Après l’opération de Saint-Claude et celle de Molinges, Doussot n’en a pas terminé avec le Jura. Toujours en avril 1944, il se rend à Lons-le-Saunier. À la fromagerie de Saint-Didier, deux policiers allemands viennent d’être assassinés par des résistants des Groupes-Francs de Lons, dont Jean Guyot « Guérin », grièvement blessé au cours de l’opération.

Cinq jours plus tard, une expédition punitive est organisée contre la résistance jurassienne par le deuxième officier du KDS de Lyon, Fritz Ollert avec des éléments de la Wehrmacht, de la Feldengendarmerie et des agents de la Gestapo. Sont présents : Doussot, Charly, Paul Mathieu, Paolini, Lucien Guesdon et Dédé Thévenot. Le chef de la section anti-communiste de Lons, membre du P.P.F -Raymond Jaussoin- confirme que Doussot avait revêtu pour l’occasion l’uniforme allemand. Doussot bien entendu se défendra : s’il portait une veste allemande, c’était pour que les soldats l’identifient et ne lui tirent pas dessus !

L’exécution de Jean Guyot et du docteur Michel

La traque contre le résistant « Guérin » commence le 23 avril à Saint-Didier. Le village est cerné. Quatre hommes sont abattus, deux femmes sont déportées et sept maisons du village brûlées. Trois cadavres sont découverts par les villageois dans une de ces maisons : celui du maire, du fromager et du résistant Roger Gille. Un dernier cadavre sera retrouvé dans les vignes le 27 avril. Au total, huit victimes et deux déportations.

Est arrêté premièrement Jean Rivière qui a conduit le résistant blessé Guérin à l’hôpital de Lons-le-Saunier. C’est Thévenot, l’ombre de Doussot, qui surveille Rivière lors de l’opération. Mais Thévenot -entendu le 23 mai 1946- niera, bien sûr, avoir participé à cette opération alors que Rivière est présent et témoigne contre lui.

Forcé, Rivière conduit tout d’abord la Gestapo auprès du chirurgien Jean Michel puis chez Guérin à Beaulieu-Mandeure. Le père de Guérin est arrêté et déporté. Il ne reviendra pas. Le 26 avril, le docteur Jean Michel (36 ans), et Guérin (22 ans), sont exécutés. Leurs corps seront retrouvés dans les bois de Pannessières[1]. Échange de bons procédés pour se donner bonne conscience ? Alors que le président Auriol gracie Doussot en janvier 1951, il décore le docteur Jean Michel à titre posthume de la Croix de guerre et le fait chevalier de la Légion d’honneur le 5 novembre 1950.

Foucaud, chef des F.FI


Doussot raconte tout d’abord qu’un paysan leur donne des indications sur des dépôts d’armes cachées dans la région. En représailles, Ollert incendie des fermes et exécute plusieurs personnes. « Aucun Français ne prit part à ces représailles », précise Doussot et c’est le soldat Nordmann qui a abattu le paysan. Madame Mirebeau, fille du commandant Foucaud (nous l’avons contactée le 6 mai 2019) confirme : ce sont des armes que les Allemands cherchaient et ils arrivent au château de Saint-Georges.  

C’est là qu’un résistant, du nom de « Charrette », est tué le 26 avril près du château de Saint-Georges (situé au hameau de Frébuans), PC départemental des F.F.I. Doussot refuse d’endosser la responsabilité du meurtre : Charrette était à 300 mètres et, posté trop loin avec une mitraillette, il n’aurait pas pu tirer : « Je ne fis d’ailleurs pas usage de mon arme », dira-t-il. Doussot et Thévenot ne se sont pas mis d’accord pour résumer l’opération puisque ce dernier certifiera que Charrette était déjà mort lorsqu’ils arrivent au château…

Qui est donc ce Charrette qui a été exécuté ? La Justice enquête en 1948. Point de Charrette connu dans les environs de Lons. Et on ne creuse pas plus loin. Dommage car il aurait été facile de savoir que le seul résistant tué près du château de Saint-Georges (propriété de la famille Vandelle) le 26 avril, c’était le commandant Foucaud (pseudo : Quasimodo), chef des F.F.I du Jura. Selon sa fille, une importante réunion venait de se tenir au château et son père, prévenu d’une opération par le lieutenant Schneider (placé comme interprète à la Gestapo de Lons par « Didier »-Albert Chambonnet), devait changer de planque le jour-même.

L’identité de « Charrette », les Allemands la connaissent rapidement, le lendemain exactement[2].

Alors pourquoi Doussot ment-il une fois de plus, comme son acolyte Thévenot ? C’est sûr qu’il vaut mieux mentir que de reconnaître qu’après l’opération Fruhling de Saint-Claude, ils sont également impliqués dans le meurtre du chef des F.F.I. du Jura.

J’ai trouvé une carte de visite !

Pour sa défense, Doussot dira qu’il a subtilisé dans le portefeuille de Charrette une carte de visite, celle de l’inspecteur de police lyonnais Pierre Millon. Il remet cette carte à Bazot qui la transmet à Millon. En effet, celui-ci confirme qu’il a bien réceptionné sa carte de visite, sans pouvoir donner de date précise. Le commandant Foucaud était donc peut-être en rapport avec l’inspecteur Millon mais Doussot a pu récupérer cette carte n’importe où et à n’importe quelle date.

Pour Me Mirebeau, il est peu probable que son père ait pris le risque de garder un tel document sur lui. « Il prenait beaucoup de précautions et même la chevalière qu’il portait n’était pas gravée à ses initiales », se souvient-elle. Cette chevalière, la famille ne la retrouvera pas puisqu’elle a été volée sur le cadavre du commandant Foucaud.

Le sanglant palmarès : Saint-Claude, Molinges, Arlay….

Une petite virée en Saône-et-Loire

Fin mai, Doussot et Thévenot font une rapide incursion en Saône-et-Loire. Il leur faut quand même bien agir de temps en temps pour la résistance s’ils veulent assurer leurs arrières au cas où. Donc, le 23 mai, ils participent à un parachutage à côté de la Grange-Sercy. Cinq officiers tombent du ciel ; deux agents du S.O.E, Madeleine Lavigne et Henri Borosh, seront conduits en voiture à Lyon par Doussot et son acolyte Dédé Thévenot. Tiburce réceptionne également son radio, J. Litalien, Guy d’Artois et Joseph Benoit. Pour le résistant Philibert Guérin de Flagy, qui date ce parachutage à tort fin avril-début mai, c’est clair comme de l’eau de roche : « ce qui explique que bien avant le débarquement, ces deux personnes appartenaient à la résistance[3]. »  En bref, Doussot peut décapiter la résistance jurassienne, envoyer en déportation des centaines d’hommes et de femmes, torturer et passer quand même aux yeux de certains résistants clunisois pour un honnête agent-double qui -entre deux meurtres- s’occupe de convoyer des officiers anglais .    

Et pour en finir avec le Jura: Arlay

Poursuivons. Après sa bonne action en Saône-et-Loire, Doussot n’en a pas fini avec le Jura.

Le 11 mai 1944, il participe à l’arrestation des résistants d’Arlay. Jean Dubief est interrogé à Lons-le-Saunier. Puis c’est l’arrestation d’Eugène Grappin et de Félix Chessel. Pour Jeanne Machard qui est auditionnée le 1er avril 1949, il est possible qu’André Thévenot et le milicien Jaussoin aient participé à son arrestation : « Je crois bien que c’est Thévenot qui m’a frappé à coup de tête dans le ventre et m’a tiré les cheveux lors de l’interrogatoire que j’ai subi à la Gestapo. Il était accompagné de Jaussoin, dit « Rémy. »

Selon Jean Dubief, dix-sept résistants -pris dans la région- seront exécutés près de Saint-Amour alors qu’on les dirigeait vers Lyon[4]. Le 21 juillet 1948, Jean Dubief, Félix Chessel et Eugène Grappin demandent à être confrontés avec Doussot. Ils veulent mettre cette « affaire au clair, ne serait-ce que pour nos camarades non rentrés de déportation ou les fusillés. » Quant à Paul Lancon, beau-frère de M. Joly hôtelier tué au Martinet, il demandera au président de la section du Rhône de la France Combattante le 20 avril 1949, de prendre en mains le dossier Doussot car il n’a plus confiance en la Justice. La Justice a condamné Doussot, le président Auriol l’a gracié.

Nous sommes à la mi-mai.

Doussot ? À surveiller…

Le sang des Jurassiens encore sur les mains car il fallait bien, dira Doussot lors de son procès, fournir sur son travail des « gages » à la Gestapo de Lyon , il est prêt à débarquer à Cluny un mois plus tard pour prendre ensuite le commandement du maquis de Crue et jouer un nouveau rôle, celui du « Capitaine Lucien ».


[1] http://jeanmichel.guyon.free.fr/monsite/histoire/vionnet/docteurmichel.htm

[2] http://jeanmichel.guyon.free.fr/monsite/histoire/e2m/commandantfoucaud.htm

[3] Témoignage de Philibert Guérin, 18 février 1946.

[4] Témoignage de Jean Dubief, 3 août 1948 et d’Eugène Grappin, 8 avril 1949.