Le développement des quartiers

La ville de Cluny est divisée en deux grands quartiers jusqu’en 1881 : le quartier Saint Marcel et le quartier Notre-Dame ; c’est là que se compte la population « agglomérée. » La population « éparse » est la population de la banlieue de Cluny, banlieue divisée en quatre séries, le levant, le midi et deux séries au couchant : les Cas, la Corbette, etc. le pont de l’étang, la papeterie, etc.

La population comptée en bloc comprend, quant à elle, les pensionnaires des différentes écoles ou maisons d’éducation et de l’hospice. Au centre ville, le quartier Notre-Dame est plus peuplé que le quartier Saint Marcel : en 1872, on dénombre 2154 habitants dans le quartier Notre-Dame et 419 maisons contre 1400 habitants à Saint Marcel pour 288 maisons. Saint Marcel est le quartier des artisans, (rue des tanneries, de la filaterie etc.) mais la grande majorité des enseignants vivra dans les quartiers autour de l’abbaye.

L’influence de l’École et du collège sur les chiffres de la population

On remarque une apparente stabilité au niveau du nombre des Clunisois entre le milieu et la fin du siècle avec, cependant, une grande augmentation de la population jusque dans les années 1872, puis une petite stabilité jusqu’en 1890 et une baisse en 1891.

Les variations observées sont dues principalement à l’ouverture ou à la fermeture des écoles et à leur prospérité. En 1866, le collège municipal, créé après la Révolution, est moribond ; on ne compte plus que onze pensionnaires au moment du recensement et, comme personnel, un principal, un portier et sept professeurs soit un total de 14 individus en comptant les membres des familles de ces fonctionnaires.

L’ouverture de l’École normale de son collège annexe va amener à Cluny, dès le 1er novembre 1866, plus d’une centaine d’élèves et, par conséquent, du personnel.

En 1872-1873, le collège compte jusqu’à 491 élèves dont seulement 27 externes et l’École normale 102 élèves ; à cela, il faut ajouter les professeurs, les employés (surveillants, domestiques, secrétaires, portier, tambour, cuisinier, lampiste, jardinier etc.) et leurs familles. « On prétend, écrit le directeur à l’inspecteur d’Académie, que Cluny n’a rien gagné à l’établissement de l’École : il est permis d’en douter (…) Quoiqu’il en soit, la population s’est accrue de près de 1000 âmes ; le prix des loyers a doublé. M. Girard en sait quelque chose ; il loue sa maison à quatre professeurs de l’École, et en retire plus de 2000F ; les travaux de l’École occupent un nombreux personnel d’ouvriers ; 50 nouveaux fonctionnaires, presque tous mariés, se sont établis dans la ville. »

Si la population a eu des réticences certaines à voir s’installer l’École en subissant notamment des expropriations, force est de constater que quelques années plus tard, elle reconnaît les avantages que cette installation procure : en 1868, un observateur note dans « L’année Illustrée » : « Aujourd’hui, les professeurs de l’École sont l’objet de l’accueil le plus empressé de la part de la population de la ville et des environs. » Le maire Aucaigne Sainte Croix et Duruy ont réussi à s’attacher le soutien des Clunisois.

Après 1872, les effectifs fléchissent : 70 élèves en moins au collège en 1874 par rapport à l’année précédente. L’établissement scolaire va perdre plus de 50% de ses pensionnaires entre 1872 et 1876. Parallèlement, les chiffres de la population clunisoise baissent aussi. En 1891, l’École normale et le collège ferment et il va falloir attendre que l’École nationale pratique d’ouvriers et de contremaîtres[2] prenne son essor pour voir la population augmenter sensiblement. Chaque promotion de la nouvelle école comptera environ 100 internes et 20 externes.[3]

Il y a donc bien corrélation entre la baisse des effectifs des élèves et des personnels et ceux de la population, même si les variations observées ne sont, bien sûr, pas dues uniquement aux effectifs de l’École normale spéciale et de son collège. Le deuxième grand projet de la ville est la construction de sa ligne de chemin de fer. De nouveaux emplois sont donc créés et amènent de ce fait des familles à s’établir à Cluny. En 1872, on compte plus d’une trentaine de personnes recensées travaillant au chemin de fer.

L’influence de l’École et du collège sur les origines de la population

Avant 1866, selon le recensement fait, Cluny ne comptait que huit étrangers dont cinq Allemands, un Suisse, un Polonais et un Belge.

En 1872, la ville va compter 106 Alsaciens ayant opté pour la nationalité française comme Roos, professeur d’allemand, et 39 personnes d’origine étrangère dont 21 hommes et 18 femmes, dont certains sont professeurs à l’École normale ou au collège. Il s’agit des professeurs de langues vivantes mais également de musique : les Italiens -Henri Rinuccinni et son frère- et Pierre Legrand, professeur de dessin, qui garde sa nationalité belge. En 1881, cinquante-cinq étrangers habiteront Cluny. Il est fort dommage que le recensement ne compte plus et cela à partir de 1872, les élèves pensionnaires dans la population agglomérée, mais à part : populations inscrites en bloc. Les feuilles de recensement donnaient, en effet, des renseignements appréciables, notamment sur l’âge et la nationalité. Dans les chiffres que nous avançons, il n’est donc pas fait état des élèves étrangers qui ont fait leurs études à Cluny. Or, des Égyptiens, des Algériens, etc. sont venus étudier à l’École normale et au collège.

Économie de Cluny : l’influence des écoles sur son développement

La destruction de l’abbaye a porté un coup cruel à la ville. Selon Auguste Penjon, « Avec les moines une partie de l’industrie locale avait disparu » et notamment la fabrication de « draps grossiers qui avaient donné pendant si longtemps au commerce une certaine activité. » La municipalité essaie également d’attirer en ville l’industrie de la soie du fait de la proximité de Lyon, mais « Cette tentative, nous dit encore Penjon, n’eut pas tout le succès que l’on pouvait espérer. » Toute l’activité intra muros tourne autour des commerces et des haras. À l’extérieur de la ville, la culture de la vigne est prospère jusqu’à l’arrivée du phylloxéra.

La mise en route des travaux de la ligne de chemin de fer et l’installation de l’École de Duruy sont donc en quelque sorte providentielles pour la ville et la municipalité ne s’y trompe pas quand elle met des moyens considérables pour s’attacher ces deux sources de travail. Comme le constate Penjon en décrivant la ville de Cluny, « Elle trouve du moins comme un riche loyer dans les nombreux avantages que lui a rapportés déjà la création de l’École et du collège. Le commerce s’est accru, l’activité sous toutes les formes s’est développée, les salaires se sont élevés dans la même proportion ; cette prospérité ne peut que s’augmenter de jour en jour. » Et cette prospérité, grâce au maintien des structures scolaires, se révélera encore exacte plus d’un siècle après. Si l’on observe par secteurs l’évolution des professions des Clunisois, nous remarquons qu’entre 1866 et 1891, les chiffres des individus travaillant dans l’industrie restent relativement stables, ceux des agriculteurs diminuent de près de 50%, conséquence du phylloxéra. Par ailleurs, dans les secteurs du commerce, des professions libérales, de l’administration publique et des transports (ligne de chemin de fer exclusivement) les chiffres explosent. Cluny devient la ville tertiaire que l’on connaît aujourd’hui.

Les différentes tranches de travaux de l’abbaye occupent également les artisans locaux ; le directeur Munier écrit avec raison à l’inspecteur d’Académie en avril 1874 : « Les travaux de l’École occupent un nombreux personnel d’ouvriers ; 50 fonctionnaires, presque tous mariés, se sont établis dans la ville. »[4] En 1872, on recense 21 domestiques, deux surveillants, un portier, un tambour, deux cuisiniers, dans l’établissement. Certains professeurs ayant une famille à charge emploient également une domestique ou une nourrice comme le professeur de mathématiques Roubaudi.


L’École et le collège annexe de Duruy participent donc au développement de la ville : les commerces s’ouvrent, des emplois sont créés.


[1] L’École normale de Cluny in L’année illustrée, 1868.

[2] L’ENPOC (école nationale pratique d’ouvriers et de contremaîtres) est fondée par la loi du 21/07/1891 et ouverte le 3/11/1891. Véritable école d’Arts et Métiers, elle en prendra le nom en 1901.

[3] En 1896, le recensement fait état de 275 pensionnaires et de 24 externes et en 1901, de 245 pensionnaires. À ces chiffres, il faut, bien sûr, ajouter ceux des personnels qui travaillent à l’école et qui vont habiter Cluny avec leurs familles.

[4] AD-Mâcon, 3T379 : lettre du directeur Munier à l’inspecteur d’Académie, 13 avril 1874.