Des malades à Cluny et à Avignon
Voici encore quelques phrases énigmatiques tirées de la correspondance de La Zim avec sa sœur. Tentons de comprendre ce que La Zim donne comme informations grâce au Dictionnaire du Français sous l’occupation de Serge Kastell.
p. 235. Grippe = Se disait du danger d’arrestation qui pesait sur un résistant.
p. 277. Malade, en mauvaise santé, contagion, épidémie, gale, clinique, diagnostic, hôpital = Arrêté, détenu, sur le point ou en danger d’être arrêté.
On pourra également se reporter à la correspondance d’Alice Ferrières, (P. Cabanel aux éditions Calmann-Levy-Mémorial de La Shoah, 2010), première femme en France à avoir été reconnue « Juste » par le comité de Yad Vashem. Dans les lettres que lui adressent ses « protégés », le vocabulaire employé est identique à celui que nous retrouvons chez La Zim.
Quelques exemples tirés de la correspondance d’Alice Ferrières :
Madeleine Berkovitz à Alice Ferrières en 1943 : » C’est par vous que votre frère veut bien s’occuper de cette grande malade qu’est la maman de cette petite. » (…) « Mes parents m’ont dit qu’à nouveau la grave maladie avait empiré (…) il ne peut plus venir me voir car il est dans un hôpital (…) comme si vous n’aviez pas vous aussi de grands malades à soigner. » (…) J’ai été très occupée par des médecins qui étaient venus prendre des nouvelles de nous tous, comme nous n’étions pas là… » (…) « Comme ma belle-soeur du reste, l’aîné de mes cousins craint également la contagion. » (…) Si vous pouviez m’indiquer un spécialiste qui pourrait soigner ce bambin sur place. »
Toutes les métaphores de la maladie indiquent les dangers des arrestations concernant les Juifs. Il faut comprendre camp d’internement pour « hôpital » et « médecins » pour Gestapo ou police française. « Contagion » correspond à risque d’être arrêté et « un spécialiste qui pourrait soigner » au fait qu’il faut trouver une cache pour un enfant.
Revenons à la correspondance de La Zim à sa soeur.
La Zim, lettre à Sophie, mai 1942. Les majors des trois promotions ont dû interrompre leurs études sur l’ordre du Dr (Docteur ?) Pourvu que ça ne s’éternise pas trop longtemps.
S’agit-il des majors de promotion aux Arts et Métiers ou à La Prat’s ? Quel danger pèse sur eux alors qu’ils ne sont pas encore concernés par le STO ???
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Lettre à Sophie, mai 1942. Je vais porter [des cerises] à deux malades à l’hôpital. Je retardais ma visite ne sachant que leur porter. Elles vont partir pour Hauteville l’une et l’autre, maris prisonniers.
Après avoir vérifié les registres de l’hôpital de Cluny pour la période, aucune femme hospitalisée ne correspond à la description. Il s’agit plutôt de deux femmes internées au camp de La Guiche qui vont être envoyées au sanatorium d’Hauteville. Point intéressant, Alice Ferrières -comme La Zim- va s’occuper des internés de La Guiche. Alice correspondra notamment avec Ruth Karp, envoyée elle-aussi ultérieurement à Hauteville. La Zim et Alice, toutes deux protestantes et professeurs, se connaissaient-elles via cette chaîne d’entraide ???
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Lettre à Sophie, 14 janvier 1944. Nous avons deux cas de scarlatine aux Arts et plusieurs en ville et une trentaine de grippes à l’école pratique… Les élèves reviennent guéris d’autres prennent leur place, ça fait de jolies classes où on n’a jamais les mêmes phénomènes devant le nez. (…) Evidemment je ne me suis pas occupée de ma dent. On ne peut pas tout faire ! Es-tu toujours contente des tiennes ?
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Lettre à Sophie, 26 janvier 1944. Les arrestations se multiplient autour de nous. La classe 44 va m’enlever le peu de gars qui me restent. La grippe prend l’allure de celle de 18. La jeune femme d’un de mes anciens élèves 21 ou 22 ans vient d’être emportée en quelques heures. Elle était d’une santé florissante. Je suis contente de te savoir rentrée et il me tardait que tu sois rendue.
NB: Sophie s’est rendue à Lyon fin janvier 1944. Sa soeur est inquiète de la savoir rentrée à Avignon lorsqu’elle lui écrit : « Il me tardait que tu sois rendue ».
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Lettre à Sophie, 10 février 1944. Un grand nombre d’arrestations dans la région. Pas mal de grippes- cependant elle est sur son déclin. J’y ai échappé mais j’ai eu un abcès dentaire qui m’a fait bien souffrir. (…) La jeune femme de 22 ans que je croyais morte d’une grippe infectieuse a été empoisonnée par un cachet– encore du pharmacien très probablement c’est lamentable. Les viscères sont à l’analyse à Lyon.
Dans ces deux dernières lettres, La Zim fait évidemment référence aux arrestations « Pas mal de grippes » qui ont eu lieu à Cormatin, Blanot, Pruzilly et dans le Mâconnais.
Le danger d’une arrestation pesait-elle aussi sur elle lorsqu’elle écrit : « J’y ai échappé » ?