon Ami R.B., nous nous fîmes inscrire à l’organisation du Maquis de Cluny : étant trop jeunes pour participer aux combats, nous fûmes « engagés » pour œuvrer à d’autres tâches. En Saône-et-Loire, de nombreux parachutages eurent lieu, à partir d’octobre 1942 : ils étaient destinés à approvisionner les Maquis en armes (mitraillettes Sten, fusils, grenades, explosif), postes émetteurs…en argent et en quelques « douceurs » comme les cigarettes, les chocolats….

Jusqu’au 6 juin 1944, ces parachutages s’effectuaient de nuit (pleine lune !) ; par la suite, ils eurent lieu de jour, contrôlés par les Maquis. Tous les Clunisois se souviendront du 14 juillet 1944 et du parachutage qui eut lieu à la Grange Sercy (vers 12h) avec 36 bombardiers « Liberator » escortés par 50 chasseurs. Plus de 100 tonnes d’armes furent parachutées !

Les « marchandises » se trouvaient dans des containers accrochés à des parachutes : certains de ceux-ci se mettaient en « torche » et l’ensemble s’écrasait sur le sol pour être ensuite acheminé au C.T.C. de Cluny (la Prat’s) afin d’analyser les dégâts occasionnés aux armes et d’envisager les réparations possibles. Ce fut notre tâche en « bons techniciens que déjà nous étions », sous la surveillance d’un de nos contremaîtres, Monsieur Barraud.

Après avoir éliminé les armes défectueuses et donc irréparables, nous procédions selon deux principes bien connus :

–             méthode dite de « l’étau », pour redresser les canons des mitraillettes Sten,

–             méthode de « restauration », en prélevant les pièces à remplacer sur les armes irrécupérables.

Ensuite, « qualité du travail oblige », nous devions essayer les armes considérées comme « aptes au service ». Le mode opératoire était le suivant : tirer un chargeur complet dans les citrouilles situées dans un jardin cultivé derrière les atel’s, à 5 mètres du tireur, la précision du tir n’était pas considérée comme critère important[4]. »


[1] Souvenir de Marius Roux, ancien professeur de La Prat’s.

[2] Souvenir de Serge Bavoux, ancien élève. http://laprats.fr/blog/wp-content/uploads/2016/05/sergebavoux.pdf

[3] Souvenir de Serge Bavoux, http://laprats.fr/blog/wp-content/uploads/2016/05/sergebavoux.pdf

[4] Quelques souvenirs de deux élèves / Promo 41 à 47 (dont M. Pautet).