Avoir 16 ans en 1941.
Franck Sequestra (1895-1987) est né à Montredon-Labessonié dans le Tarn. Fils du pasteur Jean Sequestra de Saint-Etienne, il a enseigné à Lyon, Saint-Etienne et Toulouse avant d’être nommé professeur d’anglais au lycée Lamartine en 1927. Beaucoup de liens unissent Sequestra et Marie-Louise Zimberlin : la ville de Saint-Etienne où tous les deux ont vécu, la religion protestante, l’enseignement de la langue anglaise et les Éclaireurs de France, dont ils animent respectivement les groupes à Mâcon et à Cluny.
Ancien sous-lieutenant au 38e d’Infanterie, blessé cinq fois au front, Sequestra est chevalier de la Légion d’honneur depuis 1923 et Croix de guerre avec citations. Réformé (il a été mutilé du poignet de la main droite et touche une pension d’invalidité), il se met cependant à la disposition de l’armée en 1939 pour servir comme interprète auprès des alliés britanniques. Le rectorat refuse.
En 1940, Sequestra est déjà repéré par une lettre de dénonciation d’un certain « Cannet » adressée à « M le Commissaire », postée d’Uchizy, le 4 déc. 1940. Sont dénoncés avec lui, Polette économe du lycée, Robert Oberdoerffer (maître d’internat, beau-frère du professeur Weyrich) et des élèves. Ils ont formé « un parti De Gaulle » et ils possèdent des armes. L’enquête menée par Ringenbach, commissaire de police de Mâcon, ne donne rien, le proviseur ayant déclaré qu’il se portait garant des sentiments patriotiques de son personnel. Interrogés en juin 1941, les élèves Weyrich, le fils Polette, Monnier et Guiglini reconnaîtront que peu après l’armistice, un parti « gaulliste » s’est en effet rapidement formé au lycée Lamartine.
Le 3 juillet 1941, Sequestra « excellent professeur « à la « moralité irréprochable » est arrêté et mis au secret en compagnie de plusieurs de ses élèves : Jean Polette (fils de l’intendant) et Pierre Rolland Pic. Il est accusé de leur avoir transmis un tract « de caractère anti-gouvernemental ». Jean Polette (classe de seconde) avec son camarade Roger Miconnet (classe de 3e) ont ronéotypé le document. L’intendant avait donné son autorisation, pensant -dira-t-il- qu’il s’agissait d’une circulaire adressée à la troupe d’Éclaireurs du lycée. Les jeunes élèves Polette et Giuglini étaient chargés ensuite de les distribuer (800 à 900 exemplaires) dans les boîtes aux lettres en ville. Sont également inquiétés l’élève Louis Monnier (17 ans) et Roger Joly (apprenti-mouleur, 16 ans), ce dernier avouant que le mouvement « gaulliste » a des ramifications à Lyon (avec un certain Bocksteller), à Cluny avec l’élève Josserand, à Perpignan et à Belleville.
On a découvert au local des Éclaireurs (Maison du peuple à Mâcon) des documents cachés par Weyrich et chez l’élève Pic plus âgé (classe de philo, 18 ans) des armes et des munitions, soustraites lors de la retraite française. Le samedi suivant, une perquisition est effectuée au lycée : on trouve sous la maison de l’intendant un souterrain creusé en mai-juin. La cache renferme une caisse de munitions vide mais elle a servi à entreposer des armes collectées par les élèves Polette et Pic. Chez Sequestra se trouvaient également des munitions d’armes de guerre. Ce que l’enquête ne saura pas, c’est que le groupe a également apporté son aide à des évadés anglais en provenance de Dunkerque, organisé une filière pour des prisonniers évadés et a saboté des canons que Vichy doit livrer à l’Allemagne. Rien que ça.
« Depuis ce fatal mardi 3 juin, écrit le proviseur à l’inspecteur d’académie, il règne au lycée une atmosphère de délation et de suspicion, aussi bien parmi les professeurs que parmi les élèves. » En ville, la situation ne se calme pas : le 7 juin la police découvre encore des papillons « Alliance Hitler = esclavage », « Darlan + Marion = trahison », « Légion attention … Darlan trompe Pétain et trahit la France ». Et le 9 juillet 1941, le dossier « Lamartine » est transmis au tribunal militaire de la 14e région à Lyon.
Le 9 juillet, Sequestra, Pic (19 ans) et Jean Polette (16 ans) sont emmenés à la prison militaire de Lyon, menottés. Cela provoque l’indignation du proviseur ainsi que de l’Inspecteur d’académie ; les élèves décident d’aller manifester leur soutien à leur professeur devant la prison de Mâcon mais le proviseur les en dissuade vivement.
Au tribunal militaire de Lyon, en date du 21 octobre 1941 :
- Cavaillon, R. Miconnet (15 ans) et Jean Giuglini (19 ans) ont été acquittés.
Ont été condamnés :
- Le fils Polette : trois mois avec sursis.
- Son père : six mois de prison avec sursis. Il est suspendu puis relevé de ses fonctions à la date du 1er nov. 1941.
- Pierre Rolland Pic : trois mois de prison avec sursis.
- Georges Weyrich (19 ans) : trois mois de prison avec sursis
- Sequestra sera interné six mois au fort de Montluc. Bien entendu, il sera révoqué de l’Éducation nationale. On connait bien son passage en prison grâce aux magnifiques dessins qu’il a réalisés durant cette période.
http://lacocottedekiev.over-blog.fr/2014/02/dessins-de-franck.html
L’affaire du « Lamartine » ne s’arrête pas là puisqu’elle a des retombées rapides à La Prat’s (Cluny), où un groupe de « jeunes Gaullistes », en relation avec le lycée Lamartine, est également démantelé. Et puis, il nous faudra reparler de Franck Sequestra et de ses élèves. Acquittés ou libérés -certains dont nous connaissons le parcours- continuent la lutte.
À suivre…
Sur l’affaire du lycée Lamartine, voir aux archives départementales : 1081 W4- 3T 1036